« Démolir pour construire du neuf doit être l’exception : nous allons vers ce genre de combats politiques » (C. Combes, architecte)

ENTRETIEN - Zéro artificialisation nette et manque de foncier, transition écologique et zéro carbone, crise du logement et inflation, crise de l’énergie. Alors que tout pousse à réinventer la ville, l’architecte est au cœur de nombreux enjeux, notamment en Occitanie, terre de deux métropoles à la démographie galopante et d’un littoral très prisé. Christian Combes, président du Conseil régional de l'Ordre des architectes d'Occitanie, évoque ces enjeux et les réflexions en cours pour faire évoluer la fabrique de l’habitat.
Cécile Chaigneau
Christian Combes, président du Conseil régional de l'Ordre des architectes d'Occitanie.
Christian Combes, président du Conseil régional de l'Ordre des architectes d'Occitanie. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Comment réagit l'acte de construire au contexte de crise énergétique et d'inflation ?

Christian COMBES, président du Conseil régional de l'Ordre des architectes d'Occitanie - La situation est assez contrastée : certaines agences ont beaucoup de travail et peinent à trouver des collaborateurs, surtout celles positionnées sur la transition écologique, et d'autres plus petites sont confrontées à des arrêts de chantier en raison de la pénurie de matériaux ou du coût des matériaux. Les honoraires des architectes sont indexés sur le prix des travaux, et les prix augmentant, les maîtres d'ouvrages sont en difficultés et s'abritent derrière les contrats, et les entreprises de travaux ne peuvent pas suivre... Ce qu'on observe aussi, c'est un glissement de la commande du public vers le privé qui se renforce, avec une diminution du nombre de procédures de marchés publics lancées en ce moment.

Les marchés immobiliers restent globalement tendus dans les métropoles françaises. Qu'observez-vous sur le marché montpelliérain, où les 8.000 logements qu'a lancé le maire et président de la Métropole, Michaël Delafosse, il y a quelques mois, pour les deux prochaines années, a fait l'effet d'un ballon d'oxygène ?

Montpellier continue d'attirer beaucoup de monde et les questions de mobilités sont devenues centrales. Le concept de la ville du quart d'heure, c'est bien mais ce n'est pas suffisamment inclusif... Dans notre région, des villes comme Perpignan, Béziers ou Narbonne ont besoin de se développer et il serait plus judicieux de dévier les flux de populations vers ces villes plutôt que de continuer à les concentrer sur la métropole... Il y a un côté un peu égoïste de la part des métropoles françaises à attirer les populations à soi, et Michaël Delafosse a raison de prôner le rééquilibrage des territoires. Montpellier est une sorte d'amphithéâtre de la Méditerranée qui démarre à La Grande Motte, englobe les communes au nord de la ville et va jusqu'à Sète, et c'est une force. C'est bien à cette échelle qu'il faut raisonner la métropole.

Vous militez pour arrêter de construire des projets neufs mais plutôt travailler sur l'existant...

Plus personne ne peut nier la réalité du réchauffement climatique mais il y a encore de l'inertie pour changer les modèles. L'être humain est dans une forme de déni et a tendance à se persuader que l'impact sera pour les autres, plus tard... Il fait preuve d'un optimisme forcené sur sa destinée, et on pense qu'on a le temps ! Il y a des petites villes qui suscitent un regain d'intérêt en raison des politiques qui y sont menées en matière d'immobilier, par exemple Béziers en comparaison avec Montpellier où le maire a freiné les programmes neufs, ou Saint-Etienne par rapport à Lyon où le maire a arrêté tout programme. Et en France, nous avons la grande chance d'avoir un patrimoine de qualité et globalement bien entretenu. Mais les techniques de rénovation, thermique notamment, ne sont plus maîtrisées par les entreprises et on ne forme plus suffisamment les futurs compagnons à ces techniques. Il faut y revenir ! L'équation est là, même si c'est moins simple de faire la ville sur la ville que de construire du neuf, mais il faut savoir ce qu'on veut... Les promoteurs qui font aujourd'hui du neuf voient bien ce qu'il se passe, c'est incontestable, et ils savent qu'il va falloir aller davantage vers la rénovation. Je pense d'ailleurs que ceux qui s'en sortiront sont ceux qui prendront ce virage et auront investi le champ de la rénovation le plus rapidement. De toute façon, les injonctions réglementaires sont là. Ils doivent réinventer leur profession.

Vous pointez du doigt ce que vous appelez les "lotissements-raquettes" des années 1960-1970, qui, dites-vous, ne répondent plus à la demande sociale, occupent beaucoup d'espaces et dont les maisons sont de vraies passoires thermiques...

La surface occupée est souvent plus importante que le cœur historique du village ! Leur requalification représente un champ d'investigation important à venir pour les architectes. On ne sait plus que faire de ces lotissements : faisons de la densification ! Il est possible, par exemple, de relier les pavillons pour faire des habitations plus vastes, ou glisser des logements sur les six mètres qui séparent généralement les maisons entre elles...

Le Conseil de l'Ordre est en désaccord avec le maire de Toulouse sur un sujet de démolition. De quoi s'agit-il ?

Le Conseil de l'Ordre s'oppose au maire de Toulouse sur la démolition des immeubles (construits dans les années 1960, NDLR) de l'architecte Georges Candilis (architecte et urbaniste grec, NDLR), dans le quartier du Mirail, au nom du patrimoine mais aussi sur la dimension écologique. Ces appartements doivent être restaurés : ils sont traversants, avec de beaux volumes, construits de façon intéressante, sans vis-à-vis. Les rénover coûterait bien moins cher. Le groupe Les Chalets a déjà fait ce type d'opération et a installé une résidence étudiante dans les immeubles, les étudiants sont logés avec un loyer modéré, et en échange, ils donnent des heures de soutien à des enfants de la cité. La démonstration est faite ! Démolir pour construire du neuf doit être l'exception. Nous allons vers ce genre de combats politiques.

Justement, Edouard Philippe a déclaré, durant le 52e Congrès des architectes, organisé par l'UNSFA (syndicat d'architectes) qui se tenait au Havre du 20 au 22 octobre derniers, que « la condition, pour "réussir une ville", c'est, pour le tandem maire-architecte, de "concevoir des lieux vivables" », assumant la volonté de stopper l'étalement en densifiant. Qu'en pensez-vous ?

Je suis d'accord ! En Occitanie, il existe 3.000 architectes, ce qui est beaucoup et signifie une répartition forte de la profession sur le territoire. C'est un réseau puissant qui est écouté car l'architecte connaît très bien les acteurs de son secteur, les contraintes, le patrimoine, etc. Il devrait intervenir très en amont des projets mais son expertise n'est pas toujours mise à profit par les élus, notamment sur ces sujets de transition écologique. Je peux donner un exemple qui illustre bien la problématique : dans un village du Biterrois, le maire voulait construire une école sur des vignes alors qu'une ancienne cave coopérative était en train de dépérir. Après un travail avec un architecte, l'école a été installée dans la cave coopérative au centre du village, ce qui est pratique pour les familles, plus économique et a évité une artificialisation des sols, tout en redonnant un usage à un patrimoine de qualité.

Que proposez-vous, concrètement, pour optimiser ce tandem maire-architecte ?

On peut imaginer qu'un maire mette en place un comité de réflexion avec des élus, un collectif de citoyens pour favoriser une meilleure acceptabilité du changement, les entreprises du secteur et un architecte pour faire des ateliers-territoire. Cette démarche permettrait de mieux appréhender la notion de transition écologique, de faire un diagnostic partagé et de hiérarchiser les actions à mettre en œuvre. Ces questions de transition écologique doivent partir du bas vers le haut car ce qui est vrai sur un territoire ne l'est pas chez ses voisins, et cela permet une meilleure implication des habitants et une meilleure appropriation des projets. L'architecte peut être une des personnes-ressources car il sait déjà dialoguer avec l'entreprise, avec les élus, avec les particuliers. Il parle tous les langages ! Si on ne fait pas de l'inclusif, ça ne marche pas ! Nous allons essayer de tester un tel dispositif avec trois collectivités, sur le littoral, en milieu rural et en périphérie de métropole. L'Ordre des architectes va le lancer avec les écoles d'architecture, les CAUE (Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, NDLR), et il faudra trouver un peu de financement, environ 15.000 euros, peut-être auprès de l'Ordre, de la Région, des écoles d'architecture pour la mise à disposition de moyens. Nous avons fait un colloque en juin dernier sur cette question, l'idée fait son chemin, et le Conseil national de l'Ordre est intéressé. Il existe les dispositifs Action cœur de ville, Petites villes de demain, mais ils sont trop "top and down", il faut passer à une autre échelle.

Vous dites que votre profession s'est beaucoup formée sur les enjeux du changement climatique. Où en êtes-vous sur les sujets de transition écologique appliquée à l'architecture et à la construction ?

Nous avons passé le seuil de la prise de conscience. Sur le volet dématérialisation, depuis le 1e janvier 2022, on peut déposer les permis de construire de façon dématérialisée, mais ça ne marche pas très bien partout ! Nous venons d'assigner la mairie de Toulouse pour la mettre en demeure de rendre ce service opérationnel. La moitié des collectivités ne sont pas opérationnelles, en Occitanie comme au national... Ce n'est pas si anecdotique car dans un contexte où il y a moins de permis accordés, ça participe au frein des autorisations à construire... Depuis 1e janvier 2022 également, la RE 2020 (nouvelle réglementation environnementale de la construction neuve - NDLR) s'applique et impose d'indiquer l'énergie nécessaire à l'exploitation des bâtiments mais aussi le bilan carbone de la construction. Les acteurs de l'acte de bâtir sont-ils prêts ? Oui et non... Les grands groupes rachètent des entreprises de construction bois, Eiffage par exemple, on voit apparaître le béton bas-carbone, ainsi que des matériaux géosourcés, biosourcés ou renouvelables, comme la terre ou la pierre. Mais le béton a gommé l'encadrement des chantiers et les savoir-faire sur le torchis, la paille, les badigeons de chaux. Il faut réhabiliter ces savoir-faire.

Cécile Chaigneau

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