Tourisme : « Les Pyrénées-Orientales ne sont ni une terre brûlée, ni un désert ! »

La saison estivale est lancée. Dans les Pyrénées-Orientales, tous les acteurs du tourisme sont mobilisés encore plus que d’ordinaire : après une couverture médiatique importante sur les incendies et la sécheresse dans le département, il s’agit d’inverser la vapeur en termes d’images et de rassurer les touristes pour assurer la saison. Une campagne en forme de clin d’œil est lancée : "Cet été, faites le plein d’Oooooh !".
Cécile Chaigneau
Les Pyrénées-Orientales, sous le feux des projecteurs médiatiques au printemps pour sa situation de sécheresse, veut rassurer les touristes de l'été.
Les Pyrénées-Orientales, sous le feux des projecteurs médiatiques au printemps pour sa situation de sécheresse, veut rassurer les touristes de l'été. (Crédits : DR)

Les Pyrénées-Orientales n'ont plus rien à prouver depuis longtemps quant à leur potentiel touristique. Ce n'est donc pas une opération de séduction que lancent tous les acteurs liés de près ou de loin au tourisme, poids lourd économique du département, mais une opération pour rassurer. Car après plusieurs semaines de couverture médiatique intense autour des incendies (notamment celui de Cerbère en avril) et de la sécheresse, la réussite de la saison dépend désormais de la capacité à rassurer les touristes, de proximité ou d'ailleurs.

Les signaux médiatiques envoyés dès le mois de mars et jusqu'en juin ont été inquiétants et ce au plus mauvais moment de l'année, celui des réservations pour les vacances d'été... Après un hiver à sec, la situation s'est en effet tendue dès le mois de mars, l'ensemble du territoire étant en alerte renforcée depuis l'été 2022. Le 9 mai, en raison d'un déficit de pluviométrie très exceptionnel (entre -60 et -65 % sur les douze derniers mois) et d'une sécheresse historique, la préfecture des Pyrénées-Orientales passait le département en "situation de crise", plus haut niveau d'alerte. Un projecteur médiatique était alors braqué sur ce bout de territoire catalan, symptomatique d'une problématique qui touche pourtant l'ensemble de la France. En quelques jours, les Pyrénées-Orientales étaient devenues le symbole de la sécheresse et les messages autour des nécessaires économies d'eau et des piscines qu'on ne pourrait plus remplir ou qui seraient fermées ou interdites ont envahi les cerveaux...

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Un focus très négatif pour tous les acteurs du tourisme, qui venait se rajouter à un autre problème également largement médiatisé : les incendies. A la mi-avril, un vaste incendie de plusieurs jours a ravagé des massifs sur les hauteurs de Cerbères, ravageant le paysage. Ravageant aussi l'image du territoire et l'optimisme des professionnels du tourisme.

Réservations : environ -20%

« Il y a eu un effet de loupe sur la sécheresse et sur l'incendie de Cerbères, donnant à penser qu'il n'y avait plus d'eau du tout et que tout le département avaient flambé, mais les Pyrénées-Orientales ne sont ni une terre brûlée, ni un désert ! », lance Aude Vivès, vice-présidente du Département des Pyrénées-Orientales en charge de l'attractivité, du tourisme, des loisirs et du thermalisme, également présidente de l'Agence de développement touristique des Pyrénées-Orientales (ADT 66).

Pourtant, la médiatisation des situations de sécheresse et du risque incendie a fait son œuvre, avec un impact sur les réservations.

« Nous avons observé en effet un ralentissement dans les réservations, et ce sont plutôt les Français qui se sont posé les questions en raison d'une communication franco-française, mais il ne faut pas non plus oublier les effets de la conjoncture, de l'inflation, des déplacements qui sont chers, confirme Aude Vivès. Nous sommes aujourd'hui à environ -20% par rapport à l'an dernier, mais c'était une année exceptionnelle, donc attention... Mais les effets ne sont pas homogènes : globalement, l'hôtellerie de plein air tire son épingle du jeu, mais il y a un trou d'air pour les gîtes ruraux et les hôtels. Aujourd'hui, la situation s'est améliorée du point de vue de l'eau, même si ce n'est pas parfait. Nous avons senti, fin juin, un frémissement chez tous les hébergeurs, avec un remontée des réservations... »

« La couverture médiatique a paniqué les gens ! »

Brice Sannac est le président de l'UMIH (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie) des Pyrénées-Orientales et il confirme un effondrement alarmiste des réservations suite à la médiatisation de la sécheresse : « Nous n'avons pas eu d'annulations mais on a senti l'inquiétude des gens à venir sur le territoire, qui rappelait la crise Covid quand les Pyrénées-Orientales ont été le territoire où le taux de contamination était le plus fort durant une semaine... Côté réservations, on était entre -20 à -30% il y a encore trois semaines ! L'hôtellerie a fait un mois de mai médiocre, un mois de juin mauvais, mais heureusement, c'est reparti fortement pour juillet et août, et on espère aussi faire une belle arrière-saison. Disons que je suis de meilleure humeur que le mois précédent ! ».

« La couverture médiatique a paniqué les gens !, raconte Thierry Grimaux, référent de la Fédération de l'hôtellerie de plein air de dans la vallée du Tech et du Vallepir. Les clients nous appelaient pour savoir si la piscine serait ouverte ou s'ils auraient de l'eau au robinet ! Nous avons eu quelques annulations mais surtout, certains sont allés réserver ailleurs... Les campings du littoral s'en sortent, mais dans l'arrière-pays, c'est plus compliqué. Pour mon camping, situé dans la vallée du Vallespir au pied des montagnes, on a enregistré -30% de réservations. Les campings qui ont un plan d'eau à proximité ont été moins touchés, et en montagne, ils ont enregistré plus de réservations, probablement pour fuir la canicule qu'on a subie l'an dernier. Dans l'arrière-pays, nous proposons beaucoup d'activités pour être attractifs, notamment des remontées de rivière et du canyoning ! »

La question des piscines

Du côté des Gîtes de France, Patrice Remy, président du relais 66 des Gîtes de France, souligne que « cette clientèle, qui vient pour la tranquillité et le calme, les paysages ruraux et les circuits courts, est une clientèle exigeante mais qui a besoin de sécurité, et donc d'être rassurée ».

La bannière Gîtes de France compte 700 gîtes et chambres d'hôtes dans les Pyrénées-Orientales sur 175 communes, accueillant 200.000 clients par an, « soit 17 millions d'euros de retombées économiques sur le territoire et 1.000 emplois directs et indirects », rappelle Patrice Remy.

« Nous avons enregistré quelques annulations mais ça a surtout été un frein dans les réservations, sur lesquelles nous avons observé une baisse alors que janvier et février étaient bien partis, ajoute-t-il. Nous avons réagi en appelant nos clients pour les rassurer. Certains nous contactaient pour savoir s'ils pourraient prendre des douches et si la piscine serait accessible. Dans le département, une centaine de gîtes sont équipés de piscines, qui sont considérées comme privées donc soumises à l'interdiction de les remplir, sauf en cas de risque sanitaire sur la prolifération de moustiques et de nécessité d'immerger un système d'alarme plongeant... Nous étions à un taux de réservation de -7% il y a une semaine par rapport à l'an passé qui était une bonne année. On sent maintenant un léger frémissement dans le sens de la remontée, notamment pour septembre et octobre, donc nous sommes plutôt confiants. »

Informer et rassurer

Chacun des acteurs revendique sa contribution à l'économie du territoire, notamment en termes de retombées et d'emplois, et agite le chiffon rouge. Brice Sannac rappelle ainsi que « le tourisme, c'est 45% du PIB départemental par les retombées économiques. L'Intermarché d'Argelès-sur-Mer est le premier Intermarché de France et ce n'est pas uniquement grâce aux habitants de la ville... 75% des touristes viennent dans des hébergements non marchants, c'est à dire environ 400.000 lits pour la famille et les amis qui viennent en vacances chez des Catalans, et dans les résidences secondaires. L'hébergement marchand, c'est environ 90.000 lits dans les campings, un peu plus de 55.000 lits chez Airbnb, et 14.000 lits dans les hôtels ».

Alors il faut maintenant informer et surtout rassurer tous ces touristes potentiels. Les catalans sont invités à jouer eux-mêmes un rôle dans le succès de la saison estivale, en rassurant leurs familles et leurs amis pour conforter leurs envies de Pyrénées-Orientales... Même discours rassurant à destination des propriétaires de résidences secondaires pour les inciter à privilégier les Pyrénées-Orientales pour leurs vacances. Autre cible visée par l'ADT 66 : les excursionnistes qui, s'ils ne consomment pas de nuitées, participent à l'activité touristique par la fréquentation des sites de loisirs ou de culture, des commerces et des restaurants.

« Une campagne d'émerveillement »

C'est pourquoi tous les acteurs du secteur, professionnels (offices de tourisme notamment) et institutionnels (Comité régional du tourisme d'Occitanie, CCI 66 ou Atout France), embarqués par le Conseil départemental des Pyrénées-Orientales et son Agence de développement touristique, se sont exceptionnellement rassemblés en task-force pour peser de tout leur poids sur la destinée estivale du département en lançant une campagne de communication collective baptisée du slogan "Cet été, faites le plein d'Oooooh !". Elle est diffusée dans la presse (principalement les titres de presse quotidienne régionale d'Occitanie), mais aussi sur internet (leboncoin.fr, Expedia, Camping.com), et via des influenceurs.

Une campagne qui a pour particularité de mobiliser tous les territoires sous une même bannière quand jusqu'à présent, chacun communiquait sur sa propre destination, se mettant parfois presqu'en concurrence...

« Habituellement, nous n'avons pas besoin de communiquer pour l'été, note Aude Vivès. Cette campagne d'émerveillement est l'occasion de rassembler tout le monde, de converger plutôt que diverger sur la destination Pyrénées-Orientales, en parlant d'une seule voix. Ce qui n'empêche pas de vendre des destinations propres à chaque territoire, chacun ayant son identité et ses spécificités. »

Une campagne de promotion de la destination Pyrénées-Orientales pour rassurer et attirer les touristes cet été.

Une campagne de promotion de la destination Pyrénées-Orientales pour rassurer et attirer les touristes cet été.

« La goutte d'eau qui sert deux fois »

Des actions vont également dans le sens de la sensibilisation aux bons gestes en matière d'économies d'eau et de risque incendie.

« Certes le contexte est problématique mais toutes les mesures sont en cours d'application sur l'approvisionnement en eau et le risque incendie, assure Aude Vivès à l'ADT 66. La sécheresse nous oblige à modifier la façon de faire du tourisme mais ça fait déjà plusieurs années que les professionnels du secteur envisagent la transition écologique. Certains ont pris le train en marche à cette occasion, mais majoritairement, ils sont aujourd'hui tous convaincus de devoir trouver des solutions autour de l'eau, d'abord en l'économisant et ensuite en la recyclant, en particulier dans l'hôtellerie de plein air. »

Ce que confirme Thierry Grimaux, lui-même gérant de l'Aloha Camping Club à Amélie-les-Bains (70 mobil-homes et 70 emplacements libres, avec piscine) : « Il faut relativiser la question de l'eau, la gérer mais ne pas paniquer... La sécheresse est un problème chronique au niveau national, mais dans les Pyrénées-Orientales, il faut se souvenir que nous gérons le "peu d'eau" depuis longtemps. Dans les campings, on a limité la consommation d'eau en installant des mousseurs sur les robinets et les douches, certains campings pionniers ont équipé les chasse d'eau d'un système qui permet de filtrer l'eau de la douche pour la réinjecter dans les toilettes et tous les campings vont faire des travaux dans ce sens. Pour nos piscines, qui ne sont pas soumises à l'interdiction de remplissage, nous avons des protocoles d'entretien : on ne rince plus les plages à grande eau, on les désinfecte avec peu d'eau. Et l'hiver prochain, nous installerons des cuves pour y récupérer les quelques m3 d'eau de rinçage des piscines à destination des agriculteurs et des pompiers. Nous avons traité le problème des fuites d'eau dans les canalisations depuis longtemps. Et pour les espaces verts, chez moi, on n'arrose plus : on demande aux clients de ne pas jeter l'eau de la vaisselle et de l'utiliser pour arroser les plantes, et ils jouent le jeu ! Le mot d'ordre, c'est la goutte d'eau qui sert deux fois ! ».

Fonds de carafe et nettoyage de légumes

« Nous avons des éco-gîtes depuis plusieurs années, avec une charte draconienne en matière d'économie d'eau et d'énergie, indique Patrice Rémy de son côté. Nous organisons des formations pour les propriétaires, et nous avons écrit une charte spéciale sécheresse, avec préconisation des écogestes, et nos clients y sont sensibles. Nous nous sommes engagés à bâcher les piscines pendant la nuit mais aussi pendant la journée quand elles ne sont pas utilisées pour limiter l'évaporation d'eau. Les propriétaires s'engagent sur la récupération des eaux de pluie, les réducteurs de débit sur les robinets, et les équipements de chasse d'eau. »

Dans les hôtels, « on ne découvre pas les économies d'eau dans les sanitaires, on le fait depuis plus de vingt ans », affirme Brice Sannac. Il indique également que certains hôtels ont conventionné avec les communes pour mettre à disposition les eaux de filtration des piscines pour nettoyer les espaces publics, ou les eaux de vidange des spa pour les agriculteurs.

« L'eau de loisir sert deux fois, argue-t-il. Aujourd'hui, il y a des clubs de plage qui arrosent leurs espaces verts avec l'eau de récupération des carafes ou de nettoyage de légumes... Le département a besoin du tourisme, et je suis persuadé qu'à terme, il sera le département du tourisme vert. Je ne crois plus aux grosses infrastructures touristiques mais plus volontiers à l'attrait des atouts naturels et patrimoniaux... Il existe aujourd'hui une vraie volonté de travailler tous ensemble, et il n'est pas trop tard car notre chance, c'est que les Français décident souvent de leurs vacances en dernière minute ! »

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Cécile Chaigneau

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