Transition énergétique : « Soit on ferme les frontières, soit on est interconnectés et il faut accepter la loi de l’offre et de la demande » (J. Percebois)

INTERVIEW – La transition énergétique est l’une des thématiques les plus scrutées dans les programmes des candidats à la présidentielle. A trois jours du 2e tour, Jacques Percebois, professeur émérite de l'Université de Montpellier (master en Économie et droit de l'énergie), qui enseigne aujourd’hui encore à l'École des Mines de Paris et à l'IFP-Énergies Nouvelles (IFPEN), commente les différentes orientations et options proposées par Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Cécile Chaigneau
Jacques Percebois est professeur émérite de l'Université de Montpellier (master en Économie et droit de l'énergie) et enseigne aujourd’hui encore à l'École des Mines de Paris et à l'IFP-Énergies Nouvelles (IFPEN).

LA TRIBUNE - Dans leurs ambitions pour la transition énergétique, Emmanuel Macron et Marine Le Pen mettent tous les deux l'accent sur l'atome civil. Que pensez-vous de leurs approches respectives ?

Jacques PERCEBOIS, professeur émérite de l'Université de Montpellier - Leurs programmes comptent des points d'accord et des points de fortes divergences. Et en effet, ils sont d'accord sur une relance du nucléaire, même s'ils ne sont pas en phase sur la vitesse de relance... Emmanuel Macron, qui avait voté une réduction du poids du nucléaire et qui a confirmé la fermeture de la centrale de Fessenheim, est revenu, depuis son discours de Belfort, à une relance du nucléaire relativement modérée (il propose de construire six nouveaux EPR dans un premier temps, puis de huit autres optionnels dans un horizon plus lointain, NDLR). Quant à Marine Le Pen, elle est pour une relance forte (elle propose de construire 20 nouveaux EPR d'ici quinze ans, NDLR) : c'est très ambitieux ! Il faudrait qu'on ait beaucoup d'aide. Probablement ne voit-elle pas les contraintes administratives, les contraintes de sûreté - ces dernières sont plus fortes aujourd'hui qu'il y a 50 ans donc c'est plus compliqué de construire des centrales - et les capacités de l'industrie française. Car la question est de savoir si la France serait capable de construire beaucoup de centrales nucléaires assez rapidement. On se souvient qu'elle en a construit 58 en vingt ans au moment des chocs pétroliers donc pourquoi pas. Mais on a beaucoup perdu de compétences, notamment chez les sous-traitants, et il faut relancer la filière. Et l'industrie française aurait peut-être du mal à suivre. Mais avec de la volonté politique, on peut le faire. On peut concevoir que la France puisse reconstruire des centrales avec des compagnies étrangères, évidemment pas avec la Russie mais par exemple avec la Chine ou l'Inde... Je suis pro-nucléaire et je pense qu'on peut accélérer un peu. Il me semble que la bonne vitesse de développement se situe à mi-chemin entre les deux candidats.

Pour poursuivre sur le nucléaire, Marine Le Pen voudrait rouvrir Fessenheim, Emmanuel Macron accélérer sur les petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR)...

Rouvrir Fessenheim (fermée définitivement depuis juin 2020, NDLR), c'est totalement irréaliste et techniquement impossible ! On a enlevé le combustible, on a commencé à démanteler la centrale, et quand bien même on lancerait cette réouverture, ce serait d'une telle complexité des procédures que ça prendrait dix ans ! Quant aux SMR, je suis étonné que les deux candidats n'aient pas abordé ce point durant le débat du 20 avril, car il y a un potentiel énorme. La France, qui était en retard, prend le train en marche. Ce sont des réacteurs de puissances modestes et on ne pourrait pas en mettre partout, mais je pense que c'est une piste à suivre. Les SMR ont des avantages, notamment en termes de sureté... Par ailleurs, Emmanuel Macron a mis fin au projet ASTRID (prototype de réacteur nucléaire français de 4e génération, NDLR), ce qui est dommageable me semble-t-il, car on se prive des technologies des surgénérateurs, qui vont apparaître demain.

Sur les énergies renouvelables (ENR), en revanche, les deux candidats sont fondamentalement à l'opposé, Emmanuel Macron misant beaucoup sur les éoliennes en mer et le développement du solaire quand Marine Le Pen veut un démantèlement progressif des parcs éoliens et un moratoire sur le solaire. Comment analysez-vous leurs propositions ?

La proposition de Marine Le Pen de démanteler les centrales éoliennes existantes est encore irréaliste. D'abord parce qu'il y a des contrats, donc juridiquement, ce n'est pas possible. Quant à dire qu'il faut les déconstruire à la fin de leur vie, oui, c'est prévu, on enfonce une porte ouverte ! Sur l'éolien terrestre, c'est vrai qu'il y a de la contestation mais on ne peut pas se passer d'un programme éolien. Et le solaire étant bien accepté, c'est surprenant qu'elle veuille arrêter... Emmanuel Macron, lui, est pour une relance très rapide des ENR, notamment de l'éolien en mer mais ça ne permettra pas de répondre à la demande d'électricité aux heures de pointe car cela reste une énergie intermittente. Le nucléaire ne pourra pas satisfaire toute la demande d'électricité qui va augmenter donc le mix énergétique est nécessairement un compromis entre nucléaire et énergies renouvelables. Sinon il faudra des centrales thermiques qui fonctionneront avec du gaz, ce qui signifierait qu'on ne décarbone pas le mix énergétique français ! Il faudra accompagner le développement des ENR avec du stockage, c'est à dire des batteries et de l'hydrogène. Et si on veut un plan hydrogène, on a aussi besoin des apports des ENR car on ne va pas utiliser les centrales nucléaires pour alimenter la production d'hydrogène.

Le schéma proposé par Marine Le Pen ferait courir un risque sur l'approvisionnement en électricité, d'autant qu'elle prévoit de sortir du marché européen de l'électricité pour permettre un prix de l'électricité plus bas, prétend-elle. Autrement dit se couper du système d'interconnexion européen. Est-ce réaliste et souhaitable ?

Il faut préciser, au préalable, que la France a encore besoin de quelques centrales à gaz et d'importations d'électricité aux heures de pointe, notamment en provenance de l'Allemagne. Mais il faut rappeler aussi que les interconnexions électriques européennes pré-éxistent à la création du marché commun et de l'Union européenne : c'est dans les années 1950 que les électriciens en Europe ont dit qu'il fallait s'interconnecter pour s'assurer d'un secours mutuel et compter sur les pays voisins. Et c'est ensuite qu'on a fait de l'interconnexion pour des raisons économiques. Si tous les pays étaient repliés sur eux-mêmes, il faudrait construire davantage de centrales qui ne tourneraient pas à plein...Quant à bénéficier de tarifs plus bas si on sortait du marché de l'électricité, rappelons le mécanisme : le prix de détail est composé d'un tiers de taxes, un tiers de coût des réseaux et un tiers de coût de production. C'est le tarif réglementé de vente. Et dans le coût de production, une partie est basée sur le coût du nucléaire et une partie du marché de gros. Aujourd'hui, ce qu'on peut réformer dans le tarif réglementé de vente en France, c'est le poids du marché de gros si on se met d'accord avec la Commission  européenne. Ce serait possible en favorisant des contrats de fourniture à long terme entre EDF et les fournisseurs alternatifs, ce qui ferait du marché de gros un marché d'ajustement avec un rôle plus modeste... En revanche, il faut rappeler aussi que sur le marché de gros européen, la règle est fixée par la loi de l'offre et de la demande, ce n'est pas la France qui peut bloquer les prix. Soit on ferme les frontières, mais il faut construire de nouvelles centrales, soit on est interconnectés et il faut accepter ce principe de l'offre et de la demande.

Sur le prix de l'énergie toujours, Marine Le Pen veut faire passer la TVA de 20 à 5,5 % pour l'électricité, le gaz, le fioul et le carburant, et ce de manière pérenne. Cela peut-il être une réponse du point de vue social, économique et environnemental ?

C'est un débat entre économistes : faut-il aider ceux qui en ont besoin ou baisser la TVA pour tous ? Ça va en effet constituer un effet d'aubaine pour les riches qui en profiteraient plus que les plus pauvres. Et on ne peut pas instaurer une baisse de la TVA pour les plus pauvres uniquement car c'est interdit en vertu du principe d'égalité de traitement pour tous devant l'impôt. Enfin, le problème de la baisse TVA sur les produits pétroliers, c'est que ce n'est pas une solution pour sortir des énergies fossiles car cela incitera les gens à rester dans une énergie qui ne coûterait pas cher ! L'alternative, ce sont les chèques mais on n'est pas certains que ceux qui devraient en bénéficier en profitent car si ce n'est pas automatique, ils ne le demanderont pas tous. Il n'y a pas de mesure idéale...

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 25/04/2022 à 15:28
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Deux points de désaccord avec M. Percebois : "on ne va pas utiliser les centrales nucléaires pour alimenter la production d'hydrogène." : pourquoi ? Sinon, c'est les alimenter en énergie intermittente et les électrolyseurs fonctionnent mal et l'hyd...

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