Le mathématicien et homme politique français Cédric Villani, spécialiste de l'analyse mathématique, était à Montpellier les 10, 11 et 12 novembre pour le lancement officiel de la Convention citoyenne sur l'intelligence artificielle (IA). Une première convention citoyenne pour la Métropole, et une première convention citoyenne sur l'IA en France.
Composée de 40 habitants de la Métropole (sélectionnés sur des critères représentatifs (âge, CSP, genre, commune d'habitation,...) et accompagnée d'experts en IA, dont Cédric Villani, la Convention citoyenne se réunira durant trois week-ends avec pour mission de répondre à une question : « Quelle intelligence artificielle au service des habitants et du territoire ? » afin d'alimenter, in fine, l'élaboration par la Métropole de sa stratégie de l'IA et de la donnée.
« Notre approche sur l'intelligence artificielle est unique en France, elle se fait en partage avec les citoyens sur une convention totalement inédite, a souligné Michaël Delafosse, maire (PS) de Montpellier et président de la Métropole. L'intelligence artificielle prend déjà une place centrale dans notre quotidien et soulève de nombreuses questions sociétales. La méthode de Montpellier, c'est celle du "faire ensemble", d'une dynamique de partage entre les acteurs de la recherche, les entreprises et les collectivités territoriales. Grâce à ces forces vives, notre territoire s'inscrit comme une place forte de l'Intelligence artificielle en France. »
Transparence, gouvernance, contrôle
Si l'intelligence artificielle est déjà utilisées dans de nombreux autres secteurs, par exemple pour prédire les sécheresses ou l'affluence dans les transports en commun, ses usages potentiels sont encore à inventer et suscitent autant d'intérêt et d'enthousiasme que d'inquiétude sur de possibles dérives.
« Plutôt que savoir si on est pour ou contre l'IA, la Convention citoyenne va s'interroger sur quel sujet traiter par l'IA, quels usages de l'IA sont souhaitables ou non dans les politiques publiques, quel impact on va chercher, quelles conditions pour créer la confiance des citoyens sur l'usage de l'IA, c'est à dire quelle transparence, quelle gouvernance, quel contrôle par les citoyens ?, souligne Manu Reynaud, adjoint au maire de Montpellier, délégué à la Ville numérique. La Métropole a la volonté de pointer Montpellier sur la carte de l'IA et la parole politique est importante pour démystifier et recadrer. »
L'auteur du rapport sur l'intelligence artificielle en mars 2018, commandé par Emmanuel Macron, recommandait d'élaborer une politique économique axée sur les données et de développer la recherche publique dans des secteurs stratégiques tels que la santé, les transports, la défense et l'environnement. C'est fort des 420 auditions d'experts de différents domaines suivies pour cette mission que Cédric Villani vient apporter son regard d'expert et accompagner le processus citoyen sur l'IA à Montpellier.
Les 40 membres de la convention citoyenne sur l'IA ont été accueillis dès le 10 novembre, pour l'ouverture de leurs travaux, par le mathématicien aux côtés de Michaël Delafosse, de Manu Reynaud et de Séverine Saint-Martin, adjointe au maire et déléguée au renouveau démocratique et à l'innovation sociale.
« Je suis l'antenne qui capte les débats sur l'IA »
Cédric Villani rappelle que « la Cour des comptes avait évalué l'impact de la stratégie du gouvernement sur l'IA et conclu que la mise en œuvre n'avait pas permis à la France de se hisser dans le peloton de tête mais lui a évité le déclassement ». La Métropole de Montpellier semble, quant à elle, décidé à s'emparer du sujet pour réussir sa transition IA, affichant l'ambition de faire usage d'une IA « éthique, souveraine et responsable ».
« Avec la mission sur l'IA que m'a confiée le gouvernement pour préfigurer la stratégie nationale de l'intelligence artificielle, et avec la grande visibilité des sujets de l'IA aujourd'hui, je suis l'antenne qui capte les débats sur l'IA, déclare le lauréat de la prestigieuse médaille Fields (en 2010), quelques instants avant de se rendre à l'ouverture de la Convention citoyenne. J'ai eu énormément de sollicitations mais celle-ci est particulièrement intéressante et unique car elle associe la décision politique, la participation citoyenne avec l'intelligence artificielle. En cela, c'est une expérience très attendue... L'intelligence artificielle est certes un sujet complexe et interdisciplinaire mais dont les problèmes techniques et scientifiques sont minoritaires et souvent bien plus faciles à résoudre que les problèmes qui se posent au niveau politique, des sciences humaines et sociales, des changements de rapport de forces de société que ça peut impliquer. Cette expérience à cela d'intéressant qu'elle vient avec peu d'a priori, donc il y a un côté expérimentation. Elle a lieu à un échelon local intéressant par rapport à tous les grands débats qui ont eu lieu au niveau national ou européen. Par ailleurs, l'IA est un sujet qui se traite toujours en partage d'expérience et de compétences interdisciplinaires, et la relation entre experts et citoyens sera déterminante. Enfin, sur l'IA, il y a toujours des questions de souveraineté qui se posent - par rapport aux prérogatives de telle ou telle institution, la façon de garder la maîtrise de son destin - et l'inscrire dans une opération portée par le périmètre métropolitain est très intéressant car permet d'avoir la réflexion citoyenne. Au plan politique, c'est une initiative qui concerne les responsables de la stratégie numérique mais aussi tous les élus de l'exécutif. Grâce au travail de cette convention citoyenne, la Métropole sera mieux préparée à affronter l'avenir. »
Et de préciser : « Aucune technologie n'est complètement éthique, souveraine et responsable. A nous de placer le curseur ».
« Le comité ne tiendra pas la plume aux citoyens »
Le mathématicien, dont le carnet d'adresses constitue un atout majeur, s'est engagé à être disponible et « consultable à volonté », même à distance, « non pas tant pour donner mon avis mais aussi pour donner des contacts de personnes à auditionner, des ouvrages ou des références pour les aider à se forger un avis, dans un rôle de dealer d'informations ».
« Je vais présenter aux membres de la convention citoyenne les conditions qui ont contribué au succès du rapport sur l'IA et les quelques erreurs que j'ai commises pour leur éviter de les faire, ajoute-t-il. Un conseil important : résolument travailler dans un mode interdisciplinaire. Si le rapport qu'on a rendu en 2018 a tenu le choc, c'est grâce aux compétences variées du comité. La qualité du contact entre citoyens et experts est capitale. Chaque fois que ce sera possible, privilégier les auditions contradictoires plutôt qu'auditionner les personnes les unes après les autres. Mais le comité d'experts est là en tant que conseil et garant mais ne tiendra aucunement la plume aux citoyens ! La convention doit être souveraine. »
Démystification et acceptabilité
Après une première session consacrée à la formation aux enjeux de l'IA, les membres de la convention citoyenne sur l'IA se retrouveront début décembre pour un week-end d'auditions des experts et des témoins spécialisés par thématiques comme la transition écologique, la santé, la mobilité ou encore la justice sociale. Ils travailleront ainsi jusqu'à fin janvier 2024, date à laquelle ils présenteront une série de propositions aux élus.
La stratégie métropolitaine sur l'IA et la donnée sera, quant à elle, soumise aux votes des élus métropolitains lors d'un Conseil de Métropole au printemps 2024. Et Manu Reynaud le promet : « Les travaux de cette convention seront présentés au conseil de Métropole en même temps que sera présentée la stratégie IA de la Métropole, ce qui permettra de voir qu'on a bien intégré leurs propositions ».
La démarche, inédite sur le sujet, pourrait être scrutée par d'autres territoires et d'autres élus.
« On défriche donc oui, le fruit du travail de la convention citoyenne sur l'IA à Montpellier a vocation à sortir du périmètre montpelliérain, affirme Manu Reynaud. On sera regardés. Ce sont peut-être des lignes rouges ou des points d'alerte qui seront relevés. Ça concourt à un débat public. On démystifie et on pointe les questions d'acceptabilité, notamment dans les politiques publiques. »
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