Restauration : comment les Grands Buffets de Narbonne augmentent de 30% la rémunération de ses salariés

INTERVIEW - L’hôtellerie-restauration ne fait plus rêver et les professionnels peinent à recruter. Au 1er janvier 2022, les salariés des Grands Buffets de Narbonne voient leur rémunération augmenter de 30%. C’est la décision qu’a prise le fondateur et dirigeant de ce restaurant aux plus de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, afin de rendre plus attractifs et pérennes les métiers de la restauration en reconnaissant clairement leur pénibilité. Cette prime d’intéressement sera financée par une augmentation du prix du menu. Entretien avec Louis Privat.
Cécile Chaigneau
Louis Privat, fondateur et dirigeant des Grands Buffets de Narbonne, revendique une politique sociale interne prenant en compte désormais la pénibilité des métiers opérationnels dans son restaurant.
Louis Privat, fondateur et dirigeant des Grands Buffets de Narbonne, revendique une politique sociale interne prenant en compte désormais la pénibilité des métiers opérationnels dans son restaurant. (Crédits : DR)

Installés à proximité de la sortie d'autoroute de Narbonne, sur l'A9, les Grands Buffets annoncent quelque 350.000 clients par an et se présentent comme le premier restaurant de France en termes de chiffre d'affaires avec plus de 20 millions d'euros attendus en 2022. Le principe qui a fait son succès : un menu à tarif unique de 42,90 euros (jusqu'au 31 janvier 2022) pour un repas à discrétion (par exemple un plateau de 111 fromages au choix) et des vins et champagne au prix du producteur.

LA TRIBUNE - « Mea culpa ». C'est par ces mots que commence le communiqué que vous avez envoyé à la presse pour annoncer que vous augmentez de 30% la rémunération de vos salariés. Pourquoi ces mots ?

Louis PRIVAT, président et fondateur (en 1989) du restaurant Les Grands buffets de Narbonne - Je pense que dans la restauration, et à commencer par moi, nous avons été aveuglés par une obsession : celle de proposer le meilleur rapport qualité-prix possible et nous n'avons pas pris conscience du haut niveau de pénibilité des métiers qu'exercent nos collaborateurs. La pénibilité ne s'apprécie pas forcément comme il y a quinze ans. Donc je me sens responsable, vis à vis mes équipes, d'avoir maintenu une démarche intellectuelle convenue.

Quel a été le déclic ?

La situation actuelle... Les problèmes de recrutement et le turn-over dans la restauration existaient déjà avant le Covid. C'était structurel : horaires décalés contraignants, travail en soirée, les week-ends et jours fériés pour des salaires équivalents à ceux des autres secteurs. La filière a perdu son attractivité : même si le salaire d'embauche était légèrement au-dessus d'autres secteurs d'activité, ce n'était pas suffisant pour convaincre un jeune de 20 ans de sacrifier ses soirées, ses week-ends et ses vacances. Le flux entrant dans la profession s'est tari ! Ce désamour a été aggravé par la crise sanitaire : selon la DARES (Direction de l'Animation et de la Recherche, des Études et des Statistiques, NDLR), les effectifs de ce secteur ont perdu 237.000 salariés entre février 2020 et février 2021 ! Et la grille des salaires n'a pas évolué depuis 2018. Ce manque de main d'œuvre a des répercussions très importantes et certains établissements ont été empêchés de rouvrir faute de personnels... Aux Grands Buffets, nous y étions attentifs et j'avais mis en place une politique d'amélioration des conditions de travail : trois jours de repos par semaine pour ceux qui travaillent en journée coupée, flexibilité sur les plannings, formation, premier restaurant à passer aux 35 heures en 1999 et premier restaurant à avoir un accord d'entreprise à ce moment-là, le recours à la journée continue le plus possible, l'aide au désendettement des salariés... Nous avons privilégié les conditions de travail et pas la rémunération, sans comprendre que le problème était aussi les salaires qui ne sont pas à la hauteur de la pénibilité.

Justement, les négociations entre les syndicats et le patronat de l'hôtellerie-restauration viennent d'acter un barème revalorisé, prévoyant une augmentation moyenne de 16,33% des salaires et un premier échelon s'affichant à 4,1% de plus que le SMIC. Comment s'inscrit votre démarche dans ce contexte ?

Ces augmentations, qu'il faut considérer comme des minimas, sont beaucoup trop faibles pour avoir un effet déterminant. Aux Grands Buffets comme dans beaucoup d'établissements, notre grille de salaires était déjà un peu au-dessus sinon, il nous était impossible de trouver des candidats. Avec cet accord, pour les salariés des métiers dits "essentiels" - serveur, cuisinier, plongeurs, assistant de service, etc. -, l'augmentation de salaire devrait être de moins de 6 euros. Ce n'est pas avec ça que vous allez convaincre des postulants ! Sur une grille déjà basse, cela permet d'atteindre des salaires moyens qui ne sont pas éloignés de ce qui est pratiqué aujourd'hui... Une hausse de faible amplitude prélevée sur la marge va créer une charge nouvelle pour les restaurants mais ne sera pas suffisante pour inverser la tendance. Un électrochoc est nécessaire.

Vous proposez donc un autre dispositif, une prime d'intéressement modulée, pour augmenter les rémunérations. Comment ça marche et qu'est-ce que ça va représenter financièrement ?

30% en salaire chargé, ce serait trop lourd. D'où le recours au contrat d'intéressement. Cette prime d'intéressement sera modulée en fonction de la pénibilité du poste, de +20% ou de +35%, et concernera environ 160 salariés sur les 180, c'est à dire les postes opérationnels. Ce sont les métiers qui imposent une journée coupée ou qui travaillent la nuit, les plus pénibles donc, qui bénéficieront d'une prime de 35% car je veux faire effet levier sur les métiers essentiels. Par exemple, un plongeur ou un agent d'entretien qui travaillent en journée continue, vont passer respectivement de 1.454 euros nets à 1.754 euros nets et de 1.475 euros nets à 1.775 euros nets, soit une hausse de 20%. Et un salarié qui travaille à l'office en journée coupée, passe de 1.485 à 2.005 euros, soit une hausse de 35%... Ce dispositif va représenter une somme au-delà d'un million d'euros par an, mais avec seulement 10% de forfait social.

Que faites-vous de la hausse de la grille de salaire conclue au niveau national ?

Nous n'avons pas d'autre choix que l'appliquer mais nous sommes peu concernés puisque nos salaires étaient déjà au-dessus sur tous les métiers sans exception.

Pourquoi répercuter cette augmentation des rémunérations sur le prix du menu dans votre restaurant, et ainsi de faire payer les clients ?

Cette hausse de salaires entraînera en effet une augmentation des prix pour le consommateur, mais elle reste très mesurée, tout au plus 10%. Car ce ne sont pas les trésoreries des établissements, largement mises à mal par la crise, qui peuvent supporter une hausse de 30% des rémunérations, qui est, je le répète, le minimum pour prendre en compte la pénibilité du travail. On a toujours considéré que les restaurateurs avaient perçu de façon indue la baisse de TVA... Or c'est faux car en même temps, il a fallu absorber la hausse du Smic, la prise en charge de la mutuelle, la modernisation des restaurants. Si on faisait une étude sur les marges des restaurants avant et après la baisse de TVA, on se rendrait compte qu'ils ne font pas de bénéfices ! Mais je veux aussi pointer du doigt un problème qui fait que, selon moi, on n'a pas posé les choses de façon claire : comment peut-on décider d'un engagement financier important sans étudier les ressources qui vont le financer ? Les restaurateurs ont trop longtemps accepté de contraindre les salaires de leurs collaborateurs pour faire profiter le client de tarifs qui ne sont pas le reflet du véritable prix de nos prestations. Une formule à 12,50 le midi, ce n'est pas le vrai prix ! Le client a donc une part importante à jouer en acceptant de payer le juste prix, tout comme il accepte de payer plus cher du circuit court ou des produits du commerce équitable. Notre menu passera donc de 42,90 euros à 47,90 euros, et le prix des boissons ne sera pas augmenté.

L'augmentation des rémunérations s'appliquera dès le salaire de janvier. Et l'augmentation du prix du menu ?

Elle s'appliquera à compter du 1er février 2022. Je ne voulais pas augmenter les prix avant d'avoir augmenté les rémunérations C'est aussi pour que le personnel prenne conscience de sa responsabilité : puisque prix plus élevé, il ne faut pas décevoir le public.

Comment est perçue cette mesure par vos confrères professionnels de la restauration ?

Les confrères que j'ai interrogés m'ont tous dit qu'ils vont faire un effort. Ils sont dos au mur... La différence, c'est que je vais être plus rapide et réactif, mais je ne souhaite pas exploiter ce déséquilibre qui m'est favorable. Ce n'est pas le but. Notre objectif commun, c'est que tous ensemble, on rende la filière attractive à nouveau. Je ne veux pas de guerre fratricide ! Je veux attester que c'est possible et dire à mes confrères que si on généralise cette approche, c'est la filière qui sera gagnante. Les Grands Buffets s'engagent donc à ne pas recruter de professionnel actuellement sous contrat de travail chez des confrères restaurateurs, mais de concentrer le recrutement sur des candidats d'autres secteurs d'activités qui opteront pour la filière de la restauration. Je ne suis pas en croisade... La question, désormais, est de savoir si le public va comprendre cette démarche...

Cécile Chaigneau

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Commentaires 4
à écrit le 20/01/2022 à 18:30
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au moins il est honnete, il met ca dans les prix officiellement, en esperant une boucle prix salaires, qui n'arrivera pas, ou alors ca va mener a qqch.....sinon dans la restauration, le premier pb n'est pas le salaire; les conditions de travail, et l...

à écrit le 20/01/2022 à 17:36
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"nous n'avons pas pris conscience du haut niveau de pénibilité des métiers qu'exercent nos collaborateurs." Donc sans ce virus,ils ne verraient toujours rien comme quoi.De toute façon Lemaire va encore leur filer du blé ,non ? ,si on peut piquer p...

à écrit le 20/01/2022 à 14:15
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....en répercutant sur l'usager bien sur ! Quelle imagination ! Si son chiffre d'affaire baisse de 30 % il va venir pleurer aux aides !

à écrit le 20/01/2022 à 10:14
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Une bonne initiative, très bonne au sein d'une France qui meure du dumping social quasiment inespérée même. Maintenant ne vaut il pas mieux augmenter les salaires de 25 % plutôt que des primes qui ne rentrent pas en compte dans le calcul de la retrai...

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