Chômage : à Montpellier, le Lab2e veut « apprendre aux entreprises à traverser la rue »

Et si les entreprises déconstruisaient leurs représentations des chômeurs, et inversement ? Afin de lutter contre la privation durable d’emploi, l’association nationale Solidarités Nouvelles face au Chômage (SNC) et l’Institut d’Etudes et du Travail de Montpellier viennent de lancer un Lab2e à Montpellier. Ce Laboratoire des Entreprises Engagées a vocation à travailler avec les entreprises sur les questions de recrutement et d'intégration des personnes les plus éloignées de l'emploi. Une problématique qui interroge alors que le projet de loi sur le « plein emploi » est débattu depuis le 25 septembre à l’Assemblée nationale. Analyse.
Cécile Chaigneau
Alors que le projet de loi sur le « plein emploi » est débattu à l'Assemblée nationale depuis le 25 septembre, l'association Solidarités Nouvelles face au Chômage (SNC) lance son 6e Lab2e en France, à Montpellier, avec l'idée de réconcilier entreprises en recrutement et chômeurs.
Alors que le projet de loi sur le « plein emploi » est débattu à l'Assemblée nationale depuis le 25 septembre, l'association Solidarités Nouvelles face au Chômage (SNC) lance son 6e Lab2e en France, à Montpellier, avec l'idée de réconcilier entreprises en recrutement et chômeurs. (Crédits : DR)

« On entend aujourd'hui cette petite musique du retour au plein emploi, avec un projet de loi qui vise les 5% de chômage, observe Philippe Ribeyre, administrateur de l'association nationale Solidarités Nouvelles face au Chômage (SNC) et responsable de SNC Montpellier. Et ça marche car un récent sondage IFOP dit que le chômage est tombé à la 8e place de préoccupation des Français. Le chômage reste pourtant une réalité : on compte chez Pôle Emploi 5,6 millions d'inscrits, 3,5 millions sans activité, 1,4 millions qui n'ont pas travaillé depuis plus de deux ans, 2,3 millions depuis plus d'un an. Auxquels il faut ajouter 2 millions de bénéficiaires du RSA dont 50% ne sont pas inscrits à Pôle Emploi. »

Le 28 septembre dernier, à l'occasion du lancement par SNC du Laboratoire des Entreprises Engagées (Lab2e) à Montpellier, Philippe Ribeyre intervenait dans un débat sur le projet de loi France Travail, avec cette question : « La mise en place de France Travail améliorera-t-elle la situation des personnes privées d'emploi stable ? ».

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Nouveaux modes de recrutement et d'intégration

Malgré les progressions optimistes de la courbe du chômage en France, la situation du marché du travail présente encore des trous dans la raquette, notamment pour les personnes les plus éloignées de l'emploi. C'est à cette population que s'intéresse SNC, association nationale née il y a près de quarante ans et qui propose un accompagnement gratuit aux personnes en recherche d'emploi. En 2022, SNC a accompagné 3.600 chercheurs d'emploi, « avec un taux de retour à l'emploi supérieur à 60% sur les dix dernières années », précise Philippe Ribeyre.


En 2021, SNC a lancé le concept de Lab2e afin de travailler avec les entreprises sur les questions de recrutement et d'intégration des personnes les plus éloignées de l'emploi. 
Il vise à créer des cercles de réflexion regroupant employeurs et chercheurs d'emploi et à expérimenter, avec des entreprises volontaires, de nouveaux modes de recrutement et d'intégration pour les chômeurs de longue durée ou les séniors. 
Le Lab2e Montpellier (le 6e après l'Auvergne, la Charente-Maritime, la Haute-Garonne, la Loire Atlantique et les Yvelines) a été créé en partenariat avec l'Institut d'Études et du Travail de Montpellier (IETM, expert dans le domaine du droit social, qui favorise l'insertion professionnelle des jeunes diplômés et dispense de la formation continue) et la chaire MIND (Management Inclusif et Engagement Sociétal) de Montpellier Business School.

Déconstruire les représentations

« L'objectif des Lab2e, c'est de faire se rencontrer les entreprises et les chômeurs pour déconstruire leurs représentations réciproques, pleines d'a priori, et les réconcilier, et c'est aussi d'aider les employeurs à changer leurs pratiques, explique Denys Neymon, vice-président de SNC et président des Lab2e. En 2021, nous avons produit un rapport sur l'angle mort des séparations professionnelles, c'est à dire l'impact de la manière dont on s'est séparé des salariés, qui peut laisser des traces très profondes, avec l'idée de souligner que le chômage longue durée est souvent une coproduction. On essaie de faire bouger des lignes, ce qui est plus compliqué dans les PME qui n'ont pas de DRH ni de temps à perdre mais qu'on a du mal à toucher. Mais aujourd'hui, plus de la moitié des filières sont en tension et on entend aussi cette petite musique selon laquelle les gens trouveraient un emploi s'ils étaient moins faignants... Mais il y a dix fois plus de personnes privées durablement d'emploi stable que d'emplois non pourvus ! L'objectif des Lab2e, c'est d'apprendre aux entreprises à traverser la rue... »

Pour le Professeur Paul-Henri Antonmattei, Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Montpellier et codirecteur de l'IETM, « le Lab2e est une démarche qui valorise la fraternité républicaine, et ce partenariat de l'IETM, qui met notre réseau d'anciens diplômés à disposition du Lab2E, contribue à l'adage selon lequel l'union fait la force ».

« Le CDI temps plein pendant 43 ans ne fait plus rêver »

Cette initiative intervient alors que le projet de loi sur le « plein emploi », destinée à ramener le taux de chômage à 5% à la fin du quinquennat, est débattu dans l'Hémicycle de l'Assemblée nationale depuis le 25 septembre dernier.

« Le contexte est marqué par un paradoxe : d'un côté des entreprises qui peinent à recruter et de l'autre des chômeurs, souligne Paul-Henri Antonmattei. Mais j'ajouterais deux éléments à prendre en compte. D'une part, l'extrême complexité du marché du travail avec ce chiffre qui effraie : 85% des emplois de 2030 n'existent pas encore ! Et d'autre part, la place du travail qui fait l'objet, aujourd'hui, d'un débat majeur dans nos démocraties occidentales, et qui influence le positionnement des jeunes : le CDI temps plein pendant 43 ans au sein de la même entreprise, ça ne fait plus rêver ! Mais SNC n'a pas prêché dans le désert : le focus du projet de loi est sur votre cible prioritaire, les personnes depuis trop longtemps privées d'accès au marché du travail. »

Alors la loi permettra-t-elle d'améliorer la situation des personnes privées d'emploi stable ?

« Le chômage baisse aujourd'hui mais on ne voit pas de réduction significative de la précarité, fait observer Jean-Paul Domergue, responsable du pôle Plaidoyer chez SNC. On estime entre 2 et 3 millions le nombre de personnes privées durablement d'emploi stable. Pourquoi ne s'insèrent-elles pas dans les 300.000 à 400.000 offres d'emploi non pourvues ? Parce que les attentes des entreprises ne correspondent pas forcément aux attentes et aux compétences de ces personnes, dont les fragilités se cumulent souvent avec d'autres difficultés : logement, santé, garde d'enfants, mobilité, etc. Or l'objectif de plein emploi ne sera pas atteint si on ne considère pas les situations de ces personnes. Pour aboutir à une véritable insertion, nous préconisons un accompagnement en fonction des caractéristiques et des aspirations individuelles. »

« Personne n'est inemployable »

Laurent Cappelletti, professeur au CNAM et titulaire de la Chaire Comptabilité et Contrôle de Gestion, considère que le projet de loi prend le chemin du modèle nord-européen (comparé au modèle anglo-saxon) de flexi-sécurité, consistant en « un accompagnement exigeant des chômeurs, avec contractualisation de la formation sur un retour à l'emploi ». Denys Neymon met en garde tout en restant positif vis à vis du projet de loi : « Entrer dans une entreprise pour ces personnes éloignées de l'emploi, ça équivaut à monter dans un train en marche ! Dans le projet de loi, j'ai néanmoins trouvé une écoute de ces questions-là, avec une volonté profonde d'aller entendre tous les intervenants. Dire que personne n'est inemployable est assez courageux ! On comprend que ça va être complexe mais il faut plutôt encourager l'Etat dans cette voie. Il faudra que les associations de terrain, comme SNC, continuent à être entendues mais je suis optimiste ».

Le mot d'ordre général des parties prenantes de terrain est donc bien un renforcement de l'accompagnement individualisé. Pour Jean-Paul Domergue, chez SNC, « l'accompagnement doit se jouer à un niveau très local et correspondre aux besoins d'un bassin d'emploi car il existe une géographie du chômage. Les expérimentations "Territoire zéro chômeur de longue durée" sont de bons exemples. Et nous préconisons une grande autonomie des structures de Pôle Emploi pour pouvoir associer les partenaires locaux et les associations ».

« Je partage la nécessité de la coordination entre les acteurs, de l'accompagnement des publics sur le modèle des pays du nord, déclare Philippe Soursou, le directeur de Pôle Emploi Hérault, qui indique que le département de l'Hérault compte aujourd'hui 119.000 inscrits à Pôle Emploi (soit un taux de chômage de 9,8%) dont 63.000 qui n'ont pas travaillé le mois dernier. Le demandeur d'emploi est un acteur économique et social mais n'est ni une victime ni un faignant, et c'est ce qui fonde la relation que je dois nouer avec mes interlocuteurs... Le projet de loi traite des difficultés de recrutement : les entreprises vont devoir adapter leur mode organisationnel - par exemple dans l'hôtellerie-restauration - et leur marque employeur, et les demandeurs d'emploi adapter leurs attentes aux contraintes d'un emploi. »

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RSA : sanctions en vue

Dans le débat national, la question de la conditionnalité du revenu de solidarité active (RSA) à l'obligation d'effectuer 15 heures d'activité (d'insertion ou de formation) fait l'objet de crispations houleuses.

« Ce qui fonde le contrat d'engagement réciproque qu'il sera demandé au bénéficiaire de respecter, c'est que nul n'est inemployable, décrypte Philippe Soursou à Pôle Emploi. La suspension du RSA ne sera pas systématique : c'est sur la base d'un diagnostic initial sur ses compétences, ses capacités, etc. qu'on décidera d'un parcours, d'un objectif et d'une action attendue. »

Denis Neymon est toutefois inquiet de cette mesure de sanction à l'égard de personnes déjà fragilisées, et il n'est pas le seul dans l'écosystème associatif qui côtoie cette population.

« La possibilité de suspendre le RSA existe déjà mais elle n'est pas utilisée car en pratique, personne ne propose quoi que ce soit aux bénéficiaires du RSA, analyse-t-il. Chez SNC, nous considérons qu'il y a une dignité dans le travail qui contribue à faire des gens des citoyens. Le RSA et ses 15 heures d'activité doivent clairement être une façon d'aller vers un épanouissement de la personne, vers un travail qui lui convienne, et on sait déjà que mettre une contrepartie avec sanction est inopérant. Des heures d'activité, pourquoi pas, mais alors il faut aller plus loin dans l'accompagnement des personnes les plus éloignées de l'emploi en formalisant davantage cet accompagnement avec les associations qui font déjà ce travail. Car je ne pense pas que l'Etat puisse tout faire. »

Le professeur Antonmattei, lui, est dubitatif : « Pour construire le contrat d'engagement réciproque, il faut une liste de référents sur le terrain et pour l'heure, je ne vois pas les associations dans ce dispositif. Je crains les belles constructions démocratiques des élites qui coincent quand elles arrivent sur le terrain... ».

* Le Lab2e Montpellier sera piloté par un comité qui compte parmi ses membres Paul-Henri Antonmattei, Bernard Cabiron (gérant et Cabiron Traiteur à Montpellier), Laurent Cappelletti (professeur au CNAM, titulaire de la Chaire Comptabilité et Contrôle de 
Gestion), Christophe Carniel (président de VOGO à Montpellier), Mélanie Jaeck (professeur associé à Montpellier Business School - Chaire MIND), Michèle Tisseyre (avocate et présidente de FACE Hérault, vice-présidente de FACE Occitanie ), Liliane Rusagara-Dubois (chercheur d'emploi), François Rousseau (directeur général de Groupama Méditerranée), et Emil Tchaloyani (responsable RH de Carrefour Sain-Clément-de-Rivière).

Les chiffres du RSA dans l'Hérault

Selon les chiffres communiqués par le Conseil départemental de l'Hérault, les  39.755 foyers perçoivent le RSA dans le département en 2023, soit 44.098 bénéficiaires. Le montant global des versements se situe entre 20,5 et 21 millions d'euros par mois (CAF et MSA). L'Hérault comptait 45.428 bénéficiaires en 2019, 49.567 en 2020, 45.970 en 2021, et 44.942 en 2022.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 3
à écrit le 03/10/2023 à 21:10
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Encore de la deconstruction ! Bref, les entreprises, c'est des mâles blancs capitalistes heteros qui mangent de ka cote de bieuf qui rechauffe le climat et les chômeurs, donc la gauche va te kes deconstruire avec bienveillance pour qu'ils comprennen...

à écrit le 03/10/2023 à 20:06
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Bonjour, De nombreuses personnes n ont pas de mobilités,sdf, pauvres, migrant adoma, aucune assistance, pas d autorisation de travailler, pas de formation au français , seuls les ukrainienes ont l accès protégés sur 3 ans logées nourries avec dép...

à écrit le 03/10/2023 à 20:03
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Bonjour, De nombreuses personnes n ont pas de mobilités,sdf, pauvres, migrant adoma, aucune assistance, pas d autorisation de travailler, pas de formation au français , seuls les ukrainienes ont l accès protégés sur 3 ans logées nourries avec dép...

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