![Benoît Hamon, président de ESS France, était à Montpellier le 3 juillet 2024.](https://static.latribune.fr/full_width/2402585/benoit-hamon-president-de-ess-france-etait-a-montpellier-le-3-juillet-2024.jpg)
A l'occasion de son assemblée générale le 3 juillet à Montpellier, la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire (CRESS) Occitanie avait invité Benoît Hamon. Ancien ministre (PS), notamment de l'ESS de 2012 à 2014, il est aujourd'hui directeur général de l'ONG internationale SINGA Global. Il a été élu président de ESS France (anciennement la chambre française de l'économie sociale et solidaire) le 10 avril dernier.
Objectif de cette rencontre : évoquer les dix ans de la loi relative à l'économie sociale et solidaire (ESS) mais aussi le contexte de crise politique qui a suivi la dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République, le 30 juin dernier.
LA TRIBUNE - Quel regard portez-vous sur le contexte de crise politique qui secoue la France ?
Benoît HAMON, président de ESS France - On connaît la situation, le phénomène d'abandon, le sentiment du déclassement. J'aime bien cette phrase d'un philosophe français qui parlait des Français en milieu rural hostiles à l'immigration comme des « migrants immobiles, qui ont le sentiment que leur pays les a quittés »... Ces gens constatent qu'en plein d'endroits du territoire, il n'y a plus d'égalité dans le service public, il y a des déserts médicaux, etc. Cela fait des années que des réponses ne sont plus données. Je ne méprise pas les peurs mais ceux qui instrumentalisent les peurs ! Et faire commerce de ça est détestable. La libération de la parole raciste crée du désordre. Un projet inégalitaire contrevient à nos principes, tout comme favoriser des modes de délibération qui reposent sur des décisions verticales et autoritaires. J'entends « le RN, on n'a pas essayé ». Mais c'est peut-être parce qu'il y a une raison, du bon sens collectif à ne jamais l'essayer ! (...) Il y a un seul point sur lequel le programme du RN ne ment pas : demain, s'ils sont élus, ils mettront énormément d'énergie à pourchasser, harceler, mettre en danger ceux qu'ils désignent comme les responsables des difficultés des Français. Leur seul sujet n'est pas d'améliorer la vie des Français, mais de faire mal à certains, par exemple aux étrangers, aux féministes, aux écologistes, au prétexte que ça rendrait notre quotidien meilleur. Mais j'ai confiance dans l'intelligence démocratique des Français.
Compte tenu du contexte de crise politique, vous êtes-vous interrogé sur la possibilité de retourner en politique ?
L'hypothèse de retourner dans le champ partisan s'est posée au moment de la dissolution, quand on m'a proposé d'être candidat aux législatives alors que je venais de prendre la présidence de ESS France. J'y ai réfléchi et ce n'est pas une décision facile à prendre. Mais je me suis dit que si on en arrive à la situation où l'extrême droite prend le pouvoir, où des pans entiers du secteur associatif, médico-social, mutualiste, etc. vont être remis en cause, je serai plus utile engagé dans la société civile qu'à l'Assemblée nationale...
Le débat organisé par la CRESS Occitanie ce 3 juillet s'intitule « Face à l'extrême-droite, les acteurs de l'ESS appellent à l'engagement pour une société solidaire et désirable ». Pourquoi l'ESS se mobilise-t-elle dans cet entre-deux-tours ?
L'ESS incarne l'économie qui privilégie la coopération à la compétition, la solidarité à l'inégalité, la démocratie au pouvoir personnel. Il est donc logique que l'ESS contribue au débat démocratique et éclaire les citoyens de son expertise du terrain, pour dire que si l'extrême droite gagne, c'est tout ce qui nous lie qui risque de disparaître... L'ESS ne s'intéresse pas qu'aux mesures politiques qui concernent son modèle économique mais aussi à la fiscalité, aux salaires, à l'écosystème des modèles non lucratifs, etc. Notre projet n'est pas fataliste, il ne désespère pas de l'humanité ni d'améliorer le quotidien. L'ESS ne choisit pas, elle ne trie pas les individus.
Craignez-vous que certains pas de l'ESS soient dans le collimateur du RN s'il advenait au pouvoir ?
Oui. Le projet de l'extrême droite, c'est d'abord une liste de boucs émissaires. Et si l'ESS n'est pas dessus au début, la probabilité qu'elle y figure à terme est importante ! A commencer par les mutuelles. Le mutualisme est considéré par le RN comme un avatar du syndicalisme qu'il faut combattre. Alors que les établissements mutualistes, on ne choisit pas qui on soigne, ni en fonction de l'origine ou de la religion. Tout le champ associatif assurant l'accès au droit est une cible potentielle, tout comme la culture ou les associations écologistes. Un parlementaire sur deux du RN ne croit pas qu'il y a un problème climatique ! A-t-on envie d'être gouvernés par les croyances farfelues de gens qui n'écoutent ni les scientifiques, ni les médecins, ni ceux qui nous alertent sur des crises ? L'ESS n'a peut-être pas été suffisamment accompagnée par les politiques publiques depuis les sept dernières années, mais avec le RN, nous aurions des pouvoirs publics hostiles à ce que nous incarnons, à nos modèles, à certaines de nos activités.
Votre loi, la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, a dix ans. Quels constats faites-vous dix ans après ?
L'ESS a gagné en reconnaissance, en crédibilité. Elle est plus capable qu'avant de démontrer son impact social. Aujourd'hui, elle pèse 10% du PIB, plus de 200.000 entreprises et 2,6 millions d'emplois. Reste qu'il eut été formidable si, en dix ans, l'ESS avait doublé son nombre d'emplois et sa valeur économique dans cette période où nous avons besoin que les entreprises soient plus tempérantes. Car la croissance de ces 50 dernières années n'a pas conduit à réduire les inégalités, et la prédation exercée par notre système économique sur les écosystèmes naturels est devenue de plus en plus violente. Or le modèle de l'ESS, tempérant, prépare l'avenir et crée des emplois mais s'intéresse aussi aux conséquences de la production sur le climat, les inégalités, intégrant l'intérêt général à l'activité économique. Pourtant, dans les vingt dernières années, l'Etat n'a pas inscrit le développement de l'ESS comme un acte fondamental pour aider notre économie à pivoter. Dans le plan France 2030, pas une ligne sur l'ESS ! C'est une forme de myopie des élites économiques et politiques. Nous avons donc de solides critiques à adresser au gouvernement actuel. Car quel budget avons-nous du côté de l'Etat ? 20 millions d'euros ! Donc on est moins aidé que l'économie conventionnelle. On fait sans l'Etat.
Cette loi pourrait-elle être détricotée par un RN au pouvoir ?
Oui, il pourrait la juger contraire à sa foi dans l'économie capitaliste. Le RN ne jure que par la propriété privée et l'initiative individuelle ! Une entreprise de l'ESS permet à chaque associé d'avoir une voix, quel que soit le nombre de parts qu'il détient : on décorrèle donc le pouvoir dans l'entreprise de l'argent qu'on met sur la table. C'est une approche de l'entreprise qui repose sur la délibération collective. Dans les territoires où ça vote RN parce qu'il n'y a plus de services publics, parce que les entreprises profitables sont parties, il reste des établissements mutualistes, des structures d'insertion par l'activité économique, des associations, et ça, c'est l'ESS ! Croisons-les doigts pour qu'on n'installe pas à la tête de l'Etat un jeune homme qui va casser la maison !
Que peut apporter l'ESS à la situation politique actuelle ?
Il y a une jolie formule d'un grand défenseur de l'ESS, Patrick Viveret qui dit que « la démocratie, c'est se mettre d'accord sur nos désaccords ». Or nous sommes de plus en plus intolérants aux désaccords des autres ! C'est une vraie régression. L'ESS a des ressources culturelles et intellectuelles et des pratiques à partager, et à polleniser dans la société pour être des anticorps.
Patrick Jacquot, président de la Mutuelle des Motards, président de la CRESS (Chambre régionale de l'Economie sociale et solidaire) Occitanie : « Ce que nous faisons à une portée politique et nous avons un rôle à jouer. En Occitanie, la carte des votes montre que là où nous sommes très présents, dans la ruralité, c'est là où le RN a fait une percée. Nous avons été interpellés, or nous sommes en lien avec ces habitants et nous avons une responsabilité en tant qu'acteurs sur les territoires, montrer une alternative. Montrer que l'ESS concilie l'économie avec une utilité sociale et l'intérêt général ». Sophie Sachet, présidente La cagette (supermarché participatif et coopératif à Montpellier, 4.500 coopérateurs, 3,5 millions d'euros de chiffres d'affaires) : « La Cagette se veut une alternative à la grande distribution avec l'ambition de lutter contre les inégalités alimentaires en soutenant les filières de production alimentaires durables. Notre conviction, c'est que la diversité est une force et que la coopération est une clé. Même si nous n'avons pas pour habitude de nous positionner comme prescripteurs quels qu'ils soient, nous considérons que nous sommes légitimes à défendre ces valeurs et nous invitons les coopérateurs à s'engager ces prochaines semaines et prochains mois, sous toutes les formes possibles ». Hélène Meunier, vice-présidente déléguée à l'ESS au Conseil départemental du Gard : « Je suis sur un territoire rural où les populations sont en souffrance, en colère, et pas entendues. C'est un signal inquiétant qui a été envoyé car les gens ont plus que jamais besoin de solidarité et de démocratie participative, justement incarnées par l'ESS. Ce secteur donne sa réponse politique ». René Moreno, conseiller régional délégué à l'ESS à la Région Occitanie : « La Région est à vos côtés et le restera. Le temps n'est pas à l'indifférence ! Notre réflexe républicain est plus que jamais d'actualité concernant la défense des libertés individuelles et collectives et la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Notre société civile est un espace précieux d'expression et d'action. L'histoire nous regarde ! »Entendu à la CRESS Occitanie...
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