Quand le BTP brainstorme sur l’intelligence artificielle

Comment les métiers de la construction peuvent-ils évoluer grâce à l’IA et comment exploiter au mieux ces opportunités ? Peut-on améliorer le travail des collaborateurs sur chantier grâce à l’exploitation des données ? Comment rendre les chantiers plus intelligents ? Autant de questions qui se posent avec acuité et intérêt les acteurs du bâtiment. Alors qu’ils ont encore peu investi le sujet, la FFB Occitanie les invite à y réfléchir sérieusement pour ne pas rater le train de la précieuse data.
Cécile Chaigneau
Dans l'acte de construire, l'intelligence artificielle peut, comme dans d'autres secteurs d'activité, simplifier des tâches chronophages à faible valeur ajoutée, améliorer l'organisation des chantiers ou les rendre intelligents.
Dans l'acte de construire, l'intelligence artificielle peut, comme dans d'autres secteurs d'activité, simplifier des tâches chronophages à faible valeur ajoutée, améliorer l'organisation des chantiers ou les rendre intelligents. (Crédits : DR)

« Nous avons rapidement décelé qu'il existait, dans le cadre d'une opération de promotion immobilière, de nombreuses tâches répétitives à faible valeur ajoutée que l'IA pourrait simplifier, libérant les salariés pour d'autres tâches » témoigne Paul Biglione, directeur maîtrise d'ouvrage chez FDI Promotion (800 logements en cours de production) à Montpellier.

Avant de développer les applications utiles de l'intelligence artificielle dans ses activités : « Le premier chantier sur lequel l'IA pourrait nous aider, c'est sur le fait que nous gérons plusieurs opérations en même temps, or aucun outil ne nous donne une vision globale, des alertes financières ou de planning. C'est donc source d'erreur et chronophage. Une IA pourrait croiser toutes ces données et nous donner une information en temps réel. Sur le plan financier, le bilan d'un promoteur comprend 200 lignes mais aucune intelligence pour piloter ces budgets, alors que pour déposer un permis de construire, il faut compiler les données du maître d'œuvre, de l'architecte, les pièces techniques, etc., donc une première lecture par l'IA serait très utile. Sur le SAV, il faut imaginer qu'au bout de 30 ans, nos bâtiments doivent subir des changements et nous passons beaucoup de temps à chercher des documents anciens : l'IA peut nous aider à archiver et ensuite mobiliser la données rapidement... Nous sommes aux prémices de l'intégration de l'IA chez FDI. Nous sommes en phase d'acculturation, nous réalisons un audit pour passer en revue tous nos métiers ».

Le secteur du bâtiment fait face à de nombreuses mutations, qu'elles soient numérique, écologique, technologique ou d'industrialisation de la filière. La révolution impulsée par l'exploitation des données et la montée en puissance de l'outil d'intelligence artificielle (IA) touchent tous les secteurs, y compris celui du bâtiment, et les acteurs de la construction doivent s'en emparer pour ne pas être dépassés par la concurrence mais aussi pour moderniser leur image et améliorer leur attractivité.

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« Le juste besoin, au juste coût avec les justes compétences »

C'est pour épouser le sens de l'histoire et du progrès que la Fédération française du Bâtiment (FFB) Occitanie consacrait sa deuxième journée « Bâtisseurs de Futurs » à l'IA dans la construction, le 26 juin dernier. Avec une question posée : « Quelle promesse de l'IA pour la construction ? ».

« L'IA est partout et déjà dans le bâtiment, et nous sommes peut-être partis un peu plus tard que d'autres mais ça se rattrape, assure Frédéric Carré, président de la FFB Occitanie. Le rôle de la FFB est aussi d'aider les entreprises à monter en compétence et à travailler sur les opportunités qu'offre l'innovation. L'IA, c'est d'abord la data, or c'est un enjeu majeur car le bâtiment est un secteur fragmenté. Il faut donc aller collecter la data et la partager. »

L'or noir de la donnée, éparpillé au cœur des nombreuses petites et moyennes entreprises du bâtiment et de l'acte de construire, est justement le premier enjeu à embrasser. Karine Leveque-Lhote, dirigeante de Atreal BTP à Martigues, vice-présidente de la FFB des Bouches-du-Rhône et présidente de la commission IA de la FFB, évoque cette difficulté : « Les données sont partout : elles sont informatiques mais aussi dans les archives, dans nos véhicules sur la conduite et le carburant consommé, sur la productivité sur les chantiers... La première des questions à se poser est donc de savoir où sont stockées nos données, sont-elles exploitables ? Il faut travailler avec les collaborateurs qui font remonter les problématiques, les tâches chronophages ou pénibles ».

« L'IA et l'innovation sont une porte ouverte sur une réorganisation, une façon de gagner du temps, de gagner en compétitivité, d'optimiser les achats des matériaux et les coûts, énumère-t-elle. De faire mieux en ayant le juste besoin, au juste coût avec les justes compétences. Les mots-clés sont optimisation et récupération de valeur ajoutée. Car nos données ont de la valeur, c'est un patrimoine documentaire... Ce patrimoine peut nous permettre de mieux planifier les chantiers, d'éviter des bugs d'approvisionnement en matériaux par exemple, etc. »

Quant savoir si l'IA représente une menace pour l'emploi, la dirigeante répond : « Je ne pense pas. Il faut faire une différence entre métier et tâches : certaines vont disparaître, mais les métiers vont être réinventés ».

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Automatiser des tâches

Au niveau national, la FFB a déjà travaillé sur le projet d'une plateforme d'intermédiation de données où stocker les données de la profession et des métiers connexes, et destinée à l'usage des adhérents, « sur le modèle de ce qui s'est déjà fait dans l'agriculture et l'agroalimentaire », indique Karine Leveque-Lhote, qui ajoute que des cessions d'acculturation à l'IA existent déjà pour les adhérents de la FFB. Elles seront complétées, en septembre, par des petites vidéos en ligne, podcasts et webinaires mensuels sur le sujet. Car si les grands groupes peuvent embrasser le sujet grâce à leurs compétences internes ou leur capacité à recourir à des prestataires, ce n'est souvent pas le cas des PME, démunies face à l'ampleur du sujet.

Mikaël Blanville, directeur général associé du groupe toulousain BETEM (ingénierie du bâtiment, 400 salariés) raconte son quotidien : « Notre mission est de dimensionner des solutions techniques et des choix technologiques les plus appropriés, une démarche complexe qui fait intervenir les besoins du maître d'ouvrage mais aussi le planning, le budget, les performances environnementales, la maintenance, etc. L'IA est un outil pour automatiser des tâches, par exemple les appels d'offres qui consomment beaucoup de bande passante, la lecture d'un programme de plusieurs milliers de pages pour un concours auquel il faut répondre en un temps restreint, la rédaction automatisée de comptes-rendus. L'IA peut aussi améliorer l'efficacité de la conception en générant plusieurs scenarii, et de l'après-construction... Aujourd'hui, la data du groupe est structurée mais nous en sommes au stade du brainstorming sur l'IA ».

Jean Ramirez, président Largier Technologie (génie climatique, 150 salariés) et vice-président de la FFB Drôme-Ardèche, est un « early adopteur » de la donnée : « Nous nous sommes fait accompagner et nous avons commencer par cartographier nos données. Notre première intention était d'améliorer nos processus pour le client. Nous avons défini vingt cas d'usage et les axes coûts/apport pour les hiérarchiser. Et nous avons aussi recruté un data-scientist... Car ce qui m'inquiète, c'est que mon concurrent utilise Chat GPT ou qu'un nouvel entrant se mettre entre le client et moi ! ».

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« Attention à ne pas griller les étapes »

Anne Laurent, vice-présidente déléguée à l'Université de Montpellier, dirige l'institut des sciences de la donnée : « J'ai entendu chez vous une posture d'ouverture positive et j'ai vu un regard mûr sur le sujet. Partir de l'usage, c'est bienvenu ».

Liva Ralaivola, vice-président Research pour l'entreprise toulousaine Criteo (spécialiste du ciblage publicitaire en ligne), recommande de s'acculturer a minima sur l'IA avant de se lancer, d'identifier les problèmes bloquants qui pourraient se régler avec de l'IA et « de faire des hackathons avec salariés autour d'un projet » pour les embarquer dans la démarche.

« En termes de maturité à l'IA, il faut d'abord voir si l'entreprise est digitalisée, avec quels logiciels, quelles données, quelles compétences chez les salariés, avant d'évaluer le potentiel des données et de définir une stratégie et une gouvernance, recommande Gaël Philippe, président de l'entreprise montpelliéraine Datasulting, spécialisée dans l'analyse et la valorisation des données. Attention à ne pas griller les étapes ! Ne commencez pas par la technologie mais par vos besoins. »

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Cécile Chaigneau

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