« Nos universités ont besoin des étrangers » (F. Pierrot, Université de Montpellier)

ENTRETIEN - Alors que le Rassemblement national est aux portes du pouvoir, portant des propositions de préférence nationale ou de mise à l’écart de binationaux dans certaines fonctions, François Pierrot, chercheur en robotique au CNRS et vice-président de l’Université de Montpellier en charge des relations internationales, souligne l’importance des chercheurs étrangers dans les établissements d’enseignement supérieur français.
Cécile Chaigneau
François Pierrot, chercheur en robotique au CNRS et vice-président de l'Université de Montpellier en charge des relations internationales.
François Pierrot, chercheur en robotique au CNRS et vice-président de l'Université de Montpellier en charge des relations internationales. (Crédits : Université de Montpellier)

LA TRIBUNE - Vous défendez, durant cet entre-deux-tours des législatives, l'importance des chercheurs étrangers pour les universités. Pourquoi ?

François PIERROT, chercheur en robotique au CNRS et vice-président de l'Université de Montpellier en charge des relations internationales - A l'heure où certains briguent nos suffrages en promettant de nous « protéger » des étrangers, nombreux sont ceux qui ont déjà rappelé quelques caractéristiques quasi-universelles des établissements d'enseignement supérieur et de recherche dans le monde. La science, les connaissances, les idées ne connaissent pas de frontières. Pour être efficaces, les universités ont besoin d'autonomie pour la recherche, tout autant que de liberté académique et pédagogique. Ceci implique que ces institutions soient ouvertes sur le monde, qu'elles accueillent des étudiants et des chercheurs étrangers, qu'elles recrutent des experts étrangers, et qu'en retour elles envoient leurs étudiants et chercheurs à l'étranger. Dans le milieu universitaire, j'enfonce une porte ouverte, le sujet fait consensus quelles que soient les convictions politiques. Mais en dehors, cette posture n'est pas de la naïveté ou un point de vue de "bobo" déconnecté de la réalité et rêvant d'universalisme : c'est un fait. Il faut regarder la réalité comme elle est et non comme on la fantasme !

« La science, les connaissances, les idées ne connaissent pas de frontières. »

Quels sont les bénéfices de ces échanges d'étudiants et de chercheurs pour l'université, pour la connaissance, pour la recherche ?

Le RN et certains autres - car il y avait aussi des choses dans la loi Immigration de l'an dernier - véhiculent des peurs liées aux étrangers, souvent sous-entendus non-européens, or ils sont indispensables au fonctionnement des universités et des systèmes de recherche en France et partout dans le monde. On peut toujours penser que lorsqu'on accueille et forme des étudiants, on leur rend service. Mais quelle que soit leur nationalité, ceux qui viennent faire une thèse en France produisent de la recherche et donc apportent de la connaissance, de l'intelligence, de la force de travail. S'ils n'étaient pas là, ce serait autant de résultats et de brevets en moins ! Et puis il y a aussi dans nos universités des enseignants-chercheurs étrangers ou binationaux comme il y en a dans d'autres pays, c'est comme ça que ça marche, et depuis longtemps. Dans certains secteurs, par exemple dans des pays moins développés, certains sont en avance sur nous sur certains sujets. Par exemple sur l'eau qui se raréfie, il est probable que des chercheurs marocains, qui ont une longue expérience du problème, aient beaucoup à nous apprendre, ou encore des chercheurs brésiliens sur la biodiversité. C'est un besoin patent.

Prenons l'exemple de l'Université de Montpellier : combien accueille-t-elle d'étudiants et chercheurs étrangers ?

Elle compte 6.500 étudiants étrangers* mais je ne connais pas le nombre de chercheurs étrangers** car c'est une donnée qui fait partie des dossiers individuels... Mais je rappelle que l'Université de Montpellier est classée parmi les 200 universités les plus performantes en recherche dans le monde. Elle est dans le TOP 1%. Or parmi les 2.100 jeunes chercheurs qui y préparent une thèse, et qui représentent une des parts les plus actives en recherche, 40% sont des étrangers. Fermons nos frontières à ces jeunes chercheurs étrangers, dont 1/3 vient d'Afrique, et ce sera autant de découvertes retardées, de thérapies qui n'arriveront pas jusqu'aux malades, d'innovations technologiques qui resteront lettres mortes... Alors oui, nos universités ont besoin des étrangers !

« Une partie d'entre eux reste en France et c'est une chance car on manque de compétences dans certains secteurs ou profils. »

Si la France n'accueillait plus (ou moins) d'étudiants et chercheurs étrangers, quel serait le revers de la médaille pour le rayonnement de ses universités et de son enseignement supérieur dans le monde ?

Il y a en effet une question de rayonnement, de reconnaissance, car s'ils n'étaient pas là on produirait moins de connaissances. Mais il faut aussi voir qu'une partie d'entre eux reste en France et c'est une chance car on manque de compétences dans certains secteurs ou profils. Ainsi, la France forme 45.000 ingénieurs et il en manque 20.000... Et concernant ceux qui retournent ensuite dans leur pays d'origine ou qui vont dans un autre pays, ils emportent un morceau de la France, des connexions, des contacts et ça en fait des ambassadeurs de la France, de l'université française, des produits et des modes de vie français.

Peut-on trivialement raisonner coût en la matière ?

Le ministère des Affaires étrangères délègue à la structure Campus France l'organisation de la venue d'une partie des étudiants étrangers. Selon une étude produite par cet organisme, évaluant l'apport économique des étudiants étrangers par rapport à ce qu'ils coûtent, il existe une différence nette positive de 1,3 milliard d'euros. Et c'est sans compter qu'ils vont produire des brevets... Quel que soit le bout par lequel on le prend, ces étrangers sont un bénéfice pour la France.

* Selon les derniers chiffres de Campus France, les étudiants étrangers étaient 412.087 dans l'enseignement supérieur français en 2022-2023, un chiffre en augmentation de 3% sur un an et de 17% sur cinq ans.

** Selon les chiffres de la publication statistique biennale "L'État de l'emploi scientifique 2023", la France se place au 6e rang mondial en termes de densité de chercheurs (nombre de chercheurs pour mille emplois). Elle attire plus de jeunes chercheurs étrangers que la moyenne de l'Europe ou de l'OCDE. La direction générale des ressources humaines de l'Education nationale indiquait en 2022 qu'en 2020, 7% des enseignants-chercheurs exerçant en France étaient étrangers.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 3
à écrit le 04/07/2024 à 18:33
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C'est très généreux d'offrir des postes de la fonction publique à des étrangers parce qu'ils sont étrangers. Cela signifie simplement que ces étrangers auront été préférés à des Français. Indépendemment des échanges internationaux et culturels. Combi...

à écrit le 03/07/2024 à 18:38
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Bonjour, bon le problème s'est que je ne vois pas l'intérêt dans la présence d'étranges dans nos universités... D'ailleurs beaucoup de jeunes français ne peuvent allé a l'université du fait de peux de moyen, donc ils me semblent importants d'instruir...

à écrit le 03/07/2024 à 16:29
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« Nos universités ont besoin des étrangers » C'est déja le cas : Plus de 412 000 étudiants internationaux en France. En 2022-2023, les étudiants étrangers étaient 412 087 à être inscrits dans l'enseignement supérieur français,en augmentation de ...

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