Guerre de l’eau dans l’Hérault : les projets de bassines pour irriguer la vigne créent la discorde

Alors que le « convoi de l’eau », rassemblant des opposants aux méga-bassines, est en marche pour Paris où il est attendu les 26 et 27 août, des projets de retenues hivernales (autrement appelées « bassines ») agitent l’été héraultais. D’un côté, le Conseil départemental de l’Hérault qui prône une irrigation « modérée » et projette de récupérer l’eau du Rhône, en période hivernale, pour alimenter trois retenues d’eau qui serait redistribuée en été. De l’autre, France Nature Environnement, pour qui les bassines ne sont pas une solution. Ou comment la question de la ressource en eau vient heurter les modèles économiques en place.
Cécile Chaigneau
En souffrance du fait de la sécheresse, les vignes dans l'Hérault ont aujourd'hui besoin d'irrigation.
En souffrance du fait de la sécheresse, les vignes dans l'Hérault ont aujourd'hui besoin d'irrigation. (Crédits : CD 34)

La guerre de l'eau a indéniablement commencé. Alors que la sécheresse sévit sur la région Occitanie, deux camps s'affrontent dans l'Hérault autour de projets d'extension de l'irrigation agricole porté par le Conseil départemental, à l'aide de ce qu'il nomme des « retenues hivernales ». L'objectif : récupérer et stocker l'eau du Rhône l'hiver pour irriguer les vignes en souffrance l'été. L'Hérault compte quelque 78.000 hectares de vigne pour une production annuelle moyenne de 4,7 millions d'hectolitres de vin, se positionnant ainsi à la première place nationale en termes de production vitivinicole et à la deuxième place après la Gironde en superficie.

Sans surprise, plusieurs associations s'opposent au projet. S'il ne s'agit pas là de méga-bassines comme celle qui a défrayé la chronique à Sainte-Soline en mars dernier, les opposants qualifient bien les retenues hivernales de « bassines ». A ce sujet, France Nature Environnement (FNE) se fend d'un rappel sémantique : « Une bassine est un stockage d'eau déconnecté du réseau hydrographique, entouré de digues, alimenté soit par de l'eau souterraine, soit par de l'eau superficielle comme c'est le cas pour les projets du département de l'Hérault. A ne pas confondre avec une retenue collinaire, également hors cours d'eau mais alimentée par le ruissellement pluvial ».

4,5 millions de m3 d'eau

Dans le cas des projets héraultais, on parle d'un projet de trois retenues hivernales dans un premier temps (quatre autres plus tard) sur les communes de Florensac, Coulobres et Magalas, et qui s'inscrivent dans le Schéma Départemental de Développement de l'Irrigation (SDDI) 2018-2030 "Hérault Irrigation".

« On ne peut pas parler de "bassines", martèle Yvon Pellet, vice-président délégué à l'économie agricole et à l'aménagement rural au Département de l'Hérault. Et nous sommes très clairs : il est hors de question de pomper dans la nappe phréatique ou de dévier un cours d'eau ! Dans l'Hérault, nous avons le programme Aqua Domitia porté par BRL depuis 50 ans, mais qui ne peut pas aller partout. Le projet, c'est de créer des retenues à proximité des branchements BRL et l'hiver, pendant que ces tuyaux ne fonctionnent pas, les utiliser pour remplir les trois retenues, soit 4,5 millions de m3 d'eau, pour les redistribuer en été en complément du réseau hydraulique BRL. »

Le projet Aqua Domitia est une extension du grand réseau hydraulique d'eau brute, pluri-usages, créé par BRL dans les années 1960 pour accompagner la mutation de l'agriculture et le développement urbain et touristique du Gard, de l'Hérault et de l'Aude, en mobilisant des ressources issues du Rhône ou de barrages qui se substituent à des prélèvements dans des ressources locales en tension.

Irriguer 3.500 ha

Yvon Pellet, revendiquant l'appui de la Chambre d'agriculture de l'Hérault et de son président Jérôme Despey, viticulteur et secrétaire général de la FNSEA, s'arc-boute sur un argument principal : « Le changement climatique est une réalité et aujourd'hui, l'agriculture a besoin d'eau, même la viticulture : il s'agit donc de répondre au stress hydrique de la vigne, sinon elle va crever, afin de sauver des exploitations ! Les projets des trois retenues en cours pourraient bénéficier à 200 exploitations agricoles sur 3.500 hectares. Mais si un éleveur ou un maraîcher qui veut s'installer a besoin d'eau, il pourra utiliser ces retenues. Et les pompiers seront prioritaires si nécessaire... Notre démarche, c'est de sauver une économie ! Quand un immeuble brûle, on éteint le feu. C'est la même chose... Ce qui ne nous empêche pas de travailler aussi sur les cépages résistants ou des alternatives aux intrants. D'ailleurs, les agriculteurs ont des fait des efforts colossaux en matière de pratiques et d'irrigation ».

« On n'a pas eu 200 mm de pluie sur l'année, donc ces retenues sont indispensables dans ce contexte de sécheresse, confirme Benjamin Boillat, viticulteur et président des Jeunes Agriculteurs de l'Hérault. Aujourd'hui, des exploitations sont menacées. Les trois sites retenus sont des secteurs qui ne sont pas irrigués par le réseau BRL et c'est le seul espoir pour les viticulteurs. »

« La mer a besoin d'eau elle aussi »

Evidemment, les membres de FNE OcMed ne l'entendent pas de cette oreille. Sur le volet environnemental d'abord, l'association soulignant que « les besoins en eau du Rhône vont augmenter pour l'alimentation en eau potable en raison de la croissance démographique, et pour le soutien d'étiage de plusieurs cours d'eau, y compris en hiver du fait du changement climatique ».

Yvon Pellet, qui vante la politique respectueuse du Conseil départemental en matière environnementale - « hors de question aujourd'hui qu'on fasse des golfs par exemple ! », assure-t-il - plaide l'utilisation « d'une structure qui dort en hiver », et rappelle que « le Rhône, c'est 55 milliards de m3 qui partent à la mer chaque année, et que BRL a une autorisation de prélèvement de 150 millions de m3 par an ».

« Ce n'est pas vrai que les tuyaux ne servent pas en hiver, puisqu'il y a des communes littorales qui sont alimentées en eau potable par Aqua Domitia, réagit Thierry Uso, membre de FNE Occitanie Méditerranée (OcMed). L'eau apportée par Aqua Domitia n'est donc pas entièrement dédiée à l'irrigation. D'ailleurs, BRL précise qu'elle se répartit à 40% pour l'irrigation, 40% pour l'eau potable et 20% en soutien d'étiage. »

A cet argument, Marielle Montginoul, directrice de recherche en économie à l'INRAE au sein de l'UMR G-Eau de Montpellier et aujourd'hui présidente comité scientifique du bassin Rhône Méditerranée Corse, ajoute que « la mer a besoin d'eau elle aussi », et qu' « il peut y avoir de l'eau disponible dans le Rhône aujourd'hui mais qu'en sera-t-il demain ? ».

« D'autant qu'il y aura de l'évaporation, entre 20 et 50%, et ça ils n'en parlent pas, ajoute Thierry Uso. Je suis moins opposé aux retenues collinaires, qui stockent l'eau de pluie qui ruisselle, sans impact important donc sur les milieux aquatiques. Mais il n'en est pas question car cela a déjà été fait partout où c'était possible, et parce que les retenues collinaires stockent un volume quasiment dix fois plus faible, et comme il y a de moins en moins de pluie, il n'y a aucune assurance que la retenue soit pleine en été. »

De la mal-adaptation

Même si elle ne travaille pas sur ces projets héraultais spécifiquement, la chercheuse Marielle Montginoul se positionne néanmoins, notamment avec sa casquette de membre du comité de bassin Rhône-Méditerranée, lequel avait rédigé, en mars 2020,  un avis sur l'intérêt économique des retenues de substitution dans le cadre d'une saisine : « Les retenues de substitution consistent à faire des prélèvements dans des cours d'eau en hiver pour remplir les bassine, plutôt qu'en été quand ils sont en mauvais état. Dans le cas de retenues hivernales, il peut s'agir de substitution mais aussi de nouveaux usages, comme c'est le cas de l'Hérault puisqu'il s'agira d'irriguer des vignes jusqu'à présent non irriguées ».

Or, outre le fait que ces retenues hivernales ne profiteront qu'à une minorité de viticulteurs, c'est là l'autre problème : doit-on continuer à faire de la vigne ?

La FNE interroge donc elle aussi le modèle économique sous-jacent derrière l'irrigation, avec cette question qui fâche dans un département dont l'identité repose en partie sur la viticulture.

« Les projets de bassines du Conseil Départemental de l'Hérault ne doivent évidemment pas être mis sur le même plan que les méga-bassines de l'ouest de la France, mais ça ne signifie pas qu'ils sont une solution d'avenir, déclare Simon Popy, le président de FNE OcMed. Il est largement démontré que l'extension de l'irrigation conduit à l'accroissement de la dépendance à la ressource en eau. Comme cette ressource diminue avec le changement climatique, et que les tensions autour de son usage se renforcent mécaniquement, la politique du toujours plus d'irrigation relève de la mal-adaptation. Nous ne pouvons pas soutenir ce modèle de développement. »

« Faire attention aux irréversibilités »

« Nous pensons que ce serait plus pertinent d'irriguer des cultures maraîchères ou certaines céréales nécessitant peu d'eau, d'autant que la vigne connaît une situation de sur-production, souligne Thierry Uso. Il faut arrêter de faire de la vigne si on n'a pas d'eau. Ou alors changer les pratiques culturales, arrêter de rendre les sols imperméables et éviter le ruissellement. Je ne suis pas contre la vigne mais contre ces pratiques dans des zones impactées par le réchauffement climatique comme le littoral héraultais. »

La chercheuse de l'INRAE renchérit sur la même mise en garde : « On parle là de retenues pour de nouveaux usages d'irrigation, or déjà pour les retenues de substitution, il faut être prudent : si l'eau n'est pas toujours disponible en été, l'agriculteur peut être incité à adopter des plantes qui peuvent résister à la sécheresse. Mais s'il est assuré d'avoir de l'eau, il peut être tenté de continuer les mêmes cultures et les mêmes pratiques culturales... Et il faut faire attention aux irréversibilités : dès lors qu'on met en place une infrastructure, elle va durer longtemps même si on s'est trompé car compte tenu des investissements réalisés, il est rare qu'on la démonte. Ainsi, on sanctuarise les pratiques d'avant et les agriculteurs ne s'adaptent pas autant qu'ils pourraient le faire ».

Enfin, Thierry Uso pointe « un contexte de vieillissement de la profession viticole », à quoi Yvon Pellet argumente que « si on ne met pas en place des structures pour faire venir des jeunes, la profession va disparaître ».

« Nous avons des IGP qui nous limitent dans les rendements donc nous n'avons pas tant de sur-production que ça, répond Benjamin Boillat. Justement, l'irrigation va nous permettre de maintenir nos rendements. Les jeunes qui viennent de s'installer veulent pouvoir gagner leur vie. Nous ne sommes pas de grosses exploitations, et nous sommes tous très raisonnés. Nous avons évolué vers des certifications environnementales, on ne désherbe plus en plein mais seulement sur un cordon de 20 cm, et les certifications restreignent l'utilisation des produits phytosanitaires et on est passés sur des produits de bio-contrôle. »

« 1.000 à 4.000 euros par hectares »

Le dernier point de l'argumentation de FNE, c'est le volet financement. Le plan Hérault Irrigation 2018-2030 affiche un budget global de 310 millions d'euros, qui sera abondé par l'Union européenne, l'Etat ou la Région Occitanie. L'organisation de défense environnementale indique que « l'analyse socio-économique [du projet de retenues hivernales] en cours affirme que 50 à 80% du coût d'investissement sera couvert par des subventions publiques et que le coût d'exploitation du système d'irrigation sera à la charge des viticulteurs ».

« BRL va tirer un tuyau jusqu'à la retenue pour la remplir en hiver et ensuite il faudra desservir les parcelles donc à nouveau tirer des tuyaux, et tout ça sous pression, donc ça aura un coût important, un investissement de 1.000 à 4.000 euros par hectares la première année, et c'est bien cet aspect économique qui pose problème au Conseil départemental, affirme Thierry Uso. Les seuls viticulteurs qui pourront payer ça, ce sont les gros... L'Agence de l'eau est réticente à subventionner ce type de bassines car ce n'est pas de l'eau de substitution. Elle va peut-être subventionner les systèmes de goutte-à-goutte. Et l'autre souci, c'est que le Conseil départemental veut pousser ses projets de bassines sur 30 ans, mais que les coûts d'investissement s'amortissent sur 80 ans ! »

« Les projets de retenues de substitution sont souvent largement subventionnés, environ 80%, donc de manière rationnelle, les agriculteurs vont accepter car c'est intéressant financièrement et ça donne une valeur non négligeable à la terre, ajoute la chercheuse de l'INRAE. La puissance publique doit évaluer si un projet est collectivement intéressant tout en considérant l'économie du territoire... L'avis du comité de bassin sert lors de la prise de décision en terme d'attribution de subventions. Et la ligne des agences de l'eau est assez claire : pas de position dogmatique mais prudence, même quand on parle d'eau de substitution. »

A fortiori quand il s'agit de prélèvements pour de nouveaux usages donc...

Informer, alerter

Les concertations autour du projet sont toujours en cours et le Conseil départemental travaille avec les potentiels propriétaires fonciers concernés, avec l'objectif « de créer les retenues hivernales le plus tôt possible », indique Yvon Pellet.

Si France Nature Environnement n'hésite pas à faire des recours, « on ne peut pas le faire sur tous les sujets », confie Thierry Uso. Dans cette affaire, l'organisation de défense environnementale se dit sur une posture d'alerte et d'information.

« Il est important de dialoguer et de faire passer des messages pour que les décisions soient prises de manière avertie », souligne Marielle Montginoul à l'INRAE.

Au Conseil départemental, le vice-président l'assure : « Ma porte est ouverte, je discute avec les opposants au projet. Mais ne nous enfermons pas dans des attitudes barricadées ! ».

Le ministre rallonge l'enveloppe de distillation de crise

C'est justement pour évoquer les problématiques de la filière viticole et la mise en œuvre de la distillation de crise, ainsi que les sujets d'adaptation à la sécheresse de la filière et du secteur agricole dans le département que le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc Fesneau était en déplacement dans l'Hérault ce 25 août.

Les échanges avec la Commission européenne ont permis d'aboutir à un règlement européen, publié le 26 juin dernier, qui autorise et encadre les aides à la distillation de crise pour la campagne 2023. Ce qui a permis au gouvernement de procéder, dès cet été, à une première vague de distillation de crise, par un appel à souscription lancé par FranceAgriMer, dans le budget initialement prévu de 160 millions d'euros et pour un maximum de besoin prévisionnel de 3 millions d'hectolitres.

Mais les retours de cet appel à souscription ayant été plus importants, à hauteur de plus de 4,4 millions d'hectolitres, le ministre a décidé de mobiliser la réserve dite « de crise » de l'Union européenne, pour abonder cette opération de distillation et atteindre un maximum de 200 millions d'euros.

La filière ne fera cependant pas l'économie de nécessaires adaptations au changement climatique et à l'évolution des demandes du marché domestique et export.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 8
à écrit le 23/09/2023 à 10:18
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l'eau potable en France , c'est 25% de la consommation totale d'eau en France. A l'opposé , l'agriculture (intensive) , ce sont 58% de la consommation alors que nombre de régions agricoles pratiquent (encore) peu l'irrigation. Néanmoins et face au re...

à écrit le 07/09/2023 à 21:08
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Il faut interdire la FNSEA qui pollue les sols, épuise les nappes phréatiques, maltraite les animaux et nous empoisonne avec ses produits pourris !

le 22/09/2023 à 10:52
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Ceux qui refusent les retenues d'eaux sont des irresponsables qui vont acheter des fruits et légumes espagnols, espagnols qui ont 5 fois plus de bassines que les français.

à écrit le 01/09/2023 à 17:20
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Les écolos font du tord à leur cause. Arrêtons les polémiques et retour aux chiffres. Sur 500 000 Mm3 qui tombent en France, 320 000 Mm3 grosso-modo sont évaporés-transpirés. Restent 70 000m3 qui ruissellent (dans nos cours d’eau), et 110 000 Mm3 qui...

le 02/09/2023 à 9:50
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"L’irrigation agricole représente 3 000 Mm3 (" Source stp ? Merci. Je vais attendre longtemps je suis tranquille.

le 02/09/2023 à 10:05
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Sources : Rapport CGAAER 16072-1 de juin 2017 ; Etat des lieux 2019 du SDAGE Loire-Bretagne ; Divers

le 10/09/2023 à 8:38
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Merci beaucoup, j'apprends plus avec la source que tu cites sur toi. LOL

à écrit le 27/08/2023 à 11:35
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Ces mégas bassines sont d'une bêtise sans commune mesure, s'il les soldats de la barbarie agro-industrielle n'était pas aussi conditionnés ils proposeraient au moins des étangs afin de générer un espace vert autour pour en limiter l'évaporation de l'...

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