Créer une deeptech : « Il faut éviter le repli sur soi et se confronter au marché » (A. Ioualalen)

INTERVIEW - A l’occasion du Deeptech Tour organisé par Bpifrance qui passe par l'Université de Montpellier ce 20 avril, La Tribune a interrogé Arnault Ioualalen, fondateur de Numalis et référent deeptech de la French Tech Méditerranée, sur les difficultés à passer de la recherche à l’entreprise. Il évoque le "Kit de survie de l’entrepreneur.e deeptech" qu’il a créé avec d’autres entrepreneurs…
Cécile Chaigneau
Arnault Ioualalen, CEO de la startup montpelliéraine Numalis, est aussi le référent deeptech de la French Tech Méditerranée.
Arnault Ioualalen, CEO de la startup montpelliéraine Numalis, est aussi le référent deeptech de la French Tech Méditerranée. (Crédits : DR)

Le Deeptech Tour organisé par Bpifrance passe par la faculté des sciences de l'Université de Montpellier ce 20 avril. Avec une question fondamentale en toile de fond : comment donner davantage d'impact à des travaux de recherche et comment les projets deeptech portés par des chercheurs, enseignants-chercheurs, docteurs, étudiants ou entrepreneurs peuvent passer du monde académique de la recherche au monde de l'entreprise ? Ces potentielles startup hautement technologiques, issues de travaux de recherche créant une innovation de rupture, impacteront le monde de demain. Mais comment ces porteurs de projets, passionnés et souvent ignorants de tout ce qui touche à l'entrepreneuriat, peuvent-ils appréhender l'idée de créer une startup puis passer à l'action sans se fourvoyer en chemin ?

Arnault Ioualalen est le référent deeptech de la French Tech Méditerranée. Doctorant à l'Université de Montpellier, il a fait porté ses travaux sur la fiabilité des calculs des ordinateurs à destination des développeurs. Des travaux qui lui ont ouvert la porte à l'entrepreneuriat en 2015 : il crée Numalis, à Montpellier, qui aujourd'hui s'est recentrée sur la fiabilisation des intelligences artificielles. Au sein de la commission deeptech de la French Tech Méditerranée, il a piloté la création du "Kit de survie de l'entrepreneur.e deeptech", en accès libre en ligne.

LA TRIBUNE - Comment en êtes-vous venu à créer Numalis et où en est l'entreprise aujourd'hui ?

Arnault IOUALALEN, CEO de Numalis - Nous avons réfléchi, avec mon directeur de thèse, à comment valoriser mes travaux de doctorat et les rendre accessibles à l'industrie. J'ai été accompagné par Languedoc Roussillon Innovation (depuis absorbé par SATT AxLR, NDLR) et par le BIC de Montpellier. En 2018, nous avons commencé un programme de R&D avec la Direction générale de l'armement sur la fiabilisation des IA. Cette technologie ayant rencontré un gros succès commercial après des grands comptes, nous avons centré notre activité dessus. Nous adressons les grands comptes de la défense, de l'aéronautique, de l'aérospatial, partout où la fiabilité des IA doit être garantie. Nous travaillons aussi pour d'autres secteurs comme la santé, la banque... Et avec des ETI, des PME ou des startups. Car beaucoup de gens savent fabriquer des IA mais faire de l'IA de confiance nécessite de savoir vérifier la fiabilité de leur comportement. Numalis amène des outils et des standards, que nous avons poussés auprès de l'agence ISO (International Organization for Standardization, NDLR) où je suis éditeur. Un cadre réglementaire arrive sur les intelligences artificielles, l'AI Act, un règlement européen qui va encadrer l'IA et déterminera les catégories de risques. Numalis fournira les outils nécessaires pour répondre en partie à ces obligations... Aujourd'hui, Numalis emploie 15 salariés et ambitionne de monter à 20 d'ici fin d'année. Nous sommes impliqués dans différents grands programmes européens, notamment deux programmes d'armement : l'un sur une plateforme d'IA pour la défense et l'autre sur la lutte anti-drones (outils de détection et de neutralisation de drones, NDLR).

Pourquoi avoir créer un Kit de survie à l'attention des entrepreneurs de la deeptech en particulier ?

C'est une idée fondée sur mon propre retour d'expérience et celui d'autres entrepreneurs de la deeptech... Quand il y a de gros efforts de R&D à fournir avant d'avoir du cash, il faut avoir certaines choses bien en tête dès le début. Le constat d'origine, c'est que les choses sont compliquées quand on va de la recherche vers l'entreprise et inversement. Le monde académique et le monde de l'entreprise ne s'entendent pas trop, ce ne sont pas les mêmes cultures. Alors que ces deux mondes ont beaucoup à s'apporter ! Je sortais d'un cursus académique, et je n'avais jamais mis un pied dans le monde industriel, j'avais besoin qu'on m'explique. J'ai passé des centaines d'heures de lecture, de formation, de rencontre,... D'où l'idée de condenser tout ça dans un guide pour aider les porteurs de projets à mettre le pied à l'étrier, avec les dix choses à ne pas perdre de vue. Même si ça ne résout pas tout, ça permet à chacun de se poser les bonnes questions, de s'orienter vers les bonnes personnes et de progresser dans son projet d'entreprise.

Quels sont les principaux conseils que vous pouvez donner et que l'on retrouve dans ce kit de survie ?

Tout d'abord, aller se confronter au marché. C'est un mal français de dire qu'on va faire un grand tunnel de développement pendant des années, mais ça ne marche jamais ! On perd du temps et parfois, on perd les entreprises. Il faut se confronter au marché même si la R&D n'est pas terminée et que tout ne fonctionne pas parfaitement. Il faut chercher à vendre des actifs dès le début car ça permet de discuter avec le client, de comprendre ses besoins et d'ajuster sa stratégie. En ce qui concerne Numalis, nous avons beaucoup cherché notre marché et, en comprenant les cas d'usage, nous avons ré-articulé notre discours au fur et à mesure sans changer notre technologie. Ces années d'errance ont été très salutaires... L'autre impératif, c'est de bien comprendre la propriété intellectuelle et comment on la protège car c'est ce qui va valoriser l'entreprise demain. Et pour ça, il faut se faire accompagner. Enfin, troisième conseil : il ne faut pas hésiter à aller chercher de la compétence intellectuelle dans l'écosystème d'accompagnement, et il faut continuer à tisser des liens avec les laboratoires de recherche pour garder son avance technologique, tout en faisant attention à la propriété intellectuelle bien sûr... Pour résumer, il faut éviter de tomber dans les deux extrêmes : le repli sur soi tant que le tunnel de R&D n'est pas terminé ou maintenir des relations "open bar" avec des laboratoires de recherche sans cadre juridique sur la propriété intellectuelle.

Que diriez-vous justement de l'écosystème régional ?

Nous avons la chance d'être bien lotis. Montpellier est l'une des rares villes avec des centres universitaires couvrant l'ensemble du spectre de la science. C'est un vivier de collaborations possibles. Il y a logiquement tout l'accompagnement en propriété intellectuelle dont on a besoin. Et comme historiquement, il y a une implication de la Métropole sur l'innovation, notamment avec le BIC, il y a tout un écosystème de consultants, de coaches qui interconnectent les acteurs. Le seul regret qu'on pourrait avoir, c'est qu'il n'y ait pas de grosses locomotives industrielles sur le territoire, mais les entreprises ne trouvent heureusement pas leurs clients uniquement sur leur territoire. Il suffit par exemple d'aller à Toulouse ou en région PACA.

Cécile Chaigneau

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