Une saison de festivals largement compromise

Annulations en série, reports, incertitudes ou lucidité… Face au Covid-19, les responsables de festivals tentent d’apporter leurs réponses. S’il est encore trop tôt pour évaluer précisément l’impact économique en région Occitanie, le manque à gagner devrait s’élever à plusieurs millions d’euros. Enquête.
Le festival Jazz à Sète (juillet 2019) au Théâtre de la Mer.
Le festival Jazz à Sète (juillet 2019) au Théâtre de la Mer. (Crédits : Cécile Chaigneau)

Après l'annulation du Printemps des Comédiens à Montpellier, du Worldwide à Sète ou de l'Électro Beach à Barcarès, l'allocution d'Emmanuel Macron interdisant les grands rassemblements, au moins jusqu'à mi-juillet, a fini par doucher les ardeurs des organisateurs de festivals.

A commencer par les Déferlantes, à Argelès-sur-Mer (66), qui ont annoncé sur les réseaux sociaux l'annulation de la 14e édition prévue initialement du 8 au 11 juillet 2020.

« Le report est difficile pour notre équipe, pour les intermittents, les prestataires, les artistes (environ 1 000 personnes au quotidien sur le festival, NDLR) et nos bénévoles (250, NDLR) qui travaillent si durement pour que les Déferlantes Sud de France soient un grand moment de bonheur et de partage. Ce report sera également une déception, une perte économique pour ceux qui nous accompagnent avec une grande fidélité depuis tant d'années, nos partenaires et mécènes, les fournisseurs et tout le tissu économique local travaillant à nos côtés. »

Avec une fréquentation de l'ordre de 60 000 à 70 000 spectateurs, ce sont environ 6 M€ de retombées économiques (estimations 2019) qui partent en fumée.

A Albi, dans le Tarn, la 14e édition de Pause Guitare est elle aussi annulée. Evènement majeur pour le département, l'édition 2019 avait accueilli 84 000 festivaliers dont 20 000 sur le festival off (soit 64 000 billets vendus), impliquant quelque 1 300 bénévoles ainsi que 200 entreprises partenaires. La direction assure au public la possibilité de se faire rembourser ou d'utiliser les billets sur la prochaine édition, voire même de faire un don à l'association.

Quant aux Festivals Jazz en Pic-Saint-Loup (10 au 13 juin) et Jazz à Vauvert (3 et 4 juillet), l'annonce officielle de leur capitulation va être rendue public très prochainement.

Montpellier Danse reprogrammé

Pour Jean-Paul Montanari, directeur du festival international Montpellier Danse, le début de semaine aura été particulièrement éreintant. En un temps record, il a organisé avec son équipe le report de la 40e édition du festival à l'automne, du 20 septembre au 30 décembre 2020.

« Depuis 1996, Montpellier Danse orchestre aussi bien la saison d'hiver que le festival, déclare-t-il. Lorsque nous avons compris que rien ne se ferait cet été, nous avons imaginé pour l'automne prochain un scénario inédit, en archipel. »

Après avoir contacté différentes salles et théâtres de Montpellier (Opéra, Corum, Zénith, Théâtre la Vignette, 13 Vents CDN Montpellier, Kiasma) qui ont accepté de libérer des plages dans leur planning, les équipes de Montpellier Danse ont rappelé toutes les compagnies programmées cet été pour leur proposer de nouvelles dates.

« Malgré quelques incertitudes, je pense notamment à Robyn Orlin qui devait répéter un mois à Johannesburg avec des danseurs africains, la majorité des spectacles pourra être reportée, assure Jean-Paul Montanari. Il était primordial de conserver les œuvres, de protéger les artistes et de satisfaire le public (60 % de la billetterie était déjà placée avant le confinement, NDLR). Fêter ce 40e anniversaire est une manière de signifier au monde, à moi-même et à l'équipe que nous sommes capables d'avancer ».

Avec une trentaine de spectacles programmés, l'automne 2020 pourrait être l'une des saisons les plus bouillonnantes de Montpellier Danse. Pour autant que rien d'autre ne vienne entraver son bon déroulement...

Des alternatives pour Radio France

L'annulation n'est pas non plus d'actualité du côté de Jean-Pierre Rousseau, le directeur du festival Radio France (10 au 30 juillet) qui se déroule tous les ans à Montpellier et en région Occitanie.

« Personne ne peut prédire de l'évolution de la situation sanitaire, souligne-t-il. Nous avons annoncé la programmation du Festival le 2 avril et nous sommes prêts. L'avantage, c'est que nous n'avons pas de contraintes de montage puisque nous travaillons avec des partenaires qui ont des salles équipées. Bien sûr, nous réfléchissons d'ores et déjà à d'autres scénarii : je ne crois pas à l'idée du report, en revanche pourquoi pas une partie de la programmation sans public. »

Soutenu par la Région Occitanie et les collectivités, le Festival Radio France, dont le budget est de 3,8 M€ (dont 1,5 M€ de frais de plateau) est fortement ancré dans le territoire : 165 concerts et évènements - dont 80 % gratuits - en 80 lieux différents et sur 60 communes d'Occitanie. C'est dire que les retombées économiques et touristiques pour la région sont importantes.

En 2019, le festival, qui emploie 200 intermittents du spectacle, a rassemblé 104 000 spectateurs.

Incertitudes pour Nîmes, Sète ou Carcassonne

Malgré l'annonce du chef de l'Etat, de nombreux festivals se donnent la fin du mois pour se prononcer. C'est le cas de Fiest'A Sète, programmé du 21 juillet au 6 août 2020, et qui, l'an dernier, avait accueilli 21 groupes internationaux (soit plus de 200 artistes) et rassemblé 32 000 festivaliers.

« Nous maintenons nos activités en attendant les prochaines décisions du gouvernement sur le mois d'août. La plupart des artistes programmés viennent de l'étranger et notre festival de musiques du monde est aussi dépendant de la reprise des tournées internationales », explique l'équipe organisatrice.

Incertitude également pour Louis Martinez, directeur artistique de Jazz à Sète (12 au 20 juillet), qui déclare : « Il est de moins en moins évident que notre Festival puisse avoir lieu cet été au Théâtre de la Mer. Nous attendons la décision de la ville qui devrait être rendue très prochainement. »

Avec une programmation en phase avec l'actualité artistique internationale, difficile de garder le cap...

De son côté, le Festival de Nîmes (16 juin-24 juillet) a fait savoir, laconiquement, qu'aucune décision n'avait été prise, même s'il est évident que certaines dates ne pourront être tenues. Quant au Festival de Carcassonne (1er juillet-1er août), il est annulé partiellement puisque toutes les dates programmées après le 15 juillet sont pour l'heure maintenues.

Incertitudes

Le temps est aussi à la concertation pour les équipes organisatrices du Festival Jazz à Junas (21 au 25 juillet) et du Festival Hortus Live (25 juillet) qui se déroule Pic Saint Loup et l'Hortus, au nord de Montpellier.

Pour d'autres organisateurs, le reflexe premier, dès l'annonce du confinement, a été de reporter leur édition. Ainsi double peine pour le Périscope, espace culturel et artistique de Nîmes, qui a retravaillé sa programmation et se voit contraint une nouvelle fois de tout annuler.

La date jalon est désormais fixée au 15 juillet. Les festivals du mois d'août (Festival ecausystème, Tempo Latino, Jazz in Marciac, Demi-Festival,...) seront-ils plus chanceux ? Rien n'est moins sûr.

Vers une année blanche ?

Derrière les festivals mastodontes qui rassemblent des milliers de spectateurs, c'est tout un écosystème culturel qui est fragilisé. Selon les données d'Occitanie en Scène, association régionale de développement du spectacle vivant en Occitanie, la filière spectacle vivant regroupe quelque 2 550 structures de production et de diffusion rémunérant 27 000 personnes, soit 80 M€ en masse salariale.

« On estime entre 300 à 500 le nombre de festivals en Occitanie mais tous n'ont pas le même modèle économique, certains ayant des recettes de billetterie majoritaires, d'autres moins, estime Yvan Godard, directeur d'Occitanie en scène. De plus, certaines structures cumulent les handicaps en étant producteurs d'événements, tourneurs et producteurs d'artistes. Les structures qui ont une mono-activité risquent malheureusement d'être impactées de plein fouet ! J'ai bien peur que nous ne soyons pas loin d'une année blanche avec un certain nombre de créations qui ne rencontreront jamais les professionnels. »

Pour mesurer l'impact des premières mesures d'annulation, la Région Occitanie, avec l'appui de ses trois agences (Occitanie en Scène, Occitanie Films et Occitanie Livre&Lecture) a lancé un questionnaire en ligne. Objectif ? Permettre de recenser, pendant toute la durée des mesures de restriction, les retours de l'ensemble de la filière culturelle afin de concevoir des aides sur-mesure pour aider les professionnels.

« A ce jour, 1 000 structures ont répondu à l'enquête, dont 300 dédiées au spectacle vivant. Les chiffres évoluent en permanence mais nous sommes actuellement à 10 % de déficit prévisionnel pour les structures qui ne sont pas mono-activité », précise Yvan Godard.

Des politiques culturelles à réinventer

Travaillant en réseau avec Occitanie en scène, Octopus, la fédération des musiques actuelle en Occitanie a également pris les devants.

« Dès l'annonce du confinement, nous avons fait une enquête auprès de nos 104 adhérents (dont une quarantaine de festivals, NDLR) pour connaître les problématiques rencontrées, construire des argumentaires et faire remonter les informations auprès des collectivités », confie Cyril Della-Via, directeur d'Octopus.

Alors que des structures sont à l'arrêt total, des dispositifs d'accompagnement et de soutien de la part de l'Etat, de la Région (fonds de secours de 5 M€), des Conseils départementaux et des différents réseaux se mettent en place progressivement.

Pour l'heure, il est encore trop tôt pour tirer les enseignements et mesurer l'impact de la pandémie de Covid-19 sur l'économie du spectacle vivant, et par ricochet sur d'autres filières (notamment touristique).

De nombreuses questions restent en suspens.

« La vraie question que je me pose c'est dans quelle condition la reprise d'activité va-t-elle pouvoir s'opérer, se demande Yvan Godard. Y aura-t-il la même appétence du public pour la culture ? Une chose est certaine : des pans complets de fonctionnement des politiques culturelles vont être à réinventer. »

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