Eolien en mer flottant : à Port-la-Nouvelle, Qair raccorde son projet de ferme-pilote mais enfonce le clou sur la fragilité de l’équilibre financier

Tandis que le ministre de l’Economie Bruno Le Maire et son ministre à l’Industrie Roland Lescure vantaient les ambitions du gouvernement en matière d’éolien en mer à Saint-Nazaire, le 2 mai, Qair signait ce même jour avec RTE la mise à disposition du raccordement de sa ferme-pilote d’éoliennes flottantes EolMed à Port-la-Nouvelle (Aude). D’un côté, des ambitions industrielles martelées, de l’autre des industriels qui se disent à la peine (financière) sur leur projet pilote et s’étonnent d’une non-réponse de l’Etat…
Cécile Chaigneau
La construction des flotteurs des trois éoliennes flottantes de la future ferme-pilote EolMed se poursuit sur le port de Port-la-Nouvelle.
La construction des flotteurs des trois éoliennes flottantes de la future ferme-pilote EolMed se poursuit sur le port de Port-la-Nouvelle. (Crédits : EolMed)

« Nous avons pris du retard à l'allumage en matière d'éolien offshore, avec aujourd'hui quasiment aucune électricité décarbonée produite par de l'éolien en mer en France, mais nous serons rapides au déploiement et resterons dans la course énergétique, a promis le ministre de l'Economie Bruno Le Maire depuis les Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire, ce 2 mai après-midi. Nous voulons accélérer. Dès juin 2024, nous aurons 1,5 GW déployés, 3 GW en 2025, 18 GW en 2035, et 45 GW en 2050 sur les côtes françaises. Nous devons donc faire un pas de géant ! »

Bruno Le Maire et Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie, participaient à la cérémonie de départ de Saint-Nazaire de la sous-station électrique chargée de collecter l'électricité du parc éoliennes en mer des îles d'Yeu et Noirmoutier, et assistaient ce même jour à la signature, par RTE, du contrat avec le consortium Chantiers de l'Atlantique et Hitachi Energy pour la construction des postes électriques des projets éoliens en mer de Centre-Manche 1&2 et Oléron.

L'occasion, pour le gouvernement, de réaffirmer ses ambitions en matière d'éolien en mer. Le nom du lauréat du premier parc commercial d'éolien flottant (250 MW) au large de Belle-Ile-en-mer sera communiqué d'ici quelques jours, a annoncé Bruno Le Maire. Le ministre a également officiellement lancé, ce 2 mai, l'appel d'offres pour les deux futurs parcs éoliens flottants de 250 MW en Méditerranée, au large d'Agde et de Fos-sur-Mer : la date limite de remise des offres est fixée au 14 août, pour une attribution d'ici la fin 2024.

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Un câble sous-marin de 24 km

Quelques heures plus tôt, le 2 mai au matin à Port-la-Nouvelle (Aude), d'autres industriels organisaient une petite cérémonie de signature, à l'occasion de la mise à disposition par RTE du raccordement au réseau de la future ferme-pilote des trois éoliennes flottantes du projet EolMed au large de Gruissan à horizon 2025 (avec deux ans de retard), porté par la société montpelliéraine Qair*. Il s'agit de l'un des trois projets-pilotes en Méditerranée avec celui des Éoliennes flottantes du Golfe du Lion (EFGL) au large de Leucate, portée par Ocean Winds (Engie, EDPR, Banque des Territoires), et Provence Grande Large au large de Fos-sur-Mer, porté par EDF Renouvelables (qui devrait être mis en service cette année).

Les travaux de raccordement réalisés par RTE sont terminés, un câble sous-marin dynamique (fabriqué en Italie, France et Allemagne) de 24 km de long relie le poste de transformation sur le port de Port-la-Nouvelle à un flotteur de raccordement, sorte de grosse multiprise flottante (12 mètres de diamètre, 330 tonnes) sur laquelle viendront se connecter les trois éoliennes.

« Le câble est ensouillé, c'est-à-dire enterré au fond de la mer, à deux mètres de profondeur en moyenne, permettant le maintien des activités de pêche, précise Christelle Limousin, directrice du projet de raccordement EolMed chez RTE. L'atterrage sur le port a nécessité un forage dirigé terre-mer de 860 mètres... Aujourd'hui, le câble est sous-tension et mis à disposition d'EolMed. »

Jean-Marc Bouchet évoque un coût de 45 millions d'euros, soit environ 15% du projet. Un coût qui, selon RTE, n'a pas subi l'inflation : « Nous avions signé les contrats en 2021 avant la guerre en Ukraine et bloqué le coût du cuivre au coût où il était », indique Christelle Limousin.

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Un surcoût de +52%

Ce n'est pas le cas de Qair, comme des autres porteurs de fermes-pilotes en Méditerranée Engie et EDF, qui alertent sur l'équilibre financier précaire des opérations en raison de surcoûts répercutés par leurs fournisseurs. Jean-Marc Bouchet évoque ainsi une facture du projet EolMed qui s'envole de 52%, « une augmentation que nous ne pouvons pas absorber ». Le dirigeant rappelle que Shell, qui devait installer (en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations et le chinois CGN) un site pilote d'éoliennes flottantes au large de Belle-Île-en-Mer, a décidé d'abandonner en novembre 2022, en raison d'« une hausse des coûts et des difficultés liées aux fournisseurs ».

« Un projet chiffré en 2015 n'a forcément pas le même prix qu'en 2025, souligne-t-il ce 2 mai. Le budget d'origine d'EolMed était de 212 millions d'euros, nous avons signé à 308 millions d'euros en avril 2022 avec les fournisseurs, et il atteint aujourd'hui les 323 millions d'euros... Par exemple, le prix de l'acier a été multiplié par trois ! On devait tester des flotteurs en béton mais le fabricant d'éoliennes (Senvion, NDLR) a déposé le bilan et on a dû redimensionner les flotteurs et les faire en acier, moins lourd que le béton, pour accueillir des éoliennes plus lourdes. Puis il y a eu le Covid, puis la guerre en Ukraine, la crise de l'énergie, l'inflation... Nos fournisseurs ont augmenté leurs prix, donc on se tourne vers l'Etat. »

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Même si, dans ce type de projets, les budgets anticipent une inflation, les estimations n'ont vraisemblablement pas prévu l'ampleur des récentes hausses des prix. Qair, Engie et EDF ont adressé, fin février, un courrier aux pouvoirs publics pour exposer cette situation et demander un soutien financier compensateur par l'indexation du tarif d'achat de l'électricité sur l'inflation.

« Au départ, en sachant qu'il s'agissait de projets compliqués pour des industriels, le tarif d'achat avait été octroyé à 240 euros le MWh pour une revente à 40 euros le MWh, ce qui revenait à nous donner une aide de 200 euros du MWh pour réussir un projet qui était une première, pour qu'on ait une rentabilité de 7% environ, explique Laurent Vergnet, directeur Offshore chez Qair. Aujourd'hui, c'est le "quoi qu'il en coûte" à l'envers : les projections de la CRE (Commission de régulation de l'énergie, NDLR), c'est une revente à 80 euros le MWh, donc l'Etat récupère 40 euros du MWh, ce qui représente 100 millions d'euros par projet sur vingt ans... On demande à ce que le tarif de rachat soit porté à 320 euros le MWh. »

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« Le bec dans l'eau »

L'Etat n'est pourtant pas resté sans rien faire, comme le souligne Olivier Guiraud, directeur général de Qair Marine : « Fin 2022, l'Etat a pris des mesures d'urgence pour les énergies renouvelables, en indexant les tarifs d'achat de l'électricité de tous les projets, sauf pour les trois fermes-pilotes ! On a œuvré pour faire émerger la filière de l'éolien en mer flottant et à la première difficulté, il nous laisse le bec dans l'eau... On ne s'explique pas pourquoi ».

« L'éolien flottant est probablement l'avenir de l'éolien en mer une fois qu'on aura équipé tous les plateaux continentaux, et aujourd'hui, on essuie les plâtres de l'émergence de ces nouvelles technologies, plaide le fondateur de Qair. On a choisi de fabriquer les trois flotteurs d'éoliennes en France et non en Chine, à Figeac chez ArchiMed (société de projet créée par l'entreprise lotoise Matière et l'entreprise parisienne Ponticelli Frères, NDLR), et ils sont soudés ici sur le port... On est au début de l'éolien flottant et cette opération a vocation à jeter les premières bases d'une filière française, mais il nous faudra vingt ans pour être compétitifs donc pour le moment, il faut faire un effort. »

Laurent Vergnet affirme qu'à ce jour, « déjà deux fournisseurs annoncent que la fin d'année 2024 sera compliquée ».

« Garantir la protection européenne de notre industrie »

Pourtant, quelques heures plus tard à Saint-Nazaire, Bruno Le Maire annoncera sa volonté d'accélérer la cadence afin de développer massivement la filière française de l'éolien en mer. L'exécutif met ainsi en avant plusieurs pistes d'action, notamment la « simplification des procédures de déploiement » de l'éolien en mer, ou la réduction de la durée de la procédure de mise en concurrence des futurs parcs éoliens en « simplifiant drastiquement les modalités de pré-qualification » et en écourtant la phase de dialogue concurrentiel et d'instruction des offres par la CRE.

« Pour garantir la protection européenne de notre industrie », le ministre de l'Economie propose également de durcir les critères carbone pour l'éligibilité aux appels d'offres, notamment de prendre en compte le transport (par exemple des pales d'éoliennes qui parcourraient 5.000 km), ou de « se battre pour le contenu européen » grâce à un critère de 50% d'équipements européens.

« Je remercie la filière de s'être engagée en garantissant 50% de part locale et 20.000 emplois supplémentaires d'ici 2035 dans ce secteur, a déclaré Bruno Le Maire. Nous devons maîtriser l'intégralité de la chaîne de valeur. Nous voulons produire en France, en défendant l'industrie et les intérêts économiques nationaux. »

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« Le risque, c'est qu'on aille se fournir en Chine »

Des propos qui ont probablement résonné curieusement chez Qair... Car le matin même, Jean-Marc Bouchet s'étonnait : « On demande à l'Etat de revoir la copie depuis la guerre en Ukraine mais il fait la sourde oreille, on tourne en rond de ministère en ministère, de bureau en bureau. Nous, nous avons joué le jeu du "fabriqué en France ou en Europe ", on essaie de garder le savoir-faire chez nous, mais le risque à terme, c'est qu'on aille se fournir en Chine... ».

L'Etat espère-t-il que les actionnaires d'EolMed, et en particulier Total, remettent la main à la poche ? En effet, en octobre 2020, Total mettait un pied sur le marché de l'éolien flottant en France en devenant actionnaire, à hauteur de 20%, du projet EolMed, Qair restant actionnaire majoritaire à 67%. A l'époque, Jean-Marc Bouchet assurait que « notre idée est bien de rester les opérateurs d'EolMed et non de le vendre à Total plus tard, car nous voyons un intérêt à être associés à un partenaire industriel international de cette envergure ». Aujourd'hui, le dirigeant affirme être sur la même posture et dit ne pas envisager une montée en puissance du groupe pétrolier au sein d'EolMed...

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* Le projet EolMed a été attribué en juillet 2016 au groupe héraultais Quadran, fondé à Béziers par Jean-Marc Bouchet. Fin 2017, ce dernier avait vendu les actifs éoliens terrestres, solaires, hydrauliques et biogaz de Quadran au groupe Direct Energie (repris par Total en avril 2018), conservant alors au sein de sa holding (Lucia, devenue Qair en mars 2020) ses activités de développement à l'international et ses projets d'énergies marines.

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