Pourquoi l’herbicide Avanza, utilisé en riziculture, sème le trouble en Camargue

Pour la quatrième année consécutive, le ministère de l’Agriculture a accordé une dérogation pour l’utilisation de l’herbicide Avanza dans la riziculture. En Camargue, alors qu’une partie des riziculteurs estime que son usage est indispensable, d’autres s’insurgent de ses effets dévastateurs sur le milieu aquatique et la biodiversité. Et au milieu coule une rivière : la maire des Saintes-Maries-de-la-Mer s’inquiète, quant à elle, pour la qualité de l’eau potable et donc la santé de ses administrés.
La filière rizicole de Camargue représente aujourd'hui 11.500 hectares, dont le quart situé dans le département du Gard.
La filière rizicole de Camargue représente aujourd'hui 11.500 hectares, dont le quart situé dans le département du Gard. (Crédits : Ray Wilson)

Avant même les premiers semis de riz qui vont démarrer d'ici quelques jours, la filière rizicole de Camargue, qui représente aujourd'hui 11.500 hectares, dont le quart situé dans le Gard, est sous les feux des projecteurs...

Normalement interdit en France, un herbicide, l'Avanza, a obtenu pour la quatrième année consécutive une dérogation du ministre de l'Agriculture pour être utilisé dans les rizières de Camargue pendant une durée limitée à 120 jours. Une décision qui, cette année encore, ne fait pas l'unanimité, mais qui a pris de l'ampleur avec le lanceur d'alerte Hugo Clément.

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Cinq fois plus de pesticides dans le riz basmati

Le problème inhérent à l'utilisation de l'Avanza est son principal actif, le benzobicyclon, pas encore autorisé au niveau européen et considéré par l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) comme « très toxique pour les organismes aquatiques, entraînant des effets néfastes à long terme ».

« L'Avanza est une nouvelle molécule chimique qui peut être qualifiée de produit propre car elle se désagrège complètement dans l'eau au bout de trente jours, défend Marc Bermond, riziculteur et trésorier au syndicat des riziculteurs de France. Son utilisation est soumise à des critères stricts : des parcelles déjà semées en 2023 ou sujettes à des difficultés de désherbage, dans la limite d'une quantité maximale de 6.750 litres de produit commercial. De plus, les pulvérisations ne sont autorisées que dans les parcelles situées en dehors d'un périmètre de protection de captage pour l'alimentation en eau potable et doivent être effectuées sur des rizières inondées - plus de 4 cm d'eau - dans une eau stable. Je ne comprends pas cet "agribashing" facile car la culture du riz en Camargue est l'une des plus résilientes en Europe et celle qui utilise le moins de produits phytosanitaires (six ou sept, NDLR). Nos voisins italiens, espagnols ou portugais en utilisent le triple et je ne vous parle pas du riz basmati en provenance d'Inde ou du Pakistan, qui, avec ses 34 pesticides, est le plus contaminé mais pourtant le plus consommé par les Français. »

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Pas de rizières étanches à 100%

Mais pour les riziculteurs bio de Camargue, qui représentent 25% de la production, l'argument est loin d'être convaincant. Après vingt ans d'agriculture conventionnelle, Bernard Poujol est devenu un symbole de l'agriculture alternative en introduisant des canards pour désherber ses parcelles gardoises.

« Ce n'est pas parce que d'autres pays produisent de manière invraisemblable qu'il faut relativiser l'emploi de pesticides, même limité, sur notre territoire fragile, ce discours est gonflant, s'insurge le riziculteur aujourd'hui à la retraite. La fiche technique de l'Avanza indique une forte toxicité sur les organismes aquatiques comme les grenouilles et en théorie, les rizières ne doivent pas être purgées dans les sept jours suivant son utilisation pour que la molécule se dilue dans l'eau avant de rejoindre les milieux naturels. Le problème, c'est que par nature, une rizière n'est jamais étanche à 100% car elle est ceinturée de bourrelets de terre percés de trous par des ragondins ou des écrevisses américaines. L'eau des rizières s'écoulant dans le réseau hydraulique, l'Avanza est un risque pour tout l'écosystème camarguais. Avec un biotope en zone Natura 2000, on joue avec le feu. Même la réserve nationale, qui gère l'étang du Vaccarès, s'inquiète de la situation. »

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« Nous sommes au bout du tuyau »

Difficile de connaître précisément l'impact concret du benzobicyclon, même dégradé, puisqu'il n'est pas encore homologué dans le listing des molécules identifiables par les laboratoires effectuant les contrôles. Pour autant, face à cette dérogation qui, au bout de trois ans, sonne pour beaucoup comme une tradition, Christelle Aillet, maire des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône), fait part de son incompréhension.

« Le réseau hydraulique camarguais ne permet l'évacuation des eaux agricoles que vers les étangs du système Vaccarès, soit le Rhône et le petit Rhône, rappelle-t-elle. Nous sommes au bout du tuyau, et c'est chez nous que tous les pesticides et autres métaux lourds rejetés par l'agriculture ou les industries se déversent. Je n'ai rien contre les riziculteurs mais je ne comprends pas cette décision du gouvernement de mettre en danger non seulement les milieux naturels mais aussi la population saintoise à travers la distribution de l'eau potable (le captage est situé dans le petit Rhône, NDLR). En tant que maire, je n'ai pas la compétence de l'eau, (affectée à l'intercommunalité, NDLR) mais notre station de pompage est très vétuste. D'ailleurs l'Agence régionale de santé nous contrôle régulièrement des qualités d'eau négatives et nous devons distribuer aux habitants de l'eau en bouteilles. Il faut absolument se mettre aux normes et nous doter d'une station high-tech, avec une usine à charbon filtrant les polluants. »

La salinisation gagne du terrain

En moins d'un siècle, la Camargue aura perdu plus du tiers de ses rizières, avec une production représentant 20% de la consommation française. Si la question de l'Avanza divise, aucun acteur ne met en doute le fait que la culture du riz sur ce territoire représente un enjeu majeur dans le maintien des écosystèmes camarguais et de leur biodiversité.

Modelée par l'homme, la Camargue continue de faire l'objet de conflits d'équilibre, et ce n'est pas l'inquiétante progression de la salinité des sols qui risque de faire consensus.

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Commentaire 1
à écrit le 02/05/2024 à 20:06
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Ces produits ont été conçus pour tuer de la vie et sont donc forcément des poisons.

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