Occitanie : les librairies indépendantes, espaces de résistance culturelle ?

SÉRIE Filière du livre (3/3) - Près d’un livre sur deux est acheté dans une librairie indépendante. En Occitanie, elles sont 269 librairies. La filière, dont la rentabilité tourne autour de 1%, reste néanmoins fragile. Dans une société dominée par la rationalité économique, les libraires régionaux tentent de se réinventer à grand renfort d’initiatives privées ou collectives pour proposer à leurs lecteurs une offre culturelle dense et diversifiée, dans des espaces singuliers.
Passionnée de littérature, traductrice et grande voyageuse, Magali Brieussel a repris la librairie montpelliéraine Les 5 continents en 2017, qu'elle a rebaptisée Géosphère.
Passionnée de littérature, traductrice et grande voyageuse, Magali Brieussel a repris la librairie montpelliéraine Les 5 continents en 2017, qu'elle a rebaptisée Géosphère. (Crédits : DR)

Reconnues comme commerces essentiels lors de la crise sanitaire, les librairies auront connu une année 2021 hors normes, portées par un contexte plutôt favorable à la lecture, doublé d'un élan de solidarité des consommateurs.

« Le marché du livre, qu'il soit imprimé ou numérique (moins de 5% de part de marché, NDLR) a enregistré en 2021 un chiffre d'affaires de 4,5 milliards d'euros, niveau jamais atteint depuis quinze ans », indique le Syndicat de la librairie française.

Mais depuis 2022, une page semble avoir été tournée et les 269 librairies d'Occitanie n'échappent pas à une conjoncture incertaine, avec un retour à la normale des pratiques d'achats de livres.

Une émergence d'actions collectives

Face à de vrais moments de solitudes générés par une situation inédite de confinements successifs, les libraires indépendants de la région ont dû s'adapter.

« Contrairement aux éditeurs, qui ont une tradition de travail collectif, il n'y avait rien en termes de structuration associative des librairies en Occitanie, rappelle Fabrice Domingo, gérant de la Librairie Terra Nova à Toulouse et co-président de Alido, association créée pendant la crise regroupant aujourd'hui une soixantaine d'adhérents. Avec des libraires du Lot, nous avons monté des groupes de travail  pour échanger sur nos pratiques et très vite, il nous est apparu nécessaire d'œuvrer tous ensemble en donnant corps à une association régionale structurée. Notre premier chantier a été de créer des ateliers et des groupes d'échanges sur des volets à la fois techniques et politiques de manière à avoir plus de poids en tant qu'interlocuteur avec des institutions de la culture et du livre. Nous avons également renforcé des liens avec ERO, l'association des éditeurs de la région Occitanie. »

Après deux ans d'activité, l'association Alido, qui repose sur du bénévolat « façon auberge espagnole », réfléchit à un site mutualisé. Mieux représentée dans l'ex-Midi-Pyrénées, elle entend rayonner sur l'ensemble du territoire et atteindre les 80 adhérents. Sa prochaine assemblée générale aura d'ailleurs lieu à Narbonne (Aude).

Une vague de créations

Alors que près d'un livre sur deux est acheté dans des librairies indépendantes, les professionnels restent vigilants car, malgré des situations contrastées, l'activité a globalement ralenti depuis fin 2022. Après dix huit ans d'existence, la librairie Terra Nova, généraliste mais avec une forte identité dans les sciences humaines et la littérature étrangère, a trouvé son lectorat. La société, qui emploie quatre salariés, a réalisé en 2022 un chiffre d'affaires de 600.000 euros.

« La filière du livre reste dynamique mais fragile, analyse Fabrice Domingo. Reste à savoir ce que cela va donner sur la durée. L'arrivée des néo-libraires a généré beaucoup de concurrence, certains projets étant beaucoup moins vertueux que d'autres car ils arrivent sur des territoires déjà bien implantés. »

Le fort taux de créations de librairies en région depuis deux ans, souvent des librairies-cafés, parfois portées par des néophytes, montre la fascination exercée par ce métier du livre. Sur les trois dernières années, l'Occitanie recense 46 créations-transmissions de librairies avec un profil type : 67% sont des femmes et 57% ont moins de 45 ans.

« Ce choix d'orientation professionnelle est essentiellement motivé par la passion du livre et la volonté de vouloir promouvoir la lecture, résume le SFL. Les créateurs citent aussi leur volonté de contribuer à l'animation des zones dépourvues de librairie, de donner du sens à leur métier, et les repreneurs leur envie de devenir chef d'entreprise. »

Passionnée de littérature, traductrice et grande voyageuse, Magali Brieussel n'imaginait pas se reconvertir en libraire mais l'idée a fait peu à peu son chemin lorsqu'elle a appris que la librairie montpelliéraine Les 5 continents recherchait un repreneur. Epaulée par des amis et un prêt bancaire, elle s'est lancée en 2017. Désormais spécialisé dans les voyages (cartes topographiques, guides de voyage,...) et la littérature étrangère, le lieu, qui propose 7.000 références, a été rebaptisé Géosphère.

« Pour se lancer dans une telle aventure, il faut aimer les gens autant que les livres, assure Magali Brieussel. La pluralité de ce métier - rencontres, gestion de stock, site internet, newsletter - me plaît énormément. Ma seule frustration est la course perpétuelle à la nouveauté, il faut donc savoir dire non sur certains titres. Ce n'est pas toujours facile à assumer. »

Avec une salariée et deux éditeurs qui ont pris des parts dans la société (les éditions Elytis et les éditions Transboreal à hauteur  de 24,5% chacune), la librairie a doublé son chiffre d'affaires en cinq ans.

Modèle coopératif encore rare

Pour cette nouvelle génération de libraires, la dimension sociale et solidaire est très importante. Mais ils sont encore peu nombreux a s'orienter vers un statut coopératif : 39 librairies en France et seulement trois en Occitanie (La Cavale, le Cheval dans l'Arbre et les Libreurs).

A Céret (Pyrénées-Orientales), Michèle Cardone, la créatrice en 1986 de la librairie Un cheval dans l'Arbre, ne trouvant pas de repreneur, a fini par faire jouer son réseau : 500 souscripteurs ont acheté des parts sociales de l'entreprise. En juin 2021, la librairie a redémarré ses activités sous la forme juridique d'une Scic. Dans cette gouvernance collective et démocratique, les bénéfices sont reversés en totalité dans le fonctionnement de la librairie. Doté d'outils modernes d'exploitation, la librairie (plus de 3.700 titres référencés) a mis en place des animations externes et développé des partenariats avec les associations de la vallée du Tech. Le bilan en cours est positif avec un chiffre d'affaires de 170.000 euros.

« A l'étroit dans nos locaux de seulement 24 m2, nous venons de déménager dans un espace de 120 m2 (coût du déménagement : 75.000 euros, NDLR) qui va nous permettre d'augmenter le nombre de références, de proposer un département jeunesse et BD conséquent et de disposer d'un lieu de stockage adapté », se réjouit Franck Rother, le président de la coopérative.

Avec deux salariées et une vingtaine de bénévoles actifs, Le Cheval dans l'Arbre projette de décliner son modèle pour mieux irriguer la vallée du Tech.

Jeu d'équilibre

Perpétuer le lien social, moderniser les sites pour contrer la concurrence massive de plateformes de e-commerce, optimiser la gestion des stocks face au déferlement de nouveaux ouvrages... Les librairies indépendantes doivent jouer les équilibristes. Pour autant, avec un seuil de rentabilité autour des 1%, elles restent fragiles. Le contrat de filière mis en place en Occitanie depuis 2015 (avec des aides directes, des aides à l'informatisation, à l'animation,...) a permis de consolider la base financière des acteurs de la filière et les réserves de trésorerie, mais également à favoriser un meilleur maillage du territoire.

« Plutôt qu'une démarche coercitive, l'approche pédagogique avec des dispositifs en faveur de la chaîne du livre, participe à rééquilibrer la situation », note Adeline Barré, chargée de mission Economie du livre à Occitanie Livre & Lecture.

Face à la hausse des matières premières, au coût de l'énergie, des transports et de l'immobilier, les libraires indépendantes, qui représentent le premier circuit de vente en France, n'ont pas d'autre choix que de se réinventer en donnant toujours plus de sens à leur métier.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.