Crise de la culture : « Quand le désengagement dure depuis vingt ans, cela s'appelle une politique de déconstruction » (N. Dubourg, président du Syndeac)

ENTRETIEN - La crise du Covid-19 a révélé le poids économique de la culture en France : 46,1 milliards d’euros de valeur ajoutée pour l'ensemble des branches culturelles en 2020, soit 2,2% du PIB selon les chiffres du ministère de la Culture. Pourtant, la colère gronde. Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), qui représente plus de 450 structures dont nombre de centres dramatique et centres chorégraphiques nationaux, mais aussi scènes nationales et conventionnées en France, a mis en ligne une pétition incisive le 8 mars dernier. Intitulée "N’éteignez pas les lumières sur le spectacle vivant !", elle a déjà recueilli plus de 7.700 signatures. La Tribune a rencontré le président du Syndeac, Nicolas Dubourg, également directeur du théâtre universitaire La Vignette à Montpellier.
Nicolas Dubourg est président du Syndicat national des Entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) et directeur du théâtre universitaire La Vignette à Montpellier.
Nicolas Dubourg est président du Syndicat national des Entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) et directeur du théâtre universitaire La Vignette à Montpellier. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Pourquoi avoir choisi de mettre en ligne cette pétition intitulée "N'éteignez pas les lumières sur le spectacle vivant !" ?

Nicolas DUBOURG, président du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) - Il y a une une angoisse qui commence à s'amplifier. Nous sommes au mois de mars, les entreprise du secteur public culturel s'inquiètent du fait que le bouclage des budgets 2023 se fera sans doute avec de gros déficits. Dans ce contexte, nous sommes plus qu'inquiets pour 2024. Les directions de théâtres commencent à envisager des réductions d'activité, des baisses de production, voire des saisons allégées. Un processus qui risque de s'amplifier si on ne fait rien. Nous avons déjà alerté les pouvoirs publics à de nombreuses reprises, nous ne sommes pas entendus, nous montons le ton.

Dans la pétition, vous faites « le constat amer du désengagement flagrant de l'État et de certaines collectivités territoriales »...

Depuis près de vingt ans, les budgets n'ont jamais été revalorisés, y compris celui du ministère de la Culture. Et pourtant l'inflation existe. Quand c'est une inflation à 1%, les entreprises du secteur culturel s'adaptent. Au sortir des années 2000, période à laquelle ces dernières étaient en bonne situation financière, elles ont pu assumer année après année une stagnation des budgets. Mais au bout de vingt ans de stagnation, entre choc de la crise du Covid-19 et inflation, elles sont maintenant au bord de la rupture.

Comment expliquez-vous que rien ne bouge ?

Nous notons un désintérêt politique depuis une vingtaine d'années qui se traduit par le fait de nous dire : « on maintient le budget ». Mais maintenir le budget, en termes économiques, cela signifie le baisser, l'inflation n'étant jamais à 0%. C'est juste une autre manière de dire « On se désengage » ! Cela peut être une logique budgétaire qui demande de faire un effort pendant un ou deux ans. Mais le désengagement dure depuis vingt ans : cela s'appelle une politique de déconstruction. Maintenir le budget consisterait à l'augmenter de 1 à 2% par an. Et aujourd'hui, à l'augmenter de 10%. Nous sommes vraiment face à un double discours.

À combien estimez-vous la baisse effective du soutien financier, de l'État comme des collectivités ?

En ce qui concerne les entreprises représentées par le Syndeac, il manque 30 millions d'euros pour l'année 2023. Mais ce n'est qu'une toute petite partie de ce qu'est la culture : il faudrait ajouter les opéras et orchestres, qui sont adhérents aux Forces musicales, il y a aussi de grosses problématiques dans les scènes nationales de musique actuelles... Nous allons nous battre pour qu'il y ait une réforme structurelle. Il faut qu'il y ait une conférence financière pour poser les bonnes questions au gouvernement : est-ce que vous pensez que ce secteur doit continuer à exister dans le cadre de l'exception culturelle française ou est-ce qu'à un moment donné, vous assumez - comme cela a été le cas pour l'hôpital, pour l'école et pour l'université - de déconstruire des services publics ?

Vous avez l'impression que les personnes décisionnaires oublient que la culture est un secteur économique à part entière, qui pèse plus de 2% du PIB ?

Un théâtre qui accueille un spectacle rémunère aussi des salariés permanents qui ont travaillé à sa réalisation, que ce soit du point de vue légal, budgétaire, technique, de la communication ou du lien avec les public. Comme tous les salariés, ils vont demander à avoir une progression salariale, notamment dans un contexte d'inflation. Dans des domaines comme l'énergie, des salariés ont demandé l'an dernier des augmentations de salaire de l'ordre de 10%. Si l'activité économique permet de suivre cette augmentation, il n'y a pas de problème. Les entreprises représentées par le Syndeac participent du service public, l'essentiel de nos financements consiste en des prélèvements, c'est-à-dire l'impôt. Malheureusement, ceux qui répartissent l'argent de l'impôt ne suivent pas l'inflation, pourtant il y a bien 10% de TVA en plus qui rentre, le déficit ne se creuse pas ! La question est donc de savoir comment est répartit l'argent des impôts. Ce que nous observons, c'est que nous sommes complètement mis de côté dans cette répartition.

Vous êtes aussi directeur de théâtre universitaire conventionné à Montpellier : quelles sont vos problématiques au quotidien ?

Quand une compagnie vient présenter un spectacle, il y a une partie dédiée au salaire des artistes et une autre que l'on appelle les frais d'approche pour l'hôtellerie, le train, le transport du décor, etc. Du côté des salaires, nous notons des augmentations d'environ 10% : un spectacle qui coûtait 10.000 euros, nous allons le payer 11.000 euros. Du côté des frais d'approche, c'est entre 30 et 40% d'augmentation, voire même au-delà dans certaines villes comme Paris. Quand vous avez un budget à 100.000 euros, alors que le coût d'un spectacle a augmenté de 20 à 30%, vous allez devoir en accueillir moins : si vous aviez prévu dix spectacles, vous allez en accueillir seulement sept ! Ce qui veut dire que  trois compagnies qui avaient prévu de vendre leur spectacle ne le feront pas. C'est une chute de l'activité qui va, à terme, menacer l'écosystème dans toute sa globalité parce qu'on va ensuite vous dire : « Votre théâtre est ouvert six mois par an, pourquoi est-ce que moi, en tant que collectivité, je vais continuer à le financer alors qu'il est tout le temps fermé ? ». C'est un cercle vicieux... La richesse de cet écosystème qui fait que des artistes interviennent dans les écoles, dans les prisons, dans les hôpitaux, peuvent le faire parce qu'à côté, ils ont une activité assurée par les théâtres. Cela leur permet d'être inscrits au régime de l'intermittence et de mener en parallèle des activités au sein de la société. Si tout ceci disparaît, non seulement il n'y aura plus d'artistes dans les théâtres, mais ils disparaîtront de partout ailleurs ! Ce sont ces chaînes de conséquences au sujet desquelles nous essayons d'alerter les pouvoirs publics.

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Qu'est-ce que vous proposez aujourd'hui en tant que syndicat ?

Le but de cette tribune est d'interpeller le gouvernement : la ministre de la Culture et le ministre de l'Économie, ainsi que la Présidence de la République. Nous souhaitons les prévenir : « il vous vous réagir vite et fort ! ». Cette réaction doit concerner le budget de l'État, mais aussi les capacités des collectivités territoriales à intervenir dans le secteur culturel. Il y a un certains nombre de collectivités qui nous affirment aujourd'hui que le budget dont elles disposent est de plus en plus contraint du fait que l'État assèche les finances publiques. En tant que syndicat, nous leur répondons que c'est vrai, mais en partie seulement. Le budget des Régions a évolué, il ne stagne pas. La problématique de la culture est souvent que le budget est maintenu au niveau de l'année N-1 au lieu de lui faire suivre le niveau général du budget. Ce que nous pointons, c'est bien la question de l'indexation. Il faut que le budget général puisse être indexé, de même qu'il est nécessaire qu'un certain nombre de structures bénéficie de cette indexation sur des périodes pluri-annuelles.

Quelles structures culturelles seraient concernées par cette indexation ?

Nous avons, dans notre syndicat, des structures conventionnées par l'État et par les collectivités territoriales. À partir du moment où il y a un comité de suivi qui réunit la Région, la Métropole, l'État et le Département, la moindre des choses est que ces partenaires ne nous disent pas chaque année : « je verrai bien ce que je vous donne l'année prochaine »... Ils doivent pouvoir prendre des engagements financiers qui incluent la question de l'inflation, pas seulement le projet. On nous dit trop souvent : « Je finance seulement si le projet me plaît ». Alors que le projet ne marche pas sans les moyens économiques qui permettent de le mettre en oeuvre.

Cette pétition a déjà recueilli plus de 7.700 signatures. Quelle est l'étape suivante ?

Un CNPS (Conseil National des Professionnels du spectacle, NDLR) doit se tenir en présence de la ministre de la Culture dans les prochaines semaines. C'est pour cela que nous avons lancé cette initiative : nous voulons arriver au CNPS en disant « nous avons X milliers de personnes qui ont signé la pétition du Syndeac : que compte faire la ministre ? ». Nous demandons à être mieux écoutés, et surtout nous voulons leur faire comprendre que nous l'allons pas en rester là. Cette pétition est seulement le premier étage de la fusée.

De leur côté, les spectateurs sont-ils de retour dans les salles ?

L'an dernier, nous avions encore une fréquentation en recul de 15 à 20%, mais cette année, cela marche très bien, il y a réellement un effet de reprise. Je suis agréablement surpris de voir à quel point les théâtres sont à nouveau fréquentés.

Ce n'est donc pas un argument pour ne pas accompagner les budgets alloués à la culture...

Non, et ça ne sera jamais un argument. C'est comme la question du nombre d'enfants par école, qui peut varier d'une rentrée scolaire sur l'autre. Quand les effectifs baissent, on ferme une classe, quand c'est dans l'autre sens, cela va prendre cinq ans pour trouver de nouveaux moyens. C'est vraiment emblématique d'une situation politique dans laquelle la société peine à financer des services publics communs. Je finance l'hôpital à travers mes impôts, et pourtant je suis très heureux de ne jamais y aller, mais je sais que je me trouve dans une société égalitaire et apaisée sur la question de la santé. De la même manière, avoir une société dans laquelle les artistes ont une place permet à chacun d'en bénéficier. Ce n'est pas une question d'usage, mais d'intérêt général.

Le Syndicat national des Entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) est l'un des grands syndicats du secteur culturel. Il dénombre plus de 450 adhérents du spectacle vivant parmi lesquels « la quasi totalité des centres dramatiques, centres chorégraphiques nationaux, scènes nationales, mais aussi certaines scènes conventionnées ou scènes de musiques actuelles, ainsi que des festivals ». La pétition intitulée N'éteignez pas les lumières sur le spectacle vivant ! a été mise en ligne le lundi 8 mars 2023.

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Commentaires 2
à écrit le 15/03/2023 à 0:28
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Au gouvernent Ils s en Foutent de la culture ils ont tiktok debilos sur leur smarphone et puis il y a les jo2024 .. Macron veut se refaire une «  virginité «  ..auprès de la population après l épisode lamentable de la réforme des retraites.. au fait...

à écrit le 14/03/2023 à 15:54
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Ce qui est gênant dans ce domaine vient du fait que ce sont toujours les mêmes qui captent les subventions depuis des décennies et à bien y regarder , certains ministres en ont fait l'amer expérience il faut appartenir à la petite coterie avec ses co...

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