Et si les territoires pensaient résilience plus que croissance ?

Jean-Michel Le Saux, chef de mission Territoires chez Geolink Expansion (spécialiste de l'attractivité économique territoriale), observe les mutations et les évolutions des territoires économiques à la lumière de la crise sanitaire du Covid-19. Il s’interroge sur le probable essoufflement des stratégies mises en œuvre depuis les années 80 et sur la nécessité de changer de paradigme.
Jean-Michel Le Saux, chargé de mission chez Geolink Expansion
Jean-Michel Le Saux, chargé de mission chez Geolink Expansion (Crédits : Geolink Expansion)

L'épidémie du Covid-19 agit comme un véritable détonateur et confirme l'essoufflement d'un système qui n'a eu de cesse ces dernières années de montrer ses limites. Qu'elle soit le fruit ou la graine de la mondialisation des années 80, la généralisation du système libéral a précipité la fin de la plupart des systèmes alternatifs.

La guerre économique était déclarée entre les nations : celles qui avaient des ressources et disposaient d'une main d'œuvre à bas coûts et les autres qui se concentraient alors pour essayer de mieux qualifier leur main d'œuvre.

Un modèle à bout de souffle

Tant que l'on parlait de production matérielle (industrie et agriculture), notre pays s'est adapté tant bien que mal, avec des (territoires) gagnants, mais aussi beaucoup de perdants pour des raisons dont on pourrait largement débattre, mais qui ont été, selon les experts, trop souvent liées à un manque de vision prospective et donc de réelle stratégie économique.

Nos territoires se sont alors livré une concurrence pour attirer les acteurs économiques au nom du principe d'égalité territoriale et d'une logique de proximité, dont il est facile de dire aujourd'hui qu'elle était discutable. Résultat : surenchères d'équipements en zones de logements, commerciales et industrielles et situation financière précaire, source pour beaucoup des difficultés budgétaires actuellesLe marketing territorial s'est alors considérablement développé afin que chacun puisse tirer son épingle du jeu...

Autre facteur qui a largement contribué à creuser des fractures entre les territoires, la montée en puissance des activités tertiaires qui se sont trop souvent concentrées autour des métropoles pour des raisons d'attractivité des « sachants » et personnels « qualifiés ». Les territoires dits « périphériques » se contentant trop souvent de l'économie du secteur « présentiel ». Avec un satisfecit qu'on pourrait croire général, s'il ne cachait pas les fondements de déséquilibres et d'inégalités croissants. Un peu comme si jusque-là, pour la plupart des territoires, l'enjeu était moins de produire de la valeur que de capter des revenus.

Comme le souligne une récente étude de l'Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF), la santé des territoires est un subtil équilibre/compromis entre les effets bénéfiques tirés d'une concentration d'individus (emploi, services, évènementiel...) et les impacts négatifs que cette même concentration va générer (fracture sociale, pollution...).

A la lumière des mutations sociétales en cours, dont le Covid-19 semble être un signe avant-coureur et symptomatique, cette recherche d'équilibre va nécessiter de changer de paradigme.  La mobilité croissante des citoyens couplée à l'individualisation des modes de vie, l'essor du numérique et la prise en considération croissante du changement climatique vont générer de nouvelles attentes, que ce soit de la part des citoyens, mais aussi et peut-être surtout de la part des acteurs économiques.

Repenser le développement économique

Et si les territoires (certains ont commencé à le faire) pensaient le développement économique en termes de résilience plus que de croissance ? S'ils ne se pensaient plus comme « gestionnaire d'espace » mais comme « gestionnaire de réseaux » ? Il conviendrait de raisonner plus en termes d'accessibilité aux services, aux compétences que de disponibilité/proximité immédiate (de toute façon, désormais hors de portée budgétaire).

L'actuelle crise du Covid-19 est en ce sens un implacable révélateur de l'état des systèmes de santé, d'éducation, d'alimentation, sans même parler de la dépendance extérieure de notre industrie. Elle sera également un stress-test grandeur nature pour de nombreux business-models des acteurs de notre économie.

La pertinence d'un territoire sera moins dans sa taille ou son redécoupage que dans sa capacité à s'organiser en réseaux et à se connecter aux autres territoires.

Chacun travaillait dans son coin au cœur des territoires en essayant de profiter au mieux des opportunités offertes par la mondialisation. Mais peu à peu, avec des perspectives d'évolution en peau de chagrin et des salaires bloqués, les gens sont devenus moins mobiles. L'ascenseur social s'est grippé, au rythme d'inégalités croissantes.

Les écosystèmes comme moteur des territoires

Lorsque nous sortirons de cette crise sanitaire et à la lumière de l'impact croissant des mutations sociétales (environnementale, économique et technologique), il semble essentiel de repenser le développement économique, en privilégiant une logique d'optimisation dans la gestion de toutes les ressources, qu'elles soient naturelles, organisationnelles et technologiques.

Sans repli sur soi, sans rejeter en bloc une mondialisation dont certains ne retiennent aujourd'hui que les travers, (alors qu'elle a tant apporté à tous et à chacun et continuera à le faire), il semble dorénavant essentiel de privilégier d'abord et avant tout le local. En repensant les chaînes de valeur, en identifiant et en reconnaissant tous les acteurs en place, en se pensant comme « écosystème » avec ses forces et ses manques.

Forces et manques comme autant d'opportunités de tisser des liens entre acteurs locaux ou avec d'autres écosystèmes, pour « faire », « faire avec » ou « faire faire ». De tous ces échanges, coordonnés et compilés par la sphère publique, est susceptible d'émerger une vision co-construite du territoire, dont on peut imaginer qu'elle servira au mieux l'intérêt général et sera, de plus, adaptée aux besoins et aux attentes des usagers.

Gageons également que la création et/ou le renforcement d'une identité commune, facteur clef de cohésion et d'attractivité territoriale, aura un impact non négligeable sur l'organisation des services et des politiques publics, avec plus de synergie et de passerelles.

Le numérique est à même de grandement faciliter cette nouvelle organisation. En optimisant les interactions entre acteurs endogènes et entre acteurs endogènes et exogènes, mais aussi en accroissant la visibilité de tous et de chacun. Enfin, en dopant l'accès à l'information et à la connaissance (formation, IA...) qui permettra de mieux répondre aux enjeux sociétaux qui nous attendent.

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