« Ma priorité : il nous faut des postes et des m2 » (Anne Fraïsse, Université Paul Valéry)

INTERVIEW. Anne Fraïsse prend ses nouvelles fonctions de présidente de l’Université Paul Valéry de Montpellier, un établissement qu’elle a déjà présidé durant huit années entre 2008 et 2016. Connue pour ses prises de positions affirmées, la nouvelle présidente s’engage sur une mandature des conditions difficiles, avec une crise Covid qui s’éternise et, à quelques jours du début du 2e semestre, met à mal les étudiants.
Cécile Chaigneau
Anne Fraïsse, nouvelle présidente de l'Université Paul Valéry à Montpellier.
Anne Fraïsse, nouvelle présidente de l'Université Paul Valéry à Montpellier. (Crédits : Université Paul Valéry)

La Tribune - Vous venez de prendre vos fonctions de présidente de l'Université Paul Valéry (Lettres, Arts, Langues et Sciences humaines et sociales), qui emploie 1.250 personnels, dont 732 enseignants chercheurs et près de 1.190 chargés de cours, et accueille 23.000 étudiants. La crise sanitaire place nombre d'entre eux en situation d'isolement social, de détresse psychologique ou de décrochage. Qu'observez-vous ?

Anne Fraïsse* - Aujourd'hui, il n'y a quasiment pas d'étudiants sur le campus... Ils sont dans des situations variées. Certains ont rendu leur chambre en ville. Nous avons fait une enquête en décembre pour évaluer leur volonté de revenir en cours en présentiel ou non.  Même s'il a une majorité qui est favorable à revenir au présentiel, ce n'est pas le cas de tous. Dans certaines UFR, 75% le souhaitent, dans d'autres, c'est l'inverse. En moyenne, 57% aimeraient reprendre les cours en présentiel.

Que fait l'université pour les accompagner ?

Nous sommes parmi les seuls à essayer de prendre en compte le point de vue de l'étudiant. Nous souhaiterions éviter d'imposer une obligation, mais c'est très difficile à mettre en place. D'abord en raison de la liberté pédagogique des enseignants, et ensuite parce qu'organiser des cours en partie en présentiel et en partie en distanciel à la fois demande beaucoup de travail. Nous voulons proposer un système pour les étudiants les plus fragiles économiquement mais ce système en distanciel ne doit pas être pérenne. Pour le présentiel, le couvre-feu instauré à 18 h nous prive d'un certain nombre de créneaux horaires, et on ne sait pas si ces mesures ne seront pas changées dans quinze jours. Les cours du 2e semestre vont démarrer le 25 janvier pour les étudiants de 1e année, en distanciel pour tous les autres. Pour les cours en distanciel, nous avons créé un statut particulier, inspiré du statut de dispensés d'assiduité et qu'on appelle dispensés exceptionnels de présence pour un semestre... Nous avons donné une autre règle : les examens de fin d'année se passeront en présentiel pour tout le monde, pour des raisons techniques - il faut que tous les étudiants passent les mêmes examens - mais aussi parce que les enseignants sont inquiets : les taux de réussite sont plutôt supérieurs, contrairement à ce que disent les étudiants, mais passer les examens chez soi ne permet pas de mesurer la mémorisation et donc les acquis réels. Or au bout de deux ou trois semestres, on est réellement inquiets sur la réalité de ces acquis.

Qu'en est-il de la possibilité pour les recteurs d'élargir le périmètre des dérogations du présentiel aux travaux méthodologiques dispensés dans les facultés de sciences humaines et sociales ?

Pour le moment, celles redemandées pour janvier ont été refusées. Nous allons certainement formuler de nouvelles demandes, notamment pour nos masters pros qui partent en stage long dans trois semaines. Comme ils ne resteront pas sur le campus, on préfèrerait les avoir en présentiel les trois premières semaines. Pour le moment donc, la seule dispense autorisée est celle pour public fragile en groupe de dix mais c'est difficile à mettre en place... Et qu'est-ce qu'on entend par public fragile ? Nous avons décidé de faire rentrer les DAEU (diplôme d'accès aux études universitaires, NDLR) par groupe de dix, dans un campus par ailleurs vide, où seulement un quart du personnel est présent.

Vous avez contribué à développer l'offre d'enseignement à distance de l'Université Paul Valéry de la licence au doctorat. Cela prend-il un sens particulier aujourd'hui, alors que l'enseignement a dû s'adapter à la crise sanitaire ?

Ce n'est pas la même chose. Il s'agit là d'un véritable enseignement à distance et non un présentiel dégradé comme aujourd'hui. On accueille des étudiants en distanciel car c'est la seule possibilité pour les aider mais on ne fait pas de distanciel de qualité. D'ailleurs, les étudiants demandent des formats audio plutôt que de la vidéo car ils décrochent plus vite sur la vidéo, alors qu'ils peuvent réécouter le cours en audio

La Comue (Communautés d'universités et d'établissements) Languedoc Roussillon Université, dont faisait partie l'Université Paul Valéry, a été supprimée au 1e janvier 2020, et remplacée par une convention de coordination territoriale signée entre les quatre universités et l'École nationale supérieure de chimie de Montpellier (ENSCM). Quel impact ?

A l'ouest de l'Occitanie, à Toulouse, il y a une Université fédérale structurée, et à l'est, à Montpellier, une vague coordination... Mais aujourd'hui, il faut tourner la page et fédérer, négocier, travailler avec les autres universités.

Vous vous êtes opposée à la LRU (communément appelée loi d'autonomie des universités), estimant que l'autonomie telle que présentée dans la loi entraînerait davantage de précarisation des enseignants-chercheurs et une limitation du nombre de postes de titulaires. Dans quelle situation est aujourd'hui l'Université Paul Valéry ?

Sur le plan financier, nous avons toujours été une université pauvre mais il y a eu une gestion rigoureuse. En revanche, sur l'encadrement étudiant et les m2, on est dans des abîmes ! Depuis qu'on est passé au RCE (Responsabilités et Compétences Élargies, dont peuvent se doter les universités, à savoir des compétences budgétaires et de gestion des ressources humaines, NDLR), le travail supplémentaire n'est pas couvert par les postes donnés et on aggrave le déficit d'encadrement de l'université, qui aujourd'hui se situe dans les profondeurs du classement en France ! C'est mon problème majeur et ce sera la priorité de ma feuille de route : il nous faut des postes et des m2. Aujourd'hui, on épuise les personnels. Il faut que nous obtenions cette reconnaissance de notre sous-encadrement chronique ! Pourquoi ne pas recruter des enseignants qui feraient un double service d'enseignants ? D'autant qu'on ne parvient plus à trouver des chargés de cours... Et sur les m2, nous sommes officiellement la dernière université de France. On ne sait plus où mettre nos étudiants !

Vous avez été vice-présidente de la Conférence des Présidents d'Université (CPU) en 2011 et 2012, avant de présider, de 2012 à 2014, la commission "Vie étudiante et questions sociales" de cette même instance. Souhaitez-vous occuper à nouveau une place à la CPU ? Non. J'ai beaucoup à faire sur l'université et la CPU a évolué vers un partage des universités en différentes catégories, une politique que je n'approuve pas. Quand la CPU ne parle pas d'une seule voix, cela n'a pas beaucoup de sens... Cela ne m'empêchera pas de donner de la voix. !

Où en est l'opération Campus, qui dotera l'Université Paul Valéry de l'Atrium Learning Center, avec une bibliothèque universitaire modernisée ?

Les travaux de l'Atrium Learning Center sont en cours. L'inauguration était initialement prévue pour décembre 2021, mais les choses ont pris du retard avec la crise sanitaire et l'Atrium sera opérationnel pour la rentrée de septembre 2022.

Vous avez œuvré pour faire reconnaître la place des Sciences humaines et de leurs universités dans le paysage universitaire. Où en est cette place aujourd'hui ?

Je ne suis pas sûre qu'elle ait beaucoup progressé... Mais peut-être peut-on observer quelques frémissements car les crises du genre de celle que l'on traverse montre qu'elles ont des conséquences sociales et économiques importantes et c'est à ce moment-là que l'on se rend compte qu'en science humaines, on a des choses à dire. On ne peut pas être réduits qu'à des corps qui subissent une épidémie. Cette crise peut mettre en lumière la part d'humanité nécessaire. La réponse des sciences dures est peut-être plus immédiate, avec la question du vaccin par exemple, mais nous sommes des compagnons indispensables. Quand on est dans une société de compétition et d'appels d'offres, on accentue la difficulté de ce lien. La disparition de la Comue, c'est finalement un peu ça : une coordination rendue plus difficile...

* professeure spécialisée en patristique latine.

Cécile Chaigneau

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