Histoire d’un parcours du combattant : créer de l’emploi durable pour les femmes du quartier de la Mosson

Dépasser les freins à l’emploi, explorer les savoir-faire individuels et sortir les femmes de la précarité en créant, à force de persévérance et de volonté, de l’emploi durable. C’est ce à quoi s’emploie l’IMEIF dans le quartier (QPV) de la Mosson, à Montpellier. L’objectif de sa cheville ouvrière, Soraya Rahal : créer une coopérative d’activité et d’emploi féminine et solidaire. Récit d’un parcours du combattant.
Cécile Chaigneau
L'objectif de l'Institut Méditerranéen d'études d'ingénierie et de formation (IMEIF) est d'aider les femmes du quartier de la Mosson, à Montpellier, à s'insérer professionnellement et à s'émanciper.
L'objectif de l'Institut Méditerranéen d'études d'ingénierie et de formation (IMEIF) est d'aider les femmes du quartier de la Mosson, à Montpellier, à s'insérer professionnellement et à s'émanciper. (Crédits : IMEIF)

En ce début d'été caniculaire, la chaleur s'est abattue sur Montpellier. Dans le quartier de la Mosson, classé quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), le bureau de Soraya Rahal est installé au rez-de-chaussée d'un immeuble. Derrière la fenêtre, de l'eau ruisselle depuis l'un des balcons du dessus et des groupes de personnes discutent sur le pas de la porte. « Il y a une antenne des Restos du Cœur juste à côté », précise-t-elle...

Voilà vingt-cinq ans que Soraya Rahal travaille avec les femmes du quartier, dans le milieu associatif. C'est dire si elle les connaît bien et a largement fait le tour des problématiques auxquelles elles sont confrontées.

« C'est difficile pour les femmes dans ce type de quartier, et en 25 ans, je n'ai vu aucune amélioration à la Mosson, qui compte 26.000 habitants, dont 60% qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté, constate Soraya Rahal, qui a notamment été codirectrice d'une association qui proposait de l'accompagnement à la création d'entreprise. Les femmes, qui cumulent les freins à l'emploi, sont plus touchées par la précarité que les  hommes. Moins d'une sur deux a un emploi, souvent à temps partiel, et on ne leur propose pas grand chose d'autre que du ménage... Quelques-unes d'entre elles se positionnent sur la création d'entreprise à partir de savoir-faire de la sphère domestique, cuisine et couture, mais leur démarche ne va pas loin par manque de moyens, de professionnalisation et de réseaux professionnels. Ce qui ne leur permet pas de pérenniser leurs activités. La tâche est immense. J'ai observé qu'on faisait beaucoup d'accompagnement pour peu d'effet durable. Et que ça ne permettait pas de les sortir de la précarité. »

L'approche métier

Cette titulaire d'un Master II en développement local obtenu à l'Université d'Aix-Marseille, obstinée et persévérante, a un objectif et ne lâchera rien tant qu'elle ne l'aura pas atteint. Sa foi dans le potentiel des femmes est immense et elle embarque avec elle une équipe associative de six salariées. Et tout une communauté de femmes. Aujourd'hui, Soraya Rahal s'arc-boute sur un projet qui a germé dans son esprit il y a bien longtemps : créer une coopérative d'activité et d'emploi pour les femmes.

« Il y a 25 ans, c'était encore moins facile qu'aujourd'hui... En 2011, j'ai créé l'Institut Méditerranéen d'études d'ingénierie et de formation (IMEIF, ndlr) dont l'objectif est d'aider les femmes à s'insérer professionnellement et à s'émanciper. J'ai voulu privilégier l'approche métier et je l'ai structuré par filière : médico-social, restauration, textile. »

La branche médico-sociale, soutenue par divers partenaires et financeurs(1) (que Soraya Rahal tient scrupuleusement à citer) est aujourd'hui la plus aboutie : elle prépare les femmes aux concours d'entrée des formations sur les métiers en tension et sans besoin de diplôme préalables, comme aide-soignante, accompagnante éducative et sociale, et auxiliaire de puériculture.

« Nous travaillons en partenariat avec les établissements médico-sociaux, qui sont en quête de personnes motivées, et avec les écoles, en faisant beaucoup d'immersion et même des chantiers d'insertion, explique-t-elle. Nous avons choisi des petites promotions de dix femmes pour faire du qualitatif jusqu'au contrat d'entrée à l'école. En général, 7 à 8 femmes par promotion sont insérées, des mères de famille de 40-50 ans ou des jeunes femmes. »

Se mettre dans une posture professionnelle

Sur le volet textile, le programme "Métier à créer" propose aux femmes intéressées un parcours professionnalisant s'appuyant sur leurs compétences en couture, broderie, crochet ou tricot, et s'orientant vers la création d'une collection textile commercialisable. Pour approvisionner les femmes en matière première, l'IMEIF a signé plusieurs partenariats avec des entreprises de production de textile, comme Plo Ennoblisseur, Les Tissus de Charlieu ou encore la Mégisserie d'Arlic, qui leur cèdent des pièces défectueuses afin de leur donner une seconde vie.

A l'issue, des expositions-ventes sont organisées dans plusieurs lieux montpelliérains dédiés à l'artisanat d'art et au design d'objets pour valoriser le travail des participantes, notamment le Sommet Afrique-France en octobre 2021.

C'est avec ce programme que l'IMEIF a pu décrocher, entre autres financeurs(2), une dotation de 10.000 euros de la Fondation EDF dans le cadre d'un appel à projets de mécénat territorial (doté d'une enveloppe de 100.000 euros, renouvelé cette année aux côtés de la Région, Montpellier Métropole Méditerranée, Toulouse Métropole, la DREAL et Leader Occitanie).

« Ce qui nous a permis de financer quelques machines pour l'atelier couture, précise la fondatrice de l'IMEIF. Là aussi, nous accompagnons une dizaine de femmes chaque année pour les amener à se mettre dans une posture professionnelle. Comme cette initiative a suscité de l'intérêt et qu'il y a un gros potentiel, j'ai eu envie de monter une coopérative d'activité et d'emploi. »

Shake Mama

Ce projet de coopérative d'activité et d'emploi (CAE) féminine et solidaire, Soraya Rahal le porte aussi pour le volet restauration. Elle s'appellera Shake Mama.

« Mais nous faisons ça en deux temps : d'abord une couveuse d'activité pendant deux ans et ensuite la coopérative, explique-t-elle. J'ai parlé de ce projet à l'Airdie qui nous a positionnés sur le concours Place de l'émergence France Active. Nous avons été sélectionnés et la Banque des Territoires a financé l'étude de faisabilité, ce qui m'a permis d'aller voir autres financeurs comme l'Etat, la Région, la Métropole de Montpellier, le Département de l'Hérault ou Bpifrance. »

Alors qu'elle cherchait, à Montpellier, un local pour doter la couveuse d'un outil de production, une occasion s'est présentée : ouvrir un tiers-lieu culinaire éthique et durable au sein du futur Espace Gisèle Halimi. En décembre dernier, la Métropole, porteuse de l'aménagement de cet espace, lui a donné son feu vert. L'Espace Gisèle Halimi, 3.000 m2 au cœur du quartier de la Mosson, sera le premier projet emblématique, vitrine de l'opération ANRU Mosson. Il a vocation à accueillir une douzaine de structures de manière permanente (CCAS, Mission locale des jeunes, une antenne du BIC, une grande école du numérique, etc.). C'est donc là que l'IMEIF implantera sa couveuse d'activité, préfiguration de la future CAE Shake Mama.

Une exigence de qualité

 « L'objectif, c'est d'avoir un collectif constitué d'une douzaine de femmes, indique Soraya Rahal. J'ai commencé leur recrutement, et il y a beaucoup d'envie... Nous attaquerons la formation en octobre prochain, probablement avec l'INFA, un centre de formation spécialisé en restauration, afin qu'elles soient prêtes en février 2023, pour l'ouverture de ce tiers-lieu culinaire. Les femmes de Shake Mama seront sur l'offre de restauration du midi, avec une encadrante-cuisinière et une animatrice. Le reste de la journée, elles pourront y développer leur propre activité de traiteur. L'objectif, c'est qu'elles aient un chiffre d'affaires suffisant pour en vivre. Je parie sur les modes de consommation plus locale, en circuit court. Rien que dans l'Espace Gisèle Halimi, il y aura sûrement de la demande, les structures auront à cœur de les faire travailler. »

Et Soraya Rahal insiste : « C'est une démarche longue parce que je suis sur une exigence de qualité. Je ne veut pas que cette activité des femmes du quartier soit considérée comme artisanale voire amateur ! ».

(1) CHRS, ICM, Oc Santé, groupe Ugecam Occitanie, Unapei 34, ObéSanté Montpellier, Le Lien, FHP LR, IRTS, CFA sanitaire et social, Maison de retraite protestante, CÉMÉA, Initiatives, Korian, Etat, Région Occitanie, Métropole et Ville de Montpellier, Linking Talent, AKTO.

(2) Région Occitanie, Métropole et Ville de Montpellier, BNP Paribas, EDF, Fondation Banque Populaire, M&T.

Cécile Chaigneau

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