26 villes moyennes d’Occitanie à la loupe : seront-elles en capacité de répondre à l’attrait qu’elles suscitent ?

A la faveur de la crise sanitaire, les villes moyennes gagnent une attractivité nouvelle. Une enquête de la Cour des comptes et de la chambre régionale des comptes Occitanie sur 26 villes moyennes de la région apporte un éclairage sur la situation (hétérogène) de ces communes (démographie, santé économique et sociale, finances, faiblesses et lacunes, etc.) et leur éventuelle capacité à répondre à l’attrait qu’elles peuvent susciter.
Cécile Chaigneau
Dans l'échantillon de 26 villes moyennes étudiées par la Chambre régionale des comptes Occitanie, la ville de Sète est le couple commune-EPCI qui investit le plus par habitant en matière culturelle.
Dans l'échantillon de 26 villes moyennes étudiées par la Chambre régionale des comptes Occitanie, la ville de Sète est le couple commune-EPCI qui investit le plus par habitant en matière culturelle. (Crédits : Laurent Boutonnet)

Elles sont des maillons essentiels de l'organisation territoriale et l'objet d'importantes politiques publiques : soutien à l'investissement, refonte de la politique de la ville, politique du logement, action "Cœur de ville", stratégie de revitalisation commerciale.

A l'heure où les villes moyennes regagnent de l'attractivité, à la faveur de la crise sanitaire, la Cour et la Chambre régionale des comptes Occitanie révèlent les résultats d'une enquête menée sur 26 villes moyennes d'Occitanie (de 10 000 habitants à 100 000 habitants, suffisamment distantes des pôles métropolitains) et leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Des territoires qui regroupent 1,8 million d'habitants, soit 31 % de la population et 18 % des emplois de la région.

26 villes moyennes en Occitanie

Démographie en berne, périurbanisation, paupérisation...

L'enquête porte sur la période 2013-2018, soit avant la crise sanitaire du Covid-19, laquelle fera inévitablement basculer les équilibres. Et l'impact de la crise dépendra évidemment de la situation antérieure de ces villes au moment où elles sont entrées dans la crise...

Comment peuvent-elles faire pour augmenter leur attractivité ? Auront-elles les moyens d'absorber cette attractivité ? Quels sont leurs atouts et leurs faiblesses ? De quelles marges de manœuvre financières disposent-elles ? Quel soutient de l'État peuvent-elles encore espérer ? Autant de questions que le gendarme des comptes publics est allé examiner.

« Elles ont en commun quatre difficultés, souligne Chrystelle Naudan, première conseillère. Tout d'abord un dynamisme démographique moindre que la région, les métropoles et leurs EPCI d'appartenance, avec un phénomène de périurbanisation qui produit de l'étalement urbain, des problématiques de mobilités quotidiennes et une paupérisation des centres-villes. On observe aussi une croissance économique moindre, avec une économie plus présentielle que productive (Tandis que, sur les 25 dernières années, le nombre d'emplois a augmenté de plus de 30 % à l'échelle régionale, il n'a progressé que de 17 % dans les villes moyennes, NDLR). Enfin, elles souffrent d'une problématique de démographie médicale ainsi que d'un désenclavement inégal et d'une connexion au numérique très inférieure aux métropoles. »

« Plus endettées que l'ensemble des communes françaises »

La réduction des dotations de l'Etat, notamment compensée par l'augmentation des ressources fiscales, une maîtrise des charges de gestion mais aussi le report de certains investissements, ont permis à ces villes de conforter leur capacité de désendettement. Mais de manière non homogène d'une ville à l'autre.

« Ces 26 villes moyennes ont abordé la crise ave marges de manœuvre mais aussi des fragilités, et les situations ne sont pas homogènes, souligne Valérie Renet, présidente de section. A Rodez, Gaillac et Narbonne, on observe une consolidation budgétaire. Béziers a été prudente dans les investissements, mais Mende, Montauban et Lunel sont plus exposées car elles ont mené des politiques d'investissements ambitieuses. Alès est la seule à améliorer sa situation financière tout en ayant diminué ses impôts locaux, signe d'une bonne maitrise. »

Le rapport de la chambre régionale des comptes observe que « même si le montant de fiscalité prélevé sur les ménages dans les centres-villes est supérieur à celui prélevé au niveau national, ces villes restent plus endettées que l'ensemble des communes françaises ».

« La relance de leurs dépenses d'équipement, constatée depuis 2017, risque de dégrader la situation financière de plusieurs d'entre elles, et le bloc communal pourrait voir son épargne brute diminuer de plus de 20 % en 2020, il faut donc être vigilant », ajoute Valérie Renet.

D'autant qu'une autre faiblesse est constatée : la dynamique intercommunale qui devrait faire effet de levier ne joue pas son rôle en raison « d'une adéquation insuffisante entre le périmètre des EPCI et celui des bassins de vie, à l'exception de la ville d'Alès où la dynamique de territoire est très affirmée ».

L'élargissement des EPCI a souvent entraîné un affaiblissement administratif de la ville-centre, dont le poids a diminué au sein du conseil communautaire. Et la définition des compétences communautaires demeure trop restrictive et rend difficile le déploiement de politiques cohérentes.

Une action de l'État mais des écueils

« Ces villes moyennes sont toutes conscientes des difficultés et mobilisées, déclare Chrystelle Naudan. Mais elles n'ont pas tous les leviers d'action, et les mesures prises sont de portée inégales... L'État intervient massivement auprès des villes moyennes, c'est même le 1e financeur, avec pour chacune une moyenne de 9,4 M€ de subventions par an, et 14,7 M€ pour les EPCI. A partir de 2018, le programme "Action cœur de ville" a bénéficié à 25 villes en Occitanie. Un premier bilan fait apparaître que c'est un véritable apport, et qui donne de la visibilité en raison de sa pluriannualité. »

Mais il y a un hic, selon la chambre régionale des comptes : ce soutien significatif de l'État est sans articulation avec les politiques territoriales de la région. Ainsi, dans la région, les conventions "Action cœur de ville" signées ont-elles « pâti d'un temps de préparation réduit et restent, à ce stade, limitées à des états des lieux et des engagements de principe, accompagnés d'une liste de projets ».

Comment remédier à cette situation ?

« Il faut penser la ville dans son ensemble, avec les territoires qui l'entourent, non pas dans des logiques de centralité mais dans des logiques de réseaux, en complémentarité et en synergie avec les autres villes moyennes plutôt qu'en concurrence, préconise Chrystelle Naudan. Et pour ça, il faut mieux les accompagner à la définition de stratégies de territoires, en faisant coopérer les Départements (2e financeurs, avec 6 M€ par an pour les 26 villes et 6,9 M€ pour les 25 EPCI de l'échantillon), la Région (4,3 M€ par an de subventions d'équipement aux 26 villes, et 4,9 M€ aux EPCI), les Métropoles, les EPCI... Ces dispositifs de soutien gagneraient à être coordonnés par des comités de pilotage au sein des EPCI. »

Bonne dynamique à Rodez, importantes déprises à Tarbes

Quelles sont les situations particulières de certaines de ces 26 villes passées à la loupe ? La chambre régionale des comptes pointe plusieurs atouts pour la ville de Rodez (12) : « C'est un vrai pôle de centralité, avec un taux de chômage à 4,9 %, le plus bas de la région. Ce qui est intéressant, c'est que la ville a été transformée, avec une bonne coordination entre la commune et l'EPCI, qui a financé le musée Soulages et a nettement amélioré l'attractivité. La communauté d'agglomération investit massivement sur les commerces, et la ville défend la qualité visuelle sur ce que les commerçants peuvent faire ou non. Le taux de vacance commerciale est le plus faible des 26 villes étudiées. Financièrement, la situation est bonne et a des marges de manœuvre pour agir. Mais il s'agit d'une intercommunalité ancienne et qui est restée sur le même périmètre depuis le début, soit 8 communes, ce qui est petit pour gérer la périurbanisation et la problématique de concurrence fiscale. Sa fragilité : l'usine Bosch, très tournée vers le diesel... ».

La ville de Tarbes (65), 40 000 habitants, se démarque par une situation de déprise démographique (trop éloignée de la métropole toulousaine pour être une zone résidentielle) et économique (c'est la ville qui a perdu le plus d'emploi sur la période étudiée). Sa population est vieillissante et des quartiers paupérisés sont touchés par la vacance de logements et de commerces. Une politique pourtant volontariste (notamment des actions de revitalisation du centre-ville) n'est pas encore parvenue à renverser les dynamiques et à endiguer pertes d'emplois et de population.

Mende, Agde, Sète...

« A Mende, en Lozère, la situation sociale est préservée, avec un taux de chômage faible à 5,9 %, décrit Chrystelle Naudan. On observe un phénomène de périurbanisation, une concurrence fiscale entre la ville et les communes autour. La ville dispose d'une capacité d'autofinancement limitée mais elle a mis en œuvre une politique d'investissement conséquente grâce à des subventions importantes, ce qui génère un niveau d'emprunt élevé. Mende a bénéficié de nombreux dispositifs d'accompagnement - 2,7 fois plus que la moyenne de la strate. La ville travaille bien avec Communauté d'agglomération mais les aides ne sont pas coordonnées... »

La ville d'Agde (34), 30 000 habitants et 1e destination balnéaire de France, affiche un important taux de chômage (14,5 %), un taux de pauvreté élevé, notamment en centre-ville, et des problèmes de logements vétustes dans le centre ancien, avec des interventions souvent complexes et coûteuses. Les effets des politiques publiques sont malheureusement « limités » -« nous préconisons de transférer la compétence urbanisme à l'intercommunalité » - mais les finances sont dans une bonne situation, avec « un niveau confortable d'épargne malgré une forte augmentation des encours de dette et un niveau de dépenses annuelles d'équipement la plus élevée de l'échantillon ».

« A Sète, la situation sociale est fragile, avec un taux de chômage de 11,7 %, un taux de pauvreté important, beaucoup de vacance commerciale. Le problème, c'est que la ville est sur un espace restreint et qu'il faut reconstruire la ville sur elle-même. Le port pèse lourd - 2 600 emplois, 1,6 Mds € d'activité, 400 M€ investis sur la période - tout comme l'activité touristique. Dans notre échantillon de 26 villes, c'est le couple commune-EPCI qui investit le plus par habitant en matière culturelle (musées, festivals, éducation musicale et culturelle, lecture publique, etc.). Ils ont misé dessus et ça marche en termes d'image, l'identité, de rayonnement. Côté finances, la pression fiscale est lourde, et le niveau de dépenses d'équipements par habitant inférieur à la moyenne. Son endettement étant important, ses marges de manœuvre sont donc limitées. »

Malgré une sa situation financière en bonne voie, une dynamique de territoire affirmée grâce à une bonne coopération entre commune et intercommunalité, Alès affiche néanmoins une faiblesse sur le logement, et des taux de chômage et de pauvreté importants. « Nous avons préconisé la mise en place d'un plan local d'urbanisme et d'habitat sur l'intercommunalité », précise Valérie Renet.

« On est à la croisée des chemins »

Ces villes moyennes, souvent dites « à taille humaine » et appréciées pour leur proximité avec la nature, reviennent sur le devant de la scène et se parent d'attractivité dans l'imaginaire collectif. La crise sanitaire du Covid-19 va-t-elle renverser concrètement la balance à leur profit au détriment des trop grandes métropoles ? Il est encore trop tôt pour le dire.

« La crise sanitaire va faire évoluer les choses, mais ces villes moyennes sont importantes sur les territoires, d'autant qu'il y a une demande des gens pour y vivre, conclut Valérie Renet. Il faut donc mettre l'accent dessus. On est à la croisée des chemins. »

Parmi les 10 recommandations que formule le gendarme des comptes publics en vue d'améliorer l'attractivité de ces villes moyennes, figurent « une meilleure coordination des politiques d'investissement pour éviter une mobilisation excessive du levier fiscal », « un objectif de convergence fiscale dans les pactes fiscaux et financiers », « la mention, dans les rapports d'orientation budgétaire, du montant d'autofinancement disponible, une mise en perspective pluriannuelle et un ratio portant sur le financement propre disponible rapporté aux dépenses d'investissement », la création d'un « observatoire régional du commerce en centre-ville », ou « l'expérimentation d'un programme proposant aux villes moyennes une aide en ingénierie de projet pour concevoir une stratégie locale de développement à l'échelle des EPCI ».

Cécile Chaigneau

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