Post-Covid : comment les capital-risqueurs et business angels vont-ils investir ?

La crise sanitaire a mis un coup d’arrêt aux activités des entreprises et à certains projets de financement. Comment les capital-risqueurs et les business angels vont-ils désormais réagir à la demande de financement des entreprises dans un contexte plus insécurisé, où les dimensions de digitalisation, de responsabilité environnementale et de relocalisation de l’activité sont plus que jamais affichées comme des nécessités ? Entretien croisé avec Corinne d’Agrain, présidente d’Irdi-Soridec, et Gilles Roche, président de Melies Business Angels et d’Occitanie Angels.
Cécile Chaigneau
Corinne d'Agrain, présidente d'Irdi-Soridec, et Gilles Roche, président de Melies Business Angels et Occitanie Angels.
Corinne d'Agrain, présidente d'Irdi-Soridec, et Gilles Roche, président de Melies Business Angels et Occitanie Angels. (Crédits : DR)

Basée à Toulouse, Montpellier et Bordeaux, Irdi Soridec Gestion accompagne en capital les entreprises basées en Occitanie et Nouvelle Aquitaine à tous les stades de leur développement (amorçage, capital risque, capital développement / transmission). Melies Business Angels, basé à Montpellier, compte quelque 110 investisseurs actifs et intervient pour financer des start-ups innovantes en amorçage. Le réseau a soutenu 40 entreprises depuis sa création, dont environ 25 actuellement. En 2016, Melies s'est rapproché de Capitole Angels, basé à Toulouse, pour former Occitanie Angels.

Qu'avez-vous observé durant la période de confinement, notamment pour les opérations de financement qui étaient en cours ?

Corinne d'Agrain, présidente d'Irid-Soridec : « Nous avons resserré notre présence auprès des dirigeants des entreprises de notre portefeuille, soit 190 sociétés aujourd'hui, en se posant la question de la mesure de l'impact selon leur secteur et leur activité. Les secteurs en région sur lesquels on pouvait être inquiets sont le tourisme et l'aéronautique. Les entreprises qui sont en danger aujourd'hui sont celles qui étaient très fragiles avant la crise. Mais il faut noter que les entreprises ont été remarquablement accompagnées par les pouvoirs publics... Dans cette période particulière, notre rôle était de les sensibiliser sur les enjeux clefs comme la gestion du cash ou la bonne compréhension des mesures de soutien. Concernant les dossiers en cours, la tentation d'attendre d'y voir plus clair était grande. Mais nous avons décidé de maintenir nos opérations d'investissement dans AB7 (à Deyme près de Toulouse, pour le développement de la division santé animale, NDLR), Phost'In Therapeutics (à Montpellier, pour le lancement des tests cliniques de sa molécule anticancéreuse, NDLR), Toopi Organics (à Langon près de Bordeaux, pour le financement de sa première unité de production en Sud Gironde, NDLR) et le groupe Générale du Solaire (à Paris et Montpellier, pour accélérer son développement, NDLR). »

Gilles Roche, président de Melies Business Angels et d'Occitanie Angels : « Le comité de pilotage, composé de 23 personnes, se réunit habituellement deux fois par mois, mais durant le confinement, nous avons décidé de le réunir toutes les semaines pour garder le contact avec les entreprises soutenues (près de 25 actuellement, NDLR), ne pas lever le pied sur les problèmes, partager les bonnes nouvelles. Aucun projet n'a été annulé à cause de la crise. Au mieux peut-être y a-t-il eu un ralentissement, notamment sur le deal-flow, puisque nous sommes tributaires des pépinières et des incubateurs. Par ailleurs, nous avons intensifié notre accompagnement des entreprises avec un renforcement de l'accompagnement par binôme pour s'assurer qu'elles étaient bien informées des dispositifs d'aide publique. Nous avons fait du mapping pour voir lesquelles allaient être mises en danger. Une seule, dans le secteur du numérique, a eu besoin d'aide et d'être refinancée. Nous avons continué à instruire les dossiers en cours et commencé à en étudier de nouveaux. Nous tiendrons deux comités d'investissement avant la mi-juillet. »

Quelle sera votre stratégie d'investissement pour accompagner les entreprises du territoire à la reprise économique et aux mutations qui vont découler de la crise ?

Corinne d'Agrain : « Nous allons continuer bien sûr de soutenir les entreprises que nous accompagnons déjà et consolider les fonds propres pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire. Mais nous voulons aussi être capables de pouvoir accompagner deux types d'opérations. Tout d'abord des projets défensifs, ceux dont les fondamentaux étaient solides avant la crise avec des projets et des perspectives, mais qui vont devoir faire face à des difficultés conjoncturelles. Et des projets offensifs : il va y avoir de gros enjeux sur la définition des priorités stratégiques des entreprises du territoire sur le mouvement de relance. On s'est dit qu'on allait mettre un focus fort sur les filières participant au développement régional comme l'aéronautique - qui est particulièrement touché et sur lequel il faudra veiller à ce qu'il n'y ait pas de perte de compétences -, l'agroalimentaire, la santé, le tourisme, les énergies renouvelables. L'idée est de faire en sorte qu'il y ait de plus en plus de ponts entre ces entreprises pour mieux accompagner les mutations du territoire. C'est dur mais les chefs d'entreprises ont gardé leur sang-froid et prennent le sujet avec beaucoup de courage et de lucidité... Je ne pense pas qu'il y aura plus de frilosité qu'avant la crise car nos investissements relèvent toujours d'études approfondies. Mais il faut prendre en compte les mutations en cours, mesurer l'impact de la crise sur l'entreprise et s'assurer de l'évolution de ses besoins de financement. »

Gilles Roche : « Nous souhaitons à la fois sécuriser notre portefeuille et investir dans de nouveaux projets. Il est vrai que pour le moment, on ne sait pas comment les investisseurs vont réagir. Mais nous avions des fonds d'avance. Seront-ils plus frileux ? C'est une grande inconnue. Les particuliers qui mettent leur argent personnel par exemple vont avoir comme préoccupation de gérer leur patrimoine. »

En tant qu'investisseurs, aurez-vous de nouvelles exigences, en matière de responsabilité écologique par exemple, et allez-vous favoriser des projets permettant la relocalisation d'activité, de technologies ?

Corinne d'Agrain : « L'aspect développement durable est déjà pris en compte. Nous mettons en œuvre une méthodologie avec une grille d'analyse sur nos investissements pour suivre des entreprises dans le temps et prendre en compte les critères RSE. Nous travaillons avec nos partenaires, publics ou privés, pour être à leur écoute sur ces questions et définir des critères filière par filière. Pour ce qui est de la localisation des activités, on espère que ce sera amplifié ! Nous privilégierons les projets qui participent au développement sur le territoire, notamment dans les domaines de la santé, des technologies du futur, des énergies renouvelables, la mobilité, la digitalisation ou encore la biodiversité et l'alimentation. Notre région a des atouts forts pour faire valoir relocalisation sur la région. Il faut travailler tous ensemble, faire front en ayant la conscience de nos atouts. »

Gilles Roche : « Non. Par nature, nous sommes dans des projets à très grands risques, peu sécurisés. C'est aventureux, mais on est habitués. Nous venons de re-signer, fin mai, une nouvelle convention entre le Conseil régional et Occitanie Angels, et il y aura des critères RSE pour nos investissements. La localisation des activités sur le territoire va probablement en faire partie, mais nous avons toujours été attentifs à ça. »

Cécile Chaigneau

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