A Montpellier, le Medef, en pleine crise du recrutement, s'interroge sur le sens au travail

Le 8 septembre, le Medef Hérault Montpellier déclinait l’événement national du Medef, la #REF, à l’échelle locale. L’occasion de convoquer des sujets montants, comme les problématiques de recrutement et de fidélisation des salariés, et la question affiliée du sens au travail. L’entreprise doit-elle porter la responsabilité du bonheur au travail ? Si là n’est pas son rôle, alors doit-elle quand même y contribuer ? Tour de table, entre philosophie et pratiques.
Cécile Chaigneau
Le 8 septembre 2022, Jean-Marc Oluski, président du Medef Hérault Montpellier, a présidé la première #REF à l'échelle locale.
Le 8 septembre 2022, Jean-Marc Oluski, président du Medef Hérault Montpellier, a présidé la première #REF à l'échelle locale. (Crédits : DR)

Alors que le président national du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, était déjà reparti de Montpellier la veille pour assister ce matin du 8 septembre au Conseil national de la refondation par Emmanuel Macron, les adhérents du Medef Hérault Montpellier se retrouvaient toute la journée pour leur première #REF locale, déclinaison de l'événement annuel national organisé par le syndicat patronal. Le Medef annonce la présence de plus de 1.000 décideurs économiques.

Pour répondre à un contexte actuel complexe pour les chefs d'entreprises, notamment marqué par d'importantes difficultés à recruter et à fidéliser leurs salariés, une question a servi de fil rouge à cette journée d'échanges : "L'entreprise en quête de sens".

« Je crois à l'entrepreneuriat, au travail, a commencé Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'Economie sociale et solidaire et de la Vie associative. La "grande démission" (phénomène de démissions professionnelles qui a commencé aux États-Unis à la suite de la crise sanitaire et commence à toucher la France, dans une moindre ampleur toutefois, NDLR) est peut-être l'occasion de la grande négociation. Il faut rendre à nouveau le travail désirable... Les jeunes disent d'ailleurs qu'ils préfèrent avoir un métier porteur de sens plutôt que bien rémunéré. »

« Des salariés prêts à se jeter dans le vide »

Des intervenants locaux, régionaux ou nationaux sont venus dévoiler leur recette. Chez Dell, Muriel Avinens, la directrice du site montpelliérain, prône de « laisser du temps aux employés, sur leur temps de travail, pour s'investir dans des causes auxquelles ils sont sensibles ». Laurent Labbé, CEO ChooseMyCompany, qui souligne que « depuis le Covid, la prise de conscience du rôle social de l'entreprise s'est accélérée », témoigne du sens et de la motivation qu'a apporté aux salariés le fait de devenir une entreprise à mission il y a deux ans. Il souligne un autre changement dans le monde du travail : « Avant, les salariés étaient interchangeables, aujourd'hui, on reprend en considération le collaborateur, l'individu ».

« Enfin, l'employé revient au centre de l'attention, se réjouit lui aussi le fondateur et dirigeant de la licorne régionale Swile, Loïc Soubeyrand. C'est la bonne "expérience employé" qui amènera la bonne "expérience clients". On parle de la grande démission, et on voit des salariés prêts à se jeter dans le vide face à un quotidien qu'ils réfutent : mais qu'est-ce qui fait qu'on est motivé ? Chez Swile, nous avons mis les valeurs au centre de tout, nous avons misé sur l'esprit d'équipe car dans une hyper croissance, il y a toujours des trous dans la raquette et il faut compenser. »

Cols bleus et cols blancs

« Un jeune qui rentre sur le marché du travail aujourd'hui a des chances d'exercer 8 à 10 métiers différents en 40 ans, ajoute Nicolas Hazard, CEO de Inco. On est devant un défi colossal. Cette révolution ne touche pas que les cols bleus mais aussi les cols blancs, comme les comptables, les avocats ou encore les radiologues qui voient aussi leurs métiers évoluer. L'entreprise doit se préparer et il y a une transformation profonde des business-modèles à opérer - et il ne suffira pas d'installer des baby-foot ! - et du rapport au salariat. Il faut accompagner les trajectoires des salariés. »

Colin Lalouette, CEO d'Appvizer, prône, quant à lui, le collectif : « On est dans une société capitaliste où l'individu est challengé mais le collectif, c'est aussi ce qui fait l'inspiration dans l'entreprise ».

Mais le bonheur au travail serait-il la grande illusion des temps modernes ? L'entreprise porte-t-elle la responsabilité du bonheur de ses salariés ?

Alors que la crise sanitaire est déjà venue déstructurer les organisations du travail et déconstruire certaines philosophies entrepreneuriales en conférant au télétravail de nouvelles vertus, le sujet enflamme... Télétravail dont Ariel Wizman, ancien journaliste et animateur de Canal+, aujourd'hui entrepreneur après avoir obtenu la franchise exclusive de la chaîne d'accessoires chinoise Miniso pour la France, dit qu' « on n'a pas mesuré son efficacité en terme de productivité alors qu'il est devenu obligatoire et source de caprice des salariés dans un marché en tension »...

« Je déteste les injonctions au bonheur »

Béatrice Taudou, responsable Observatoires et services aux branches professionnelles chez Malakoff Humanis, met plusieurs éléments dans l'équation du bonheur au travail : « En France, le dirigeant doit gérer une attente de satisfaction plus forte que chez nos voisins où il existe une vision plus contractuelle du travail. Le bonheur au travail se joue sur la qualité de l'équipe, sur le sens de son travail et sur la qualité du projet, mais aussi sur la politique de rémunération ».

Julia de Funès, philosophe et conférencière, parle, elle, de « comédie inhumaine »...

« J'étrille cette idée du bonheur au travail car on y met des process et des normes comportementales, s'exclame-t-elle. Or il y a autant de réponses que de personnes car c'est une affaire subjective et individuelle. Je déteste toutes les injonctions au bonheur ! Les pauvres entreprises ont dévié vers une démarche "bonhumériste" en installant des baby-foot, des roof-tops, en proposant des gadgets. C'est prendre les gens pour des imbéciles ! Le raisonnement pernicieux dans lequel beaucoup d'entre elles sont tombées est de dire que les salariés heureux au travail seront plus performants. Or le bonheur est la conséquence de quelque chose. Alors je crois à l'inverse : c'est parce qu'on a la possibilité d'être performant qu'on est heureux... ».

« Les chiefs happyness officers sont des emplois fictifs »

Dans sa lancée, elle rhabille également pour l'hiver les démarches de développement personnel et certains coachs qui les dispensent : « Les préceptes du développement personnel échouent parce qu'ils recourent toujours aux mêmes rouages psychologiques et à beaucoup d'artificialisation. Les recettes comportementales sont plus liberticides que libératrices ! Et je considère que les chiefs happyness officers sont des emplois fictifs ! Je critique absence de rigueur sur de ces métiers de coach ».

« Non, le rôle de l'entreprise n'est pas de faire accéder ses salariés au bonheur, chacun doit prendre son destin en main, déclare Laurent Moisson, directeur de publication du magazine Les Déviations. J'ai rencontré chefs d'entreprises qui n'avaient pas réfléchi à ça et qui avaient pourtant une bonne ambiance et un turn-over faible dans leur société car ils appliquaient avec efficacité "l'objectif zéro sale con", c'est à dire éviter les gens nuisibles qui rendent leurs collaborateurs malheureux. »

Ariel Wizman ajoute que « demander à l'entreprise de nous rendre heureux est un symptôme de malaise. Le bonheur, le sens de la vie, s'acquièrent, c'est le fruit d'une construction et d'un travail intérieur, qui s'obtient de façons diverses, par la valorisation de l'acte de travail mais aussi dans la famille, dans le rapport à la nature, etc. ».

Haro sur la bienveillance

Pour Julia de Funès, les conditions du bien-être, qu'il soit au travail ou dans sa vie privée, résident essentiellement dans l'action.

« L'expression "remettre l'humain au cœur", c'est souvent de la flûte !, lâche-t-elle devant le parterre de chefs d'entreprises chez qui l'expression fait souvent florès. Il faut redonner de l'autonomie au salarié, ce qui signifie une capacité à s'affranchir des process, ne jamais faire des process le sommet des priorités au détriment du sens de la situation. Sinon, on ressemble à une intelligence artificielle bas de gamme... Pour être actif, il faut pouvoir répondre à la question du sens de ce qu'on fait. Le travail n'est plus pensé comme une finalité mais un moyen pour s'épanouir. Et le travail, l'entreprise, doivent être des moyens au service d'autre chose qu'eux-mêmes. Autrement dit, le profit n'est pas suffisant, il faut lui adosser un projet ! Enfin, pour agir, il faut une dose de confiance. »

La philosophe termine son propos en étrillant le mot-concept à la mode de "bienveillance" : « Le sens en est galvaudé, et il conforte tout le monde dans sa propre ignorance. Dans l'entreprise, il y a ce complexe de l'autorité qui fait qu'on n'ose plus reprendre un de ses collaborateurs qui dirait des âneries. On confond trop souvent la contradiction et le conflit. La bienveillance n'est pas le silence ! ».

Cécile Chaigneau

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