A Montpellier, le Medef sonde l’inévitable métamorphose du travail

La REF (Rencontre des entrepreneurs de France) du Medef Hérault Montpellier, qui s’est déroulée le 7 septembre, avait logiquement choisi la métamorphose du monde du travail comme thématique. Crise de fidélisation des salariés, retournement du marché de l’emploi et crise du recrutement, bouleversement des organisations du travail… Les entreprises, soumises à l’épreuve du changement, sont contraintes de se regarder dans le miroir pour faire évoluer leurs paradigmes.
Cécile Chaigneau
Lors de la REF du Medef Hérault Montpellier, le 7 septembre 2023 : Benoît Serre, Amal El Fallah Seghrouchni, Eric Gras et Marion Polge.
Lors de la REF du Medef Hérault Montpellier, le 7 septembre 2023 : Benoît Serre, Amal El Fallah Seghrouchni, Eric Gras et Marion Polge. (Crédits : Cécile Chaigneau)

Le propos n'est pas nouveau et l'exercice introspectif n'en est probablement qu'à ses débuts... Le monde du travail change et plus personne ne peut ignorer ces évolutions à l'œuvre, et certainement pas les entreprises. Conscient de ce phénomène, le Medef Hérault Montpellier avait placé la 2e édition de sa REF (Rencontre des entrepreneurs de France) locale, le 7 septembre, sous le signe de la thématique « Futur du travail : la grande métamorphose ».

Dans une allocution enregistrée, à défaut d'avoir pu honorer l'invitation qui lui avait été faite par le Medef (Conseil national de la refondation oblige...), Olivier Dussopt, le ministre du Travail et du plein emploi, a affirmé que « tous ceux qui ont annoncé la fin du travail se sont trompés : le travail a de l'avenir, en revanche, la nature du travail et sa place dans la vie de chacun sont en question, et oui, on peut parler de métamorphose ».

« Les Français considèrent le travail comme de moins en moins important dans leur vie et à cette forme de désengagement s'ajoutent des difficultés comme l'usure professionnelle, l'absentéisme ou les tensions de recrutement, a poursuivi le ministre. Nous ne nous passerons pas du travail mais il faut prendre soin de ce qu'on en fait... Nous pouvons faire encore mieux pour revaloriser les salaires les plus faibles. L'attractivité des métiers n'est pas la seule prérogative de l'Etat : les partenaires sociaux, les entreprises, les responsables syndicaux sont aussi responsables de ce dialogue social autour des salaires. La revalorisation du travail doit être un effort davantage partagé. Pour ce qui est de retrouver du sens, il faut reconnaître les nouvelles attentes et aspirations des Français : un désir d'organiser le travail avec davantage de discussions dans l'entreprise, une meilleure conciliation vie professionnelle et vie privée, le développement de davantage de mobilité... Travailler mieux est un axe prioritaire de ma feuille de route. »

Être dans une compétition loyale

« Les entreprises ont augmenté les salaires de 4,5% l'an dernier, elles font le job, avait affirmé un peu plus tôt Fabrice Le Saché, vice-président et porte-parole du Medef, qui remplaçait le président national Patrick Martin, lui aussi convié au Conseil national de la refondation. Mais entre la France et l'Allemagne, il y a encore sept points de différence de marge dans les entreprises. Or il faut des marges de manœuvre pour créer une dynamique industrielle, pour investir dans les transitions, pour être dans une compétition loyale avec les autres pays. »

Dans cette bataille rangée, les entreprises ne peuvent pourtant pas faire l'économie de considérer et d'analyser les transformations du monde du travail en cours. Des transformations que Marion Polge, maître de conférences à l'Institut Montpellier Management (université de Montpellier) qualifie d'« irréversibles », évoquant l'émiettement des lieux de production, le télétravail ou le nomadisme professionnel.

Sur la question, de plus en plus débattue dans les entreprises, de la semaine à quatre jours, le ministre Olivier Dussopt avait déclaré dans son allocution que « la semaine de quatre jours, c'est déjà un outil à la main des entreprises et elle doit rester un outil de négociation ».

Grande mutation vs grande mutation

« On a observé trois ruptures majeures, la première étant les révolutions générées par le Covid, analyse Eric Gras, Head of Talent Intelligence chez Indeed, le métamoteur mondial de recherche d'emploi. Depuis le Covid, les gens ne veulent plus subir les transports par exemple, et le présentiel n'est plus obligatoire. Le télétravail a permis à certains de passer à l'acte : les gens ne veulent plus être corvéables à merci, ils veulent choisir leur métier et les conditions de l'exercer. Les entreprises n'arrivent plus à attirer les candidats sur leur seul nom. On ne parle pas de grande démission comme outre-Atlantique, mais plutôt de grande mutation. »

Benoît Serre, vice-président délégué de l'Association nationale des DRH et DRH de L'Oréal France, évoque quant à lui « une situation de polyruptures qui se déclenchent en même temps » en France mais pas seulement. Selon lui, le phénomène de « grande démission », caractérisée en particulier aux Etats-Unis, n'arrivera pas en France « pour de très mauvaises raisons » : « La France a un modèle de travail très administré et le CDI structure tout : la protection sociale, l'accès à l'emprunt et au logement, etc., ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis. En France, on a retrouvé 96% des gens qui ont quitté leur emploi, alors on parle plutôt de "grande mobilité". Les entreprises sont confrontées à un phénomène de défidélisation car les gens trouvent un travail très vite. Mais ce qui est frappant, c'est qu'aujourd'hui, des métiers dont les filières de formation initiale sont bien structurées sont aussi en pénurie ! ».

« D'un marché de sélection à un marché de séduction »

Dès lors, on a assisté à un retournement du marché de l'emploi, installant une crise du recrutement.

« Il y a nécessité à repenser l'emploi, et du fait de l'inversement des rapports de force entre entreprises et candidats, les entreprises doivent repenser leur manière de séduire », rappelle Marion Polge.

Une évidence désormais, que confirme Eric Gras : « Les entreprises ne recrutent plus du tout pareil : on est passé d'un marché de sélection à un marché de séduction, donc il faut raconter l'entreprise, le projet, et recruter non plus sur la seule base du CV et sur un diplôme mais sur des "capacité à", un savoir-être et une motivation ». L'expert en recrutement donne d'ailleurs un autre conseil aux dirigeants d'entreprise : être transparents sur les salaires, précisant que des offres d'emploi sans salaire, c'est « 80% de clics en moins ». Mais avant même de parler recrutement, son premier conseil est bien de « développer la fidélisation des salariés donc leur engagement en les considérant, en travaillant sur leur parcours ».

Trouver des candidats, là est aujourd'hui l'une des difficultés des entreprises. Chez Indeed, Eric Gras énonce ce qu'il considère comme la 2e rupture majeure : la révolution démographique.

« Depuis 2020, on arrive sur un plateau et il n'y a plus autant de jeunes actifs qui arrivent, un phénomène que l'on connaît en France comme dans tout l'Occident... Nous allons donc faire face à un déficit majeur de nouvelles recrues et on s'achemine vers la fin du chômage de masse en France. »

A quoi s'ajoute sa 3e rupture : les séniors dont la carrière s'allonge. Ce qui lui fait dire en conclusion qu'« il faut changer de paradigme et ne pas recruter uniquement au sein de sa propre filière mais miser sur des gens qui veulent changer » et « dépenser autant sur les actifs seniors que juniors ».

De la robotisation à la mini-robotisation des métiers

Quant à la crainte d'un bouleversement majeur des métiers avec la digitalisation et la robotisation en marche, les avis divergent...

« Les métiers ont toujours évolué, et aujourd'hui, ils évoluent plus vite qu'avant, analyse Eric Gras. Le digital détruira peut-être des métiers à faible valeur ajoutée mais je pense qu'ils évoluent plus qu'ils disparaissent. »

Amal El Fallah Seghrouchni, présidente exécutive de l'Ai Movement-UM6P, le centre international d'intelligence artificielle du Maroc, considère quant à elle que la robotisation en marche va renverser la table de l'emploi et nécessite que l'on s'interroge sérieusement sur les compétences disponibles dans un futur proche...

« On a fait de l'off-shoring en faisant travailler des gens à l'autre bout de la planète pour des raisons de productivité, or à l'horizon 2032, la main d'œuvre bon marché des pays du sud sera plus chère que les robots fabriqués dans les pays du nord, pronostique-t-elle. Beaucoup de métiers vont être robotisés. Pendant longtemps, on a automatisé les métiers via de grands robots dans l'industrie. Aujourd'hui, la mini-robotisation est sur l'iPhone, dans la mailbox, et sur l'ordinateur. ChatGPT fera un travail intellectuel meilleur que dix personnes ! Ce qui est menacé, ce sont donc aussi les métiers à forte valeur ajoutée humaine. On parle de 85 millions de métiers qui vont disparaître et 97 millions qui vont apparaître, mais pour ces derniers, on n'a pas les gens pour les exercer. Il faut donc réfléchir comment réinvestir les talents humains. »

A l'ANDRH, Benoît Serre renchérit en soulignant que « les métiers qui se créent ne se créent pas là où ils se suppriment, à périmètre géographique constant ».

« Ne soyons pas victime de la révolution des compétences, fluidifiez le modèle de l'entreprise vers un modèle plus agile, exhorte-t-il. Le rapport coûts/compétences est l'enjeu principal auquel doit répondre l'Occident : il faut que le niveau de compétence soit plus rentable que d'aller vous installer ailleurs. Le projet de réforme de la formation professionnel est courageux car il assume le fait de fermer des filières sans avenir pour se concentrer sur des filières avec débouchés. Ce sera une façon de gagner la guerre coûts/compétences... Par ailleurs, il faut faire évoluer la législation du travail, qui a été beaucoup écrite dans les années 1980 dans le cadre d'un chômage de masse. »

Et de conclure avec les ingrédients de la recette selon lui : « Le futur du travail viendra du futur de l'entreprise. Celle-ci doit être capable de se transformer, un travail doit être fait avec les partenaires sociaux et le législateur doit se saisir de la législation du travail ».

Teasing sur l'agence de développement économique de Montpellier...

Invité par le Medef à la REF le 7 septembre, le maire (PS) et président de la Métropole de Montpellier, Michaël Delafosse, a évoqué trois événements à venir d'ici la fin de l'année : l'inauguration en octobre de la toute nouvelle Halle de l'innovation dans le quartier d'affaires Cambacérès à Montpellier, des Assises de l'économie le 17 novembre « pour travailler sur la grande feuille de route du territoire et sa stratégie à quinze ans », et l'installation de la très attendue agence de développement économique de l'aire urbaine de Montpellier (annoncée depuis son élection en 2020). Aucune date n'a été donnée pour cette dernière...

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 10/09/2023 à 8:44
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Et depuis le temps qu'ils ne se sont pas regardés dans un miroir on imagine leur stupéfaction devant la glace. "Ah c'est c'est ça qu'on est devenu !, Ah ben mince... "

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