Comment les experts-comptables répondent à la crise du recrutement (et écartent les recruteurs)

La crise du recrutement frappe aussi les cabinets d’expertise comptable : outre une image à dépoussiérer et un important turn-over, les transitions numérique et écologique les obligent à se repositionner et à se doter de nouvelles compétences. Pour faire face à ces enjeux majeurs, l’IFEC, principal syndicat de la profession, lance une plateforme dédiée au recrutement pour les métiers du chiffre. Un outil sophistiqué dans ses contenus, qui repose sur la constitution d’un vivier de candidats et sur une technologie de matching entre l’offre et la demande. Explications.
Cécile Chaigneau
La nouvelle plateforme de recrutement SKIFEC vise à constituer un vivier de candidats à même d'intéresser les cabinets d'expertise comptable, à la peine pour recruter leurs collaborateurs. Elle était présentée au Congrès national des experts-comptables du 27 au 29 septembre à Montpellier.
La nouvelle plateforme de recrutement SKIFEC vise à constituer un vivier de candidats à même d'intéresser les cabinets d'expertise comptable, à la peine pour recruter leurs collaborateurs. Elle était présentée au Congrès national des experts-comptables du 27 au 29 septembre à Montpellier. (Crédits : Cécile Chaigneau)

Ils veulent éviter deux écueils qui seraient dommageables pour l'activité de leurs cabinets d'expertise comptable : ne pas trouver de collaborateurs et faire de mauvais recrutements. Faute de trouver chaussure à leur pied (auprès des agences de recrutement et en direct auprès de potentiels candidats) et parce qu'ils ne disposent pas tous d'une fonction RH en interne, les experts-comptables et les commissaires aux comptes créent leur propre plateforme de recrutement, dédiée aux métiers du chiffre. Et c'est l'Institut Français des Experts-Comptables et des Commissaires aux comptes (IFEC), principal syndicat de la profession avec 4.000 adhérents en France, qui porte le projet.

La profession du chiffre compte quelque 22.000 experts-comptables (et 170.000 collaborateurs) ainsi que 11.250 commissaires aux comptes. Or le secteur connaît, lui aussi, une révolution : départ en retraite des baby-boomers, arrivée sur le marché de l'emploi de la génération Z, mais aussi digitalisation du métier. Autant d'éléments qui créent des tensions sur les recrutements.

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« Entre 30 et 35% de turn-over »

« Expert-comptable est le 2e métier en tension sur le département de l'Hérault, derrière les techniciens de maintenance », indiquait ainsi Philippe Soursou, le directeur de Pôle Emploi Hérault, en marge d'un débat sur les personnes durablement privées d'emploi le 28 septembre à Montpellier.

En effet, selon le baromètre BVA pour l'Observatoire des métiers de l'expertise comptable, du commissariat aux comptes et de l'audit (OMECA), près de 68% des cabinets d'expertise comptable avaient rencontré des difficultés de recrutement en 2021, près de six cabinets sur dix ont procédé à des recrutements en 2022 et ces difficultés perduraient pour deux-tiers d'entre eux, et d'ici 2025, l'ensemble de la branche de l'expertise comptable pourrait embaucher environ 12.670 collaborateurs supplémentaires.

Alors que les transitions numérique et écologique viennent bouleverser et dynamiser la plupart des métiers, la profession le concède : elle souffre encore d'une image « poussiéreuse peu attirante ». Pourtant, les (r)évolutions vont vite : l'avènement de la facturation électronique - qui sera testée en 2024, mise à l'essai sur une base volontaire en 2025 et mise en place définitivement en 2026 - va à la fois générer un besoin de compétences en matière de maîtrise des outils numérique et libérer du temps pour déployer d'autres missions, comme du conseil.

« On est en plein dans un virage technologique qui s'accompagne d'une crise du recrutement relativement récente, quelle que soit taille et la situation géographique du cabinet, observe Eric Gillis, au bureau national de l'IFEC, et premier vice-président du Conseil de l'ordre régional Occitanie des experts-comptables. On compte entre 30 et 35% de turn-over dans les cabinets aujourd'hui. Et la durée de vie des CV est très courte, pas plus de 48 heures... Le problème, c'est que les agences de recrutement font du pousse-CV sans réaliser un vrai sourcing et sans réelle lecture des besoins des cabinets. L'IFEC a donc souhaité créer un outil pour les cabinets, avec une fonction DRH et une fonction recrutement, un outil basé sur l'intelligence artificielle et intégrant les soft-skills, totalement négligés des recruteurs. »

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IA et matching

« Avec la startup suisse Skillspotting, nous avons travaillé sur le développement de cette plateforme innovante, SKIFEC, pour optimiser l'ensemble des processus RH du cabinet, déclare Christophe Priem, le président de l'IFEC. Il s'agit de la première plateforme de recrutement intégrant les soft-skills, permettant de constituer un vivier de candidats ou d'identifier des écarts ente l'existant et les besoins du cabinet. »

Francis Senceber, membre de la commission innovation à l'IFEC, a travaillé avec Skillpotting sur la construction de la plateforme SKIFEC : « Il ne s'agit pas d'une plateforme classique car l'objectif est de créer un vivier de candidats. Les profils des candidats sont basés sur les compétences techniques avec plusieurs niveaux de maîtrise, mais aussi sur le savoir-être. Les candidats sont invités à réaliser un test psychométrique qui se traduit par un Profil Scan que le recruteur ne voit pas, et à créer leur profil en indiquant leur nom, genre, date de naissance qui peuvent être anonymisés s'ils le souhaitent, ainsi que leurs diplômes, langues et parcours. De leur côté, les cabinets indiquent simplement l'intitulé du poste, par exemple "collaborateur comptable avec ou sans expérience", les langues souhaitées, le niveau scolaire, les compétences recherchées et leur niveau d'acquisition. Ils indiquent également les qualités personnelles souhaitées en termes de maîtrise de soi, écoute et communication, et efficacité, mais pour éviter de chercher le mouton à cinq pattes, l'outil limite le nombre de critères que le cabinet peut mettre... A la fin, il n'y a pas d'annonces publiées mais l'intelligence artificielle qui opère un matching entre attentes du recruteur et profils des candidats, et propose des candidats issus du vivier. Le cabinet peut alors cliquer sur "Contacter"... L'objectif n'est pas tant de trouver la perle rare que d'éviter un mauvais recrutement ! ».

Reprendre une indépendance vis à vis des recruteurs

Depuis le congrès national des experts-comptables à Montpellier du 27 au 29 septembre, où elle était présentée, la plateforme SKIFEC est en phase de test auprès des adhérents de l'IFEC et à prix coûtant, soit une centaine d'euros par annonce payés par les cabinets comptables. A compter de janvier 2024, elle sera ouverte à l'ensemble de la profession (et pas seulement les adhérents de l'IFEC) « pour quelques dizaines d'euros supplémentaires », précise Francis Senceber.

Eric Gillis ne cache pas les intentions et ambitions de l'IFEC avec cet outil : « On aimerait que les cabinets reprennent leur indépendance vis à vis des recruteurs... On estime les besoins de recrutements des cabinets à 50.000 par an (nouveaux postes et remplacements, NDLR), sur des profils de comptables mais aussi des data-scientists ou des profils RSE. La plateforme servira aussi à la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compétences, NDLR) car elle permettra aussi aux cabinets d'établir une cartographie des compétences internes ».

« Avec la digitalisation, il y aura de moins en moins de temps sur saisie et les clients sont de plus en plus en demande de conseil, Nicolas Bollé, dirigeant d'un cabinet comptable en Ile-de-France et président commission innovation de l'IFEC. Nous allons donc avoir besoin de collaborateurs qui évoluent dans leur posture vis à vis des clients. »

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Cécile Chaigneau

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Commentaires 5
à écrit le 09/10/2023 à 10:17
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Effectivement tant que la grille des salaires n’aura pas évolué il y aura toujours du turn over. Au bout de 26 ans de loyaux services dans un cabinet d’expertise comptable à St Tropez, j’avais un salaire net de 1886 euros et des centaines d’heures su...

à écrit le 03/10/2023 à 8:56
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Une profession ingrate anesthésiants les protagonistes qui devrait être une des premières à sa faire avaler par le deep learning ? Cela résoudra le problème. "outre une image à dépoussiérer " Pas facile pour un métier qui n'est que poussière.

à écrit le 02/10/2023 à 22:33
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Mieux vaut être expert -comptable ou même comptable dans une grande boîte que dans un cabinet .différentiel salarial 15-30% Annuel …en île de France

à écrit le 02/10/2023 à 22:11
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Tant que la question de la rémunération sera occultée, toutes les pistes pourront être étudiées mais elles ne résoudront pas le problème...

à écrit le 02/10/2023 à 17:41
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La profession s'est tellement protégée en rendant l'accès au diplôme d'expert comptable hyper difficile qu'ils se retrouvent en manque de main d'oeuvre car le prétendants à l'expertise recalés vont travailler ailleurs pour éviter d'être payés à coup ...

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