Points noirs et chiffon rouge : ce que craignent la CPME et les fédérations professionnelles de l’Hérault

Dans un contexte instable et imprévisible, les entreprises, et en particulier les TPE-PME, sont fragilisées. Les perspectives de sortie de crise post-Covid se sont fracassées sur la crise géopolitique qui a généré une hausse en flèche des prix (énergie, matières premières, etc.). Dans l’Hérault, la CPME a déclenché une sorte de réunion de crise le 15 novembre, rassemblant les fédérations professionnelles des différents secteurs pour tirer collectivement la sonnette d’alarme. Rares sont celles qui ne déroulent pas avec inquiétude une liste de points noirs. Tour de table des préoccupations, priorités et urgences de chacune.
Cécile Chaigneau
La CPME de l'Hérault avait réuni les différentes branches professionnelles le 15 novembre 2023 à Montpellier, pour faire un point sur la conjoncture et les perspectives 2024.
La CPME de l'Hérault avait réuni les différentes branches professionnelles le 15 novembre 2023 à Montpellier, pour faire un point sur la conjoncture et les perspectives 2024. (Crédits : Cécile Chaigneau)

« Nous voulons tirer la sonnette d'alarme : un chef d'entreprise a besoin de visibilité et de cadre stable pour se projeter, or le contexte est aujourd'hui instable et imprévisible, lance Grégory Blanvillain, le président de la CPME Hérault le 15  novembre, alors qu'il a réuni devant la presse l'ensemble des fédérations professionnelles pour évoquer la conjoncture et les perspectives 2024. Nous sommes dans un période "extra-ordinaire". En cinq ans, nous avons connu une crise sociale, sanitaire, sociétale, géopolitique, migratoire, sécuritaire. Et deux éléments s'ajoutent à ça : la transition numérique et l'IA qui révolutionnent nos métiers, et la prise de conscience de la crise climatique. Ce qui remet en cause le business model des entreprises. Demain, toute entreprise qui ne sera pas durable ne sera pas rentable ! Car ce sera vital pour trouver des financements, recruter, répondre aux exigences des consommateurs et des clients, répondre aux nouvelles normes... Je fais donc une première proposition : créer un dispositif public d'audit des business model pour accompagner les transitions, proposition que j'ai déjà faite à l'agence de développement et des transitions de la Métropole. »

  • CPME : « Ne laissez pas tomber les TPE-PME françaises ! »

Le dirigeant énumère les différents points auxquels font face les entreprises et qui dessinent un tableau bien sombre : pénurie de matières premières, de main d'œuvre, changement du rapport de force employeurs-salariés, crise énergétique, inflation, hausse des taux d'intérêt.

« Ne laissez pas tomber les TPE-PME françaises !, plaide-t-il. Car il y aura des problèmes de rentabilité dans de nombreux secteurs en 2024. Il faudrait faire cinq à six points supplémentaires pour absorber le remboursement du PGE alors que les carnets de commandes se réduisent, les niveaux de trésorerie s'amenuisent, les marges des entreprises se réduisent et les impayés augmentent. Il est donc nécessaire de repenser l'étalement du PGE sur une durée plus longue. Cela peut déjà se faire mais les entreprises passent alors en défaillance et envoient donc un message négatif aux clients et au marché ».

Le président de la CPME Hérault évoque le « risque domino » en 2024 sur un territoire dont l'économie repose beaucoup sur la promotion immobilière et le bâtiment mais aussi sur les commerces et services : des secteurs à la peine dont les difficultés auront des conséquences sur leurs sous-traitants.

  • Bâtiment : « Il faut continuer à former »

Gilbert Comos, nouveau président Fédération du Bâtiment Hérault : « Dans le département, le BTP c'est 26.000 emploi, 20.000 dans le seul bâtiment. La FFB travaille depuis plus de trois ans pour attirer les jeunes. Les salaires ont été augmentés de plus de 12% en deux ans... Mais aujourd'hui, la filière est peinée de voir que malgré les signaux envoyés, on va vers une destruction massive d'emploi : entre 150.000 et 180.000 en 2024 au niveau national et 3.000 sur l'Hérault. On repart vers une crise majeure, voire identique à celle des années 1990 où, après la guerre du Golfe, l'outil de production s'est mis à l'arrêt et quand l'activité est repartie au début des années 2000 on avait perdu des compétences et on a eu du mal à s'en relever. Aujourd'hui, les CFA sont pleins de jeunes qui reviennent, et il faut que les dirigeants continuent à former malgré le contexte pour pouvoir répondre à la demande quand ça redémarrera. C'est un investissement pour demain ! Ce qu'on préconise pour 2024 ? L'augmentation des prix ne sera pas possible. Il faut faire le dos rond : réduire notre capacité de production en n'ayant plus de main d'œuvre intérimaire et capter le peu d'activité possible. Mais des entreprises arrivent encore d'autres régions avec modèles économiques peu avouables qui nous font de la concurrence déloyale ! ».

  • Acte de bâtir : « Le contexte est hostile à la construction ! »

Olivier Roque, président de l'Union des géomètres-experts Occitanie (10.000 salariés en France, 900 à 1.000 en Occitanie pour 113 structures) : « Les géomètres-experts sont au départ des projets de construction. Mais on ressent aujourd'hui un gros ralentissement sur l'aménagement et la construction. Cela représente une baisse de 40% de l'activité dans certains cabinets. Il faut en profiter pour former les gens et ainsi ne pas perdre les compétences. Dans nos métiers par ailleurs, nous avons des difficultés à recruter sur la maquette numérique par exemple, par manque de gens formés ».

Patrick Ceccotti, président de l'Académie du Bâtiment et de la Cité de Demain (ABCD) : « Le contexte est hostile à la construction ! La tendance est de limiter l'acte de bâtir avec un noble objectif écologique mais c'est brutal. On parle d'un manque de 850.000 logements d'ici 2030. C'est très inquiétant et les prévisions 2024 sont alarmantes... 31% des entreprise ont un chiffre d'affaires en baisse, 37% ont une trésorerie affaiblie depuis début 2023. Nous interpellons les élus et les parlementaires, et nous préparons un manifeste pour la fin d'année ».

  • Hôtellerie-restauration : « Ce sont les salariés qui font la loi ! »

Jacques Mestre, président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) de l'Hérault : « Les prix des matières premières et de l'énergie ont flambé : je suis passé de 1.000 à 4.000 euros par mois ! On ne peut pas adapter les prix de nos cartes tous les jours. Le marché est fluctuant, on ne sait pas où on va ! On est obligé d'augmenter nos prix pour ne pas disparaître et nous devenons chers alors que le pouvoir d'achat du client a peu augmenté. Aujourd'hui, les entreprises du secteur sont en difficulté et sont en train de se vendre, de se brader ! Sur le recrutement (le dirigeant critique vivement l'acquisition de congés payés pendant les période de maladie, NDLR), on ne peut plus dire qu'on ne paie pas dans la restauration. Aujourd'hui, ce sont les salariés qui font la loi ! A moins de 2.000 net, voire 2.500 en été, on ne trouve pas grand monde ! Et on a toujours ce problème pour loger le personnel saisonnier. Ma proposition : un contrat à durée déterminée de cinq mois renouvelable sur un an, pour que le salarié puisse se dire saisonnier à l'année et accéder à un logement... Allons vite avant qu'on disparaisse ! ».

  • Buralistes : « Une baisse de 10% du chiffre d'affaires »

Jérémie Pezières, président de la Confédération des buralistes de l'Hérault (381 buralistes) : « Notre réseau, classé "commerces essentiels" a limité la casse pendant la crise sanitaire... Mais depuis le début de l'année, les crises économique, énergétique, environnementale ont entraîné une baisse de 10% du chiffre d'affaires. Nous sommes également impactés par les décisions politiques locales comme le stationnement payant du 1e avril à fin octobre dans les communes littorales. Notre activité est malmenée, depuis 2003, par différentes fiscalités sur le tabac, ce qui a poussé les clients à aller faire des achats transfrontaliers. Le protocole d'aide à la transformation, de 2018 à 2023, a permis à 100 débitants de tabac de refaire leur boutique avec des subventions de l'Etat et de se diversifier, nous avons obtenu de nouveaux services et nous aurons bientôt des distributeurs de billets chez les buralistes. Mais depuis le début d'année, nous avons des problèmes avec les banques qui sont de plus en plus réticentes à nous prêter ».

  • Services à la personne : « Essentiels puis oubliés »

Stéphanie Sanchez, déléguée départementale 34 de la Fédération des Services à la Personne et de Proximité (FEDESAP) : « On était essentiels pendant le Covid et aujourd'hui, on nous a oubliés ! On ne nous voit pas ! Le secteur est très détérioré, mais embauche beaucoup : 500 000 salariés au national aujourd'hui, et 300.000 postes qui seront à pourvoir sur trois ans (chiffres sur l'Hérault non précisés, NDLR). Trois ans, c'est demain ! Il faut que les jeunes viennent nous rencontrer pour découvrir nos métiers... Un choc démographique arrive à grand pas : comment va-t-on faire pour maintenir les personnes à domicile ? Sur le territoire, des structures vont fermer à cause de problématiques financières. Nous demandons une revalorisation des tarifs ».

  • Automobile : « Une mutation au pas de course »

Michel Anduze, responsable territorial de Mobilians (en Occitanie, 18.000 entreprises et 38.000 salariés sur la filière mobilité) : « Nous vivons une mutation inédite dans le monde automobile avec le véhicule électrique. Ce qui est inédit, c'est le délais qui nous est donné pour la vivre, deux à trois ans, c'est à dire au pas de course. Or les entreprises de la filière sont des TPE et PME, avec des capacités d'investissement réduites. Les concessionnaires vont voir leur modèle économique changer, imposé par le constructeur. Certains vont disparaître, d'autres fusionner ou être rachetés. Quid des stations de lavage avec la sécheresse et la pénurie d'eau : doivent-elles disparaître ? Un système de recyclage de l'eau coûte très cher, environ 100.000 euros, ce qui ne leur garantit pas de rester ouvert en période de sécheresse. Les auto-écoles, qui ont du mal à  faire rouler les élèves à cause du prix du carburant, réfléchissent à investir dans des simulateurs de conduite mais c'est 70.000 à 100.000 euros le simulateur... Il faut accompagner ces transformations ».

  • Transport et logistique : « Des mercenaires »

Christophe Caset-Carricaburu, vice-président du cluster Tenlog (Transport et Logistique) : « Nous avons de gros problème de recrutement, avec des employés peu qualifiés qui n'ont aucun rapport au travail et viennent juste chercher un chèque, des mercenaires qui se vendent à d'autres entreprises. L'activité est en baisse de -15 à -17% dans le transport de marchandise. Et nous n'avons aucune visibilité pour 2024. Energie ? Taxe poids lourds ? On est dans toutes les transitions. Mais la ZFE, c'est compliqué. L'Europe aussi. Les réglementations changent sans arrêt ! On ne peut plus augmenter les prix car ce n'est pas accepté et les chargeurs renégocient les prix à la baisse. C'est de l'esclavagisme moderne ! Le nombre de dépôts de bilan a augmenté de 7% en Occitanie, c'est une catastrophe ».

  • Numérique : « Tensions sur les salaires »

Gaël Philippe, administrateur de Digital 113, cluster des entreprises numériques d'Occitanie : « Le numérique a le vent en poupe. Mais nous avons des problèmes de recrutement et de tension sur les salaires de certaines catégories comme les data-scientists, qui ont pris 20 à 30%. Comme on peut travailler de partout, les entreprises s'ouvrent de plus en plus à ces organisations libérées, même si ça a un impact sur le management. Les candidats cherchent aussi du sens et les énergies renouvelables peuvent ainsi être des concurrents au secteur numérique ».

  • Energies renouvelables : « Une appétence pour le secteur »

Stéphane Bozzarelli, président du cluster CEMATER (groupement des professionnels de la filière des énergies renouvelables et construction durable en Occitanie) : « Aujourd'hui, la filière est mature et compétitive, nous proposons des modèles compétitifs aux industriels, et il existe une vraie dynamique et une appétence pour le secteur. Mais nous avons nous aussi des difficultés sur le recrutement à tous niveaux, du chefs de projet solaire aux installateurs-poseurs de panneaux solaires. En 2021, on a produit 2,8 GW de solaire en France, 2,4 GW en 2022, 3 GW cette année, alors qu'il faudrait faire 7 GW par an jusqu'en 2035 ».

Cécile Chaigneau

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