Plan européen de gestion West Med : les pêcheurs en Méditerranée se disent « au bout du bout »

Mobilisation générale et blocage des ports de la Méditerranée française. C’est l’action décidée par les pêcheurs du littoral méditerranéen pour ce samedi 11 décembre, en réaction aux propositions faites par la commission européenne de réduire (encore) l’effort de pêche en Méditerranée. « Nous sommes au bout du bout », disent les pêcheurs, en colère. Explications à la veille du mouvement.
Cécile Chaigneau
Sur le littoral méditerranéen, les mesures qui seront prises pour le plan de gestion West Med concernent une flottille de quelque 57 chalutiers, dont 19 à Sète (photo), 18 au Grau-du-Roi, 8 à Agde, 5 à Port-la-Nouvelle et le reste en région PACA.
Sur le littoral méditerranéen, les mesures qui seront prises pour le plan de gestion West Med concernent une flottille de quelque 57 chalutiers, dont 19 à Sète (photo), 18 au Grau-du-Roi, 8 à Agde, 5 à Port-la-Nouvelle et le reste en région PACA. (Crédits : DR)

Ce samedi 11 décembre, aucun bateau de pêche français ne naviguera sur les eaux de la Méditerranée. Ils seront tous immobilisés volontaires dans les ports pour dire le mécontentement, la colère et l'inquiétude des pêcheurs face aux décisions qui pourraient être prises les 12 et 13 décembre prochains lors du Conseil des ministres de l'Union européenne quant au plan de gestion West Med.

Ce plan de gestion régional, adopté en 2019 par la Commission européenne, s'inscrit au sein de l'initiative MedFish4ever visant à encourager une meilleure gestion des ressources halieutiques en Méditerranée et ainsi à restaurer les stocks. La France est concernée pour ses pêcheries chalutières exploitant le merlu et le rouget de vase.

La mobilisation générale du 11 décembre va se traduire par une opération de blocage des ports de la Méditerranée française. Elle a été décidée côté Occitanie par le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Élevages Marins (CRPMEM) Occitanie, en réaction aux propositions faites par la commission européenne dans son document du 24 novembre 2021 de réduire les quotas de jours de pêche de 7,5% en 2022. Des quotas qui avaient déjà été réduits de 10% en 2020 et de 7,5% en 2021, faisant descendre le nombre de jours de pêche par navire et par an à 201 puis à 183 jours. Une nouvelle baisse abaisserait ce chiffre à 167 jours de pêche par navire et par an.

« 167 jours de pêche, ce n'est pas tenable ! »

« La profession a bien compris qu'il fallait un plan de gestion pour une pêche durable et responsable. Mais le seuil de rentabilité d'un chalutier était de 177 jours de pêche par an, et aujourd'hui, compte tenu du prix du gazoil, on est à 209 jours, explique Bernard Perez, président du CRPMEM Occitanie. La proposition de la commission descend à 167 jours de pêche, ce n'est pas tenable ! »

Sur le port de Sète, Bertrand Wendling, le directeur de la Société coopérative maritime des pêcheurs de Sète (organisation de producteurs Sa.Tho.An), renchérit : « Le but est d'atteindre le rendement maximum durable sur ces deux espèces du merlu et du rouget, mais nous, on pêche plus de 250 espèces, donc ces deux-là représentent moins de 10% de nos captures ! C'est un premier gros souci soulevé depuis longtemps et nous demandons que des efforts soient faits pour renforcer les évaluations sur un plus grand nombre d'espèces... Par ailleurs, il y a une autre mesure qui pose problème : la fermeture temporaire de deux zones de pêche dans le golfe du Lion, ce qui représente 6.000 km2 de fermeture sur les 12.000 pendant six à huit mois par an ! C'est énorme, d'autant que ce n'est que 150 km2 pour les pêcheurs espagnols et italiens ».

Sur le littoral méditerranéen, les mesures qui seront prises concernent une flottille de quelque 57 chalutiers, dont 19 à Sète, 18 au Grau-du-Roi, 8 à Agde, 5 à Port-la-Nouvelle et le reste en région PACA.

« Soit entre 250 et 300 emplois directs et 1.000 emplois indirects », souligne Bernard Pérez.

« C'est l'avenir de la pêche qui en dépend »

Le plan de gestion West Med concerne aussi d'autres métiers de la pêche : les palangriers de fond, voire les fileyeurs (dépose des filets sur le fond pour les relever plus tard) qui pêchent aussi le merlu.

« La commission a aussi annoncé des propositions de réduction de 7,5% pour les palangriers et des quotas de capture sur deux espèces de crevettes », précise Bertrand Wendling.

Ce qui fait dire à Bernard Perez : Nous avons un super équilibre dans tous les métiers : pêcheurs en lagune, pêcheurs côtiers, pécheurs chalutiers, palangriers, etc. Et on arrive à tenir quatre criées au Grau-du-Roi, Sète, Agde et Port-la-Nouvelle. On ne peut pas en déstabiliser une ou l'autre... Et je vois un autre problème : le risque que les équipages attrapent le Covid alors qu'on est déjà restreint en jours de pêche ! Jusqu'à présent, tant bien que mal, on arrivait à trouver des solutions, mais aujourd'hui, j'alerte car on est au bout du bout...  C'est l'avenir de la pêche qui en dépend. Si on veut soutenir une profession qui fait partie du patrimoine régional, il faut accompagner les entreprises de la meilleure des façons ».

Demande d'un statu quo

Les pêcheurs veulent montrer que le mouvement implique tous les ports du pourtour méditerranéen. D'où ce choix du format de blocage des ports le 11 décembre pour montrer l'union de la profession. À la suite d'une réunion le 9 décembre, leurs homologues espagnols et italiens ont annoncé qu'ils ne bloqueraient pas les ports samedi « mais il devrait y avoir des actions entre le 12 et le 14 décembre côté espagnol », indique Bertrand Wendling.

Ce que demandent les pêcheurs en Méditerranée : un statu quo pour les années à venir.

« D'autant que les mesures prises l'an dernier commencent à porter leurs fruits sur le rouget et merlu et qu'on a réduit de 55% les captures de juvéniles, indique Bertrand Wendling. On est donc largement dans les objectifs européens imposés qui étaient d'au moins 20%. Il faut maintenant donner du temps à la ressource pour se rétablir et qu'on arrête d'effondrer la rentabilité des entreprises de pêche ! »

Bernard Perez précise que la ministre française de la Mer Annick Girardin, qu'il a rencontrée à Paris, soutient les pêcheurs français. « Il est prévu que nous rencontrions le préfet samedi, avec le début du blocage », ajoute-t-il.

« Nous avons demandé à la ministre de mettre en œuvre rapidement le dispositif européen permettant un plan de sortie de flotte afin que certains pêcheurs en grandes difficultés puissent sortir sans être en situation de faillite personnelle, ajoute Bertrand Wendling. Elle nous a donné un engagement verbal et des discussions sont en cours pour mobiliser des fonds dès début 2022. Le petit bénéfice d'un plan de sortie de pêche, c'est que les jours de pêche des navires qui sortent sont redistribués... »

Risque de grève illimitée

Bernard Perez regrette le recours au plan de sortie de flotte, « mais c'est la meilleure solution, socialement, pour accompagner au mieux les pêcheurs dès 2022 ».

Le président du Comité Régional des Pêches Maritimes et des Élevages Marins Occitanie a un autre regret : « On a discuté avec la présidente de la Région Occitanie (Carole Delga, NDLR) qui est prête à accompagner la profession mais on n'arrive pas à trouver de cadre juridique pour ce soutien. On demande à l'État de donner à la Région les moyens juridiques de nous accompagner d'une façon ou d'un autre ».

« En fonction des décisions qui seront prises par la Commission européenne le 12 décembre, et si les quotas de jours de pêche sont encore réduits pour l'année 2022, on pourrait poursuivre le mouvement avec une grève illimitée à partir de janvier », prévient-il.

MAJ du 14 décembre 2021, 10h15 : Annick Girardin, la ministre de la Mer, et ses homologues européens sont parvenus à un accord sur les totaux admissibles de capture (TAC) et les quotas pour 2022 "à l'issue de deux jours de négociations très denses", indique le ministère français, lors du Conseil des ministres européens chargés de la pêche. Le ministère annonce avoir "obtenu une diminution limitée et progressive du nombre de jours de pêche des chalutiers en 2022, à 174 jours, contre 183 en 2021. C'est une étape supplémentaire vers l'objectif de faire de la Méditerranée une mer exemplaire d'ici 2025". Annick Girardin assure que "pour chaque quota, j'ai cherché un équilibre visant à protéger nos entreprises de pêche et nos ressources maritimes".

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 11/12/2021 à 9:00
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La méditerranée étant la mer la plus polluée du monde il serait peut-être temps d'arrêter de manger les poissons qui vivent dedans et reconvertir les pêcheurs en nettoyeurs, c'est ça aussi qui manque à l'UE cette capacité de penser aux alternatives e...

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