Éoliennes en Méditerranée : "Un des points saillants du débat public : les pêcheurs sont d’accord avec les ONG environnementales"

INTERVIEW - Le débat public "Éoliennes flottantes en Méditerranée" (EOS), démarré en juillet 2021, sera clos le 31 octobre. Un forum de synthèse aura lieu à Montpellier le 28 octobre. Quelques points saillants du débat public sont déjà identifiés : l’impact sur la biodiversité insuffisamment documenté, un agenda illogique consistant à prendre des décisions avant d’avoir les retours d’expérience des fermes-pilotes (encore en construction), ou des pêcheurs et des associations environnementales pour une fois d’accord. Entretien avec Etienne Ballan, le président de la commission particulière du débat public EOS.
Cécile Chaigneau
Etienne Ballan, président de la commission particulière du débat public Éoliennes flottantes en Méditerranée (EOS).
Etienne Ballan, président de la commission particulière du débat public "Éoliennes flottantes en Méditerranée" (EOS). (Crédits : DR)

Le 28 octobre, à trois jours de la clôture du débat entamé en juillet dernier, la commission particulière du débat public "Éoliennes flottantes en Méditerranée" (EOS), portant sur le projet d'implantation de deux parcs éoliens commerciaux dans le Golfe du Lion, organise un forum de synthèse du débat à Montpellier. Une cinquantaine de rencontres et de manifestations (en présentiel et distanciel) ont été organisées dans les deux régions concernées, Occitanie et PACA.

Lors de ce forum, seront présentés et débattus les arguments sur les grandes questions que le projet pose : faut-il développer l'éolien flottant en Méditerranée ? Quels autres choix sont possibles ? Quel est le bilan environnemental de cette technologie ? Quelles seraient les conséquences sur la biodiversité ? Peut-on en décider maintenant au regard des connaissances et des retours d'expérience acquis ?

Pour mémoire, le projet consiste en la réalisation au large des côtes de la Méditerranée, dans une zone située entre la frontière espagnole et Fos-sur-Mer, et pour une durée de 25 à 30 ans, de deux parcs éoliens flottants commerciaux de 250 MW chacun et de leurs extensions de 500 MW chacune. Le projet est porté par le ministère de la Transition écologique et Réseau de Transport d'Électricité (RTE) pour le volet raccordement. Les premiers parcs comporteraient chacun une vingtaine d'éoliennes flottantes, leurs systèmes d'ancrage, un poste électrique en mer et le raccordement au réseau. Leur extension représenterait une trentaine d'éoliennes supplémentaires, soit une cinquantaine au total par parc.

LA TRIBUNE - Etienne Ballan, vous êtes expert et chercheur, et président de cette commission particulière du débat public EOS. En 2012-2013, vous étiez membre de la commission particulière du débat public sur le projet d'extension du port de Port la Nouvelle en Occitanie, et vous avez aussi présidé la commission particulière du débat public sur le projet des éoliennes en mer de Dieppe-Le Tréport en 2015. Comment qualifieriez-vous ce débat public sur les éoliennes en Méditerranée ?

ETIENNE BALLAN - Les pêcheurs sont très présents, les associations aussi, anti-éolien ou environnementales. Mais le débat est pacifique et constructif. Il s'agit d'un projet national qui concerne 400 km de côtes, qui pose beaucoup de questions sur la politique énergétique de la France et qui interroge des choix nationaux. Nous avons donc choisi de démultiplier les dispositifs de participation, avec notamment pas mal de visio pour des ateliers thématiques, et plusieurs canaux : des débats mobiles sur les places, les marchés ou les plages pour aller à la rencontre des citoyens, des réunions de proximité dans les communes, une chaîne YouTube, la possibilité de contribuer en ligne avec notre outil "J'entre dans le débat", des partenariats avec l'Éducation nationale pour aller dans les écoles, les collèges, les lycées mais aussi l'université... Au cours des dernières semaines, le débat s'est intensifié.

Le débat public avait lieu en Occitanie et en région PACA. La mobilisation et l'intérêt pour cette question de l'éolien en mer ont-ils été les mêmes des deux côtés ?

On a observé quelques différences dans le secteur de la pêche, et c'est logique car il y a plus de chalutiers côté Occitanie. Les deux régions présentent aussi une différence de modèle, notamment en matière de politique énergétique : en Occitanie, qui est peu industrialisée, la Région affiche une volonté de diversifier les outils pour devenir "une région à énergie positive" avec une approche très sobriété énergétique, alors que la Région PACA joue moins la diversité des outils, par exemple l'éolien terrestre est peu envisagé. Beaucoup d'élus locaux sont inquiets des impacts sur la pêche et sur l'économie touristique, surtout en Occitanie, alors qu'en PACA, l'implantation d'éoliennes en mer apparaît comme une continuité des activités industrielles.

Demain soir, jeudi 28 octobre, aura lieu un forum de synthèse à Montpellier. De quoi s'agit-il exactement ?

Nous souhaitons que chacun puisse entendre ce foisonnement de questions et de propositions, et y réagir en débattant avec les autres. Certains thèmes confirment leur constance tout au long du débat. Ce sont ceux exprimés autour de l'opportunité du projet, de la protection de la biodiversité, de la politique énergétique de l'État et du calendrier d'une décision qui engage l'avenir méditerranéen... C'est la dernière occasion d'aller au fond de ces sujets, et de faire entendre sa voix. Nous sommes encore dans le temps du débat, qui se poursuit jusqu'au 31 octobre.

Que diriez-vous de l'intérêt suscité par l'éolien flottant en Méditerranée ?

La question de l'énergie est un sujet très fédérateur, très mobilisateur. Elle passionne car elle concerne le quotidien, les revenus, la préservation de la planète. Les citoyens ont conscience qu'il s'agit de choix politiques et ils veulent peser dans la balance. Cette question de l'énergie comme celle de l'environnement sont des sujets sur lesquels la population française a un haut niveau de compréhension, une bonne appréhension de la complexité du sujet. Les gens s'interrogent sur les comportements, sur les modes de vie, sur la sobriété énergétique, sur les modes de consommation futurs.

Quels sont les points saillants à retenir de ce débat public ?

Il n'est pas sûr que le débat réponde à la question d'un consensus ou non sur l'opportunité d'implanter des éoliennes en Méditerranée. Il a vocation à recueillir et examiner les différents arguments avancés. Ce projet est-il la bonne façon d'agir et d'agir maintenant contre le réchauffement climatique ? Un large front d'acteurs dit que ce n'est pas le bon moment au vu des questions d'impact sur la biodiversité qui restent insuffisamment documentées. Je rappelle que les programmes de recherche commenceront en 2022. Par exemple, l'État reconnaît qu'il n'a pas données fiables sur les oiseaux migrateurs qui traversent la Méditerranée, il lance des programmes de recherche, et en même temps, il dit qu'il sait qu'il n'y a pas de couloirs de circulation mais que les oiseaux survolent indifféremment toute la Méditerranée, et donc qu'il peut choisir une zone d'implantation des éoliennes car ce ne sera pas discriminant. Or les ornithologues affirment qu'on n'en sait pas suffisamment sur le sujet et que les éoliennes auraient un impact qui n'est pas souhaitable... L'autre argument beaucoup entendu durant le débat public, c'est le fait qu'on n'ait pas attendu les retours d'expérience des fermes-pilotes (encore en cours de construction sur les côtes de l'Aude et de Fos-sur-Mer, NDLR). Beaucoup considèrent qu'il y a d'autres choses à faire avant de mettre des éoliennes en Méditerranée, sur la sobriété énergétique notamment. Ce à quoi le gouvernement français répond que le pays est en retard et qu'on ne peut plus attendre au regard des obligations européennes et internationales, notamment en matière de décarbonation. Beaucoup répliquent que le mix énergétique français est déjà bien décarboné...

Quelles sont les oppositions les plus fortes qui se soient fait entendre durant le débat public ?

On a entendu une opposition d'une partie des acteurs de la pêche qui estiment que les éoliennes feront plutôt fuir les poissons et émettent des réserves sur le fait que les éoliennes puissent contribuer à améliorer la reconstitution des espèces et les stocks. En raison des retours d'expériences en mer du Nord, on sait que l'implantation d'éoliennes va changer les écosystèmes. C'est le point central. Beaucoup de pêcheurs se disent que les fermes-pilotes seront source de connaissances et qu'il faudrait attendre avant de décider d'une zone d'implantation. Sur ce sujet, ils rejoignent d'autres acteurs, des citoyens mais surtout des associations environnementales. C'est aussi l'un des points saillants que l'on peut retenir de ce débat public : pour une fois, les pêcheurs sont d'accord avec des ONG environnementales, même si ce n'est pas pour les mêmes raisons.

Le débat public pourrait-il amener les maîtres d'ouvrage à renoncer ?

Non, les porteurs de projet sont souverains. Concernant les oiseaux, pour reprendre cet exemple, l'État pourrait dire qu'il a écouté mais qu'il réfute les arguments du débat. Ou qu'il a entendu mais qu'il décide de continuer quand même. Ou alors renvoyer la décision à plus tard. Mais s'il décide de continuer, il doit quand même argumenter.

Qu'est-ce que l'État et RTE feront des résultats de ce débat public ? Quelles sont leurs obligations à prendre en compte, ou pas, les arguments avancés ?

Le principe, c'est évidemment que ça serve à quelque chose. La loi oblige la commission particulière du débat public à publier un compte-rendu dans les deux mois qui suivent la clôture, et le porteur de projet a ensuite trois mois pour prendre une décision. Il doit répondre à toutes les interrogations soulevées et prendre ses décisions au regard des observations du débat public. C'est à dire qu'il doit motiver la décision. Le compte-rendu de la commission particulière est donc le pivot de ce système : il doit être fidèle aux propos, peser les arguments, mais nous ne donnons pas d'avis favorable ni défavorable. Nous ne quantifions pas une adhésion au projet quel qu'il soit, même sur la localisation. En Méditerranée, il y a tellement d'usages et de logiques de protection de la biodiversité que dans l'absolu, parmi les zones proposées, il n'y en aurait aucune possible si on considérait tous les critères à 100%. Le travail de localisation devra donc hiérarchiser ces critères. L'objet du débat public n'est pas de trouver un consensus... Il est vrai que ce qui sera fait du débat public est incertain. Le débat public est un film dont on ne connaît pas la fin. La ministre (Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, NDLR) a dit que s'il y avait des sens interdits partout, elle regarderait, tout en disant que c'est important d'avancer. La décision est attendue en mars 2022, soit en plein débat électoral des présidentielles ! La plupart des candidats vont donc se prononcer sur ce projet et les cartes seront rebattues après le scrutin. Le gouvernement peut très bien décider...de prendre sa décision après les élections.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 6
à écrit le 28/10/2021 à 13:41
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L'ennui de ces éoliennes flotantes c'est qu'elles n'apporte rien pour créer des zones de repopulaion, reste l'interdiction de pêche dans un endroit sera bon pour la diversité.

à écrit le 28/10/2021 à 10:11
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dans le reste de l Europe . on en est a 5000 eoliennes offshores installees..........c est lamentable pour la France, d en etre a un si bas niveau

le 28/10/2021 à 13:10
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Le reste de l'europe tourne au charbon et au gaz, nous on a déjà décarbonné notre production électrique dans les année 70 avec le nucléaire, payer pour remplacer du décarboné par du décarboné serait stupide et inutile, on devrait investir notre argen...

le 28/10/2021 à 14:22
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Inutile de mander l’âge d’Albert & Dudulle. Pendant que l’Occitanie aura causé pour pas grand-chose, L’Espagne, notre voisin, s’apprête à construire deux parcs offshore (2x500MW) au large de l’ Andalousie, et un troisième au large de la Catalogne (P...

à écrit le 28/10/2021 à 9:11
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L'éolien est une affaire de gros sous et fait le lit des centrales au gaz.

à écrit le 28/10/2021 à 2:36
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L'idee est bonne. En placer une dizaine devant monaco et quelques une devant marina baie des anges. Ca aurait de la gueule, et puis c'est un bon exemple, c'est ecolo.

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