Avis de tempête sur le bâtiment : « Le secteur souffre d’un désamour, d’une posture dogmatique ! »

La fédération française du bâtiment (FFB) agite le chiffon rouge dans tous les territoires, alertant opinion publique et élus sur une situation dégradée. Elle cherche ainsi à sensibiliser le gouvernement et veut l’inciter à soutenir le pouvoir d’achat des Français par un "bouclier logement". Depuis l’Héraut, Céline Torrès, la présidente du pôle Habitat de la FFB Occitanie, dresse un bilan préoccupant tout en essayant de rester optimiste…
Cécile Chaigneau
Sous l'effet de l'inflation des coûts de construction et des prix du foncier, et de la hausse des taux d'intérêt, les constructeurs de maisons individuelles et les promoteurs immobiliers peinent à sortir leurs opérations immobilières  (photo : le chantier de l'immeuble Higher Roch à Montpellier en janvier 2021, aujourd'hui terminé).
Sous l'effet de l'inflation des coûts de construction et des prix du foncier, et de la hausse des taux d'intérêt, les constructeurs de maisons individuelles et les promoteurs immobiliers peinent à sortir leurs opérations immobilières (photo : le chantier de l'immeuble Higher Roch à Montpellier en janvier 2021, aujourd'hui terminé). (Crédits : Timelapse Go)

Sur tout le territoire national, la fédération française du bâtiment (FFB) évoque une crise sévère, qu'elle qualifie de « similaire à celle qui a sévi au sortir de la crise financière de 2008-2009 ». Elle rappelle ainsi des chiffres 2022 peu optimistes (voir encadré), comme une chute de 31,3% sur le marché de la maison neuve en secteur diffus, avec huit régions qui subissent un écroulement supérieur à 30%. Parmi elles, l'Occitanie, avec une baisse de 32,3%... Dans la promotion immobilière, englobant habitat individuel groupé et logements collectifs, la baisse des ventes est une réalité partout, à 16,2% en moyenne et 16,5% en Occitanie.

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En Occitanie justement, les 150 adhérents du Pôle Habitat (constructeurs maisons individuelles, rénovateurs, promoteurs et aménageurs fonciers) de la FFB Occitanie agitent le chiffon rouge, comme dans tous les territoires français qui subissent tous la même situation, afin de soutenir la démarche de la FFB à l'échelle nationale : négocier avec le gouvernement qu'il mette en place un "bouclier logement".

Pris en étau

« Aujourd'hui, le secteur de la rénovation se porte bien et le problème concerne le secteur de l'immobilier neuf, quel que soit le type de construction, logement collectif ou individuel, et quel que soit le territoire, campe Céline Torrès, la présidente du pôle Habitat de la FFB Occitanie, le 7 mars devant la presse. Nous sommes pris en étau entre raréfaction foncière, réglementation énergétique, hausse des coûts des matériaux qui gonfle les prix de vente de 20 à 25%, crise de l'énergie et depuis la mi-2022, augmentation des taux d'intérêt avec des banques qui ont moins d'argent à prêter et ne vont prêter qu'à ceux qui ont déjà de l'argent. Aujourd'hui, on assiste à une crise de la demande : non pas un désintéressement des Français pour l'immobilier mais plutôt une incapacité à devenir propriétaires. Dans les banques, 50% des dossiers de demandes de prêts sont rejetés par insolvabilité des acquéreurs. Ce qui entraîne une incapacité à produire car en promotion immobilière, il faut une pré-commercialisation suffisante pour commencer à construire donc certaines opérations ne sortent pas ! »

La dirigeante enfonce le clou sur deux aspects : « On va vers une crise sociale car je rappelle que chez les promoteurs immobiliers, 25% des logements sont cédés à des bailleurs sociaux. Donc on file droit vers une crise sociale car cette situation freine la production de logements sociaux. Par ailleurs, je souligne que le département de l'Hérault compte une démographie positive : si on produit moins de logement, on va accroître cette crise ».

Un "bouclier logement" basé sur cinq piliers

Céline Torrès déplore la fin du dispositif d'investissement locatif Pinel, qui s'est terminé en 2022* « alors que système de plafonnement de loyer permettait à des foyers modestes d'accéder à la location ». Elle défend donc la création d'un "bouclier logement" tel qu'imaginé par la FFB et proposé au ministère du Logement (ministre : Olivier Klein) actuellement.

« La FFB veut lui faire prendre conscience de cette crise depuis deux ou trois mois et propose de créer un "bouclier logement" basé sur cinq piliers : la prolongation du prêt à taux zéro, son rétablissement à 40% sans discrimination territoriale, le réhaussement de 25% des plafonds d'opérations pris en compte pour son calcul, l'instauration d'un crédit d'impôt de 15% sur les cinq premières annuités d'emprunt pour compenser l'impact de la RE2020, et la restauration du dispositif Pinel dans sa version 2022 jusqu'à la mise en place du statut du bailleur privé... Ce sont des propositions raisonnables. On a oublié l'adage selon lequel quand le bâtiment va, tout va ! Il faut aider le bâtiment avant que n'arrive une grosse catastrophe qui coûterait encore plus cher au gouvernement, et avant qu'une crise sociale se greffe dessus. Le chiffrage de ces mesures est en cours. »

Le secteur du bâtiment, malgré des efforts notamment en matière de constructions plus vertueuses, a cependant du mal à changer son image de bétonneur et de pollueur dans l'imaginaire collectif. Céline Torrès le déplore : « Le logement, c'est la base, et le point qui impacte le plus le pouvoir d'achat, c'est le crédit immobilier ! Quand on parle construction, on parle béton, alors qu'on ne construit plus comme il y a 30 ans. Une maison individuelle n'est pas forcément un pavillon ! Le secteur souffre encore d'un désamour et d'une posture dogmatique. Alors qu'on est un secteur qui paie bien, dont certains métiers sont pénibles, certes, mais aujourd'hui aidés par la mécanisation ! Et nous avons fait des efforts en matière de respect de l'environnement : on fait beaucoup d'ossature bois, de murs de terre crue, on trie et réutilise nos déchets... ».

Des trésoreries à la peine

Si la situation devait perdurer, une casse sociale est-elle à craindre ? Céline Torrès témoigne que les trésoreries de certains constructeurs de maisons individuelles ou promoteurs immobiliers (sans les citer) sont à la peine.

« La Banque de France a déjà identifié des entreprises en difficulté, et des constructeurs de maison individuelles perdent leur garantie financières et donc plient boutique, déclare-t-elle. La FFB essaie de les aider. On veut éviter que toute la chaîne du bâtiment soit impactée. »

Michel Marty, le secrétaire général de la FFB de l'Hérault, renchérit sur l'emploi : « En raison du décalage entre commandes et chantiers, les entreprises de la construction ne sont pas encore touchées et font tout pour garder leur personnel mais les entreprises du Pôle Habitat anticipent car elles voient leurs ventes baisser et ont déjà besoin de moins de salariés ».

Chez les promoteurs immobiliers, des inquiétudes ont été formulées en creux au cours des dernières prises de parole, mais pas d'alerte officielle sur des difficultés d'entreprises. Sollicité par la rédaction, Laurent Villaret, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) Occitanie Méditerranée, n'a pas donné suite.

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« C'est un appel à la raison »

Le lobbying de la FFB se déploie pour convaincre le gouvernement d'agir : « Nous rencontrons les parlementaires et les maires », indique Michel Marty.

Toutefois, à trois jours de l'ouverture du Salon de l'immobilier à Montpellier (les 10, 11 et 12 mars au Corum), la présidente du Pôle Habitat de la FFB Occitanie s'efforce de garder un discours optimiste.

« Je dis aux acquéreurs que c'est le moment d'investir car de toute façon, les prix ne vont pas baisser, en tout cas pas dans l'Hérault, lance-t-elle. Je veux rester optimiste, c'est un appel à la raison. »

L'autre angle d'adaptation, pour le secteur de la construction, c'est la diversification. Céline Torrès confirme qu'un travail est en cours pour accompagner les entreprises vers la rénovation, « y compris nous, constructeurs de maisons et promoteurs immobiliers ».

* Dans le cadre du dispositif Pinel, la réduction d'impôt est acquise sur toute la durée d'engagement de location pour les investissements locatifs réalisés jusqu'au 31 décembre 2022. Les réductions d'impôt sont dégressives depuis le 1er janvier 2023 jusqu'en 2024, selon la durée d'engagement de location. Il est toutefois possible de maintenir les déductions fiscales en 2023 et 2024 en respectant les critères du dispositif Pinel +, concernant des logements dans certains quartiers (quartiers prioritaires de la politique de la ville) ou respectant un niveau de qualité élevé en matière de performance énergétique, d'usage et de confort.

La chute des constructions neuves, selon les chiffres de la FFB en France

Selon les dernières données communiquées par la FFB au niveau national, le marché de la maison neuve chute de 31,3% en 2022 et de 38,2% au dernier trimestre (en glissement annuel), soit « le pire exercice des 16 dernières années ». L'habitat individuel groupé s'écroule également de 22,2%, « pire millésime des 22 dernières années ». Et les ventes dans le logement collectif se contractent de 14,1% en 2022, et de 30,4% au dernier trimestre (en glissement annuel toujours). Quant à la production de crédits immobiliers aux particuliers pour le neuf en 2022, elle plonge de 19,6% sous le double effet de l'inflation des coûts de construction et des prix du foncier, et de la hausse des taux d'intérêt.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 2
à écrit le 07/03/2023 à 21:40
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En France le BTP en tête , on a trop l'habitude de vivre avec l'argent de l'état, du moins du contribuable... en plus les constructions actuelles sont nulles et pas sérieuses.... Si la petite souris pouvait parler ..... "c'est dingue la magouille".....

à écrit le 07/03/2023 à 19:40
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De qui se moque-t-elle avec les millions de passoires thermiques à rénover l'activité de ce secteur ne manque! , ?

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