« En matière de politique du logement, non, pas de signaux faibles d’un quelconque sauvetage, à même de renverser la vapeur en 2024 »

INTERVIEW - A l’orée de l’année 2024, les promoteurs immobiliers sont en apnée. L’année 2023 a été éprouvante et ils abordent le nouveau cycle avec inquiétude, aucun signe de changement positif ne venant les rassurer. Sur l’ex-Languedoc-Roussillon, où le marché immobilier montpelliérain notamment a dévissé, le cabinet Adéquation scrute le moindre mouvement avec attention. Analyse avec Clémence Peyrot, directrice régionale Occitanie.
Cécile Chaigneau
Clémence Peyrot, directrice régionale Occitanie du cabinent Adéquation, à Montpellier.
Clémence Peyrot, directrice régionale Occitanie du cabinent Adéquation, à Montpellier. (Crédits : DR)

Après une année 2023 maudite et éprouvante pour leur activité et leur trésorerie, les promoteurs immobiliers sont en apnée aux portes de 2024... Les marchés immobiliers sont en mode pause, les taux d'intérêt vont rester haut même s'ils ne grimpent plus (entre 3,8 et 3,9%), les prix au m2 n'ont pas réellement amorcé de baisse dans les proportions escomptées pour compenser la perte de pouvoir d'achat des ménages qui, du coup, n'a pas retrouvé de souffle, et les conditions générales et la conjoncture n'ont pas fondamentalement changé... Chez Adéquation, cabinet d'études expert des marchés immobiliers résidentiels et de l'immobilier neuf en France, les équipes scrutent avec attention le moindre frémissement.

LA TRIBUNE - En 2023, les mises en vente de logements neufs et les ventes nettes se sont s'effondrées sur l'ex-Languedoc-Roussillon comme un peu partout en France, sous le coup de l'inflation des prix et des taux d'intérêt qui ont désolvabilisé les ménages. Les promoteurs immobiliers évoquent une tendance « plus marquée » sur la Métropole de Montpellier (voir encadré). Quelle analyse faites-vous de ces chiffres, produits par votre cabinet ?

Clémence PEYROT, directrice régionale Occitanie du cabinet Adéquation, à Montpellier - La baisse des mises en vente et des ventes nettes est en effet très marquée à l'échelle de Montpellier, qui est le marché leader de la région. D'autres métropoles françaises sont aussi sinistrées, comme Bordeaux par exemple, ou Toulouse. A Montpellier , la crise de l'offre existe depuis quelques années maintenant, et le marché s'est inscrit dans un cycle baissier depuis 2019. Le choc de l'offre lancé par la Métropole de Montpellier en février 2022 (8.000 logements dans les deux ans, NDLR) n'a pas encore porté ses fruits, et une partie de ces programmes est mise en difficulté par la conjoncture.

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Le dernier trimestre 2023 aura-t-il permis de redresser un peu la situation ?

Non, il n'aura pas produit de changement majeur. Il n'y a pas l'effet de rattrapage de fin d'année qu'on a parfois. Les données 2023 seront consolidées pour le début du mois de février mais on peut déjà dire que le 4e trimestre ne sera pas bon non plus.

Confirmez-vous une situation inédite pour ce marché du neuf, comme le soulignent les promoteurs immobiliers ?

Oui en effet, depuis plus de vingt ans qu'on observe la promotion immobilière, ce sont des chiffres inédits...

Tandis que les volumes de ventes ont baissé, les prix, eux, ont continué de grimper :  dans la région, le prix moyen est passé de 3.235 euros le m2 en 2008 à 4.780 euros en 2023. A Montpellier, les prix ont même atteint les 5.370 euros/m2... Cette absence de réaction du marché vers une baisse des prix est-elle une énigme ?

Derrière cette non évolution des prix, voire leur augmentation qui se poursuit, se cachent des éléments de compréhension et des biais qu'il faut rappeler. Les opérations en cours de commercialisation aujourd'hui ont été pensées et conçues avant la crise, à une époque où l'on misait sur un contexte porteur, et le peu de ventes s'est réalisé a été fait auprès de personnes qui avaient encore accès au crédit. Cela constitue donc un biais, même si cela porte sur de faibles volumes. Par ailleurs, les promoteurs ont opéré des offres promotionnelles pour faciliter les ventes, dont on devrait voir l'effet au 4e trimestre, mais elles ont parfois portée sur l'offre de la cuisine ou la gratuité des frais de notaire. Ce sont donc des promotions qui ne se sont pas vues sur les prix de vente. Se pose néanmoins maintenant la question de l'après.

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Justement, les promoteurs immobiliers disent ne pas disposer aujourd'hui de leviers pour faire baisser les prix...

En effet, c'est compliqué si les données ne bougent pas, et il n'y a pas de raison que ça bougent pour le moment : les charges foncières restent hautes, les coûts de construction se stabilisent mais ne vont pas baisser, et les ambitions environnementales sont toujours fortes. Par ailleurs, il n'y aura plus le dispositif Pinel qui permettait de vendre les logements plus chers, et en parallèle, les investisseurs patrimoniaux de demain voudront de la rentabilité donc il faudra vendre moins cher ! Sur les fonciers aménagés, dans les ZAC, des discussions en cours car les aménageurs ont intérêt à ce que les programmes sortent, même si eux aussi ont des contraintes de rentabilité. On attend de voir comment équilibrer les programmes et certains projets sont reportés. Il y a encore des résidences services qui se font ou des secteurs où les programmes se vendent, comme en montagne ou sur le littoral comme en PACA ou sur le littoral languedocien. Mais oui, il y a des "no go", ou alors les promoteurs vendent davantage en bloc pour trouver des sorties commerciales, mais à des prix moins élevés.

On entend l'inquiétude de la profession qui parle de bilans réduits de 30%, et pour certains promoteurs, une réflexion sur un allègement de la masse salariale...

Adéquation ne suit pas la santé financière des entreprise mais oui, on entend des inquiétudes sur le maintien des masses salariales. Nous n'avons pas établi de projections quantitatives mais on peut néanmoins prédire que dans les années à venir, le volume de logements neufs sera inférieur à ce qu'il a été ces dernières années.

On est à l'orée de 2024, comment la situation pourrait-elle évoluer ? Percevez-vous des signaux faibles du gouvernement, à qui le reproche a été fait tout au long de l'année 2023 de manquer d'ambition sur sa politique logement ?

Non, pas de signaux faibles d'un quelconque sauvetage, à même de renverser la vapeur en 2024... Si ce n'est cette volonté de poursuivre le développement des logements locatifs intermédiaires (en novembre dernier, Elisabeth Borne, alors Première ministre, avait annoncé l'engagement par l'Etat et de la Caisse des dépôts à hauteur de 500 millions d'euros et misait sur un engagement similaire par des investisseurs institutionnels pour « doubler » d'ici à 2026 la construction de logements locatifs intermédiaires à 30.000 unités chaque année, NDLR). Mais ils ne pourront pas faire ça tous les ans, et pas avec la même valorisation qu'un logement libre donc ce ne sont pas les mêmes équilibres financiers pour les opérations immobilières. D'autant que les bailleurs sociaux notamment n'ont eux-mêmes pas une santé financière florissante !

Que peut-on espérer sur les prix ?

Si les taux d'intérêt se stabilisent, cela permettra aux banques de revenir sur le marché immobilier mais on ne reviendra pas à des taux à 1%. La question sera de savoir comment sortir des opérations moins chères. Les promoteurs travaillent sur le sujet, et évoquent notamment l'idée de travailler par îlot, c'est à dire des programmes immobiliers mono-segment : 100% logement social, 100% logement libre ou 100% logement intermédiaire, ce qui pourrait faciliter le montage financier des opérations en sortant des système de péréquation entre segments. Mais c'est un dispositif qui devra être pris en main au niveau politique. Et cela supposera un gros travail urbanistique sur les espaces publics pour assurer la mixité. Ça ne résoudrait pas tout et ne permettrait pas de faire du m2 à 4.000 euros au lieu de 5.500 euros...

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Comment pourrait évoluer le comportement des acheteurs et vendeurs ?

Sur l'immobilier ancien, on devrait observer un réajustement progressif des prix, ce qui permettra de fluidifier le marché. Mais il y a un élément qu'il faudra peut-être appréhender différemment : avec des années de progression importante des prix, comme à Montpellier par exemple, on appréhende l'achat immobilier en misant sur la plus-value. Peut-être que demain, il faudra relativiser cette perspective et revaloriser la notion de capitalisation par l'achat immobilier, et plus seulement « j'achète pour faire un coup financier ».

Au regard des défis que doit affronter le secteur de la construction (loger les gens mais améliorer les performances énergétiques des bâtiments et réduire l'artificialisation des sols), certains évoquent une partie de l'équation insuffisamment explorée et exploitée : la sous-occupation du parc immobilier français. Son optimisation pourrait contribuer à une sobriété immobilière encore peu sollicitée. Est-ce un sujet pour la profession ?

On est en effet obligé de plus en plus d'intégrer dans nos réflexions la montée en puissance de la réhabilitation des logements. Certains promoteurs montent en compétences sur le sujet et l'intègrent de plus en plus à leur activité. Mais ça pourrait représenter 10 à 15% de leur activité maximum. Car on est limité par des équilibres qui n'ont pas été tout à fait trouvés et par encore pas mal de contraintes. Par ailleurs, il faut rappeler qu'une grande partie des passoires thermiques n'est pas dans des zones où elles pourraient trouver preneur mais plutôt en zones détendues. Ce ne sera pas la réponse à tout.

Les chiffres de la dégringolade

Selon les chiffres du 3e trimestre 2023 fournis par le cabinet Adéquation, les mises en vente ont enregistré une baise significative de -30% au niveau national (par rapport aux trois premiers trimestres 2022), de -37% sur l'ex-Languedoc-Roussillon (1.839 ventes nettes contre 5.500 en 2019 et 2021, 4.500 en 2022), et de -39% dans la métropole montpelliéraine. En parallèle, les ventes se sont écroulées de -47% dans la région, -48% dans la métropole et -50% sur la seule ville de Montpellier. Le président de la Fédération des promoteurs immobiliers Occitanie Méditerranée prédisait, fin novembre dernier, une année 2023 qui se terminerait sur environ 2.300 ventes nettes, « soit la moitié de ce qui se vendait en 2012 ».

Cécile Chaigneau

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