Caoutchouc naturel : à Montpellier, GuaTecs avance sur la structuration d’une filière (agricole et industrielle) du guayule

Installée à Montpellier, GuaTecs s’est spécialisée dans la production et la commercialisation de latex à partir de guayule, une plante originaire du Mexique et adaptée au climat méditerranéen, qui peut constituer une alternative intéressante à l’hévéa. Son fondateur, Michel Dorget, veut désormais industrialiser le procédé d’extraction du latex et la valorisation de toute la plante en créant une bioraffinerie d’ici à cinq ans, afin de fournir le marché européen du caoutchouc. Une démarche qui nécessite d’abord de structurer la culture du guayule sur le pourtour méditerranéen.
Cécile Chaigneau
A Montpellier, GuaTecs s’est spécialisée dans la production et la commercialisation de latex à partir de guayule, une plante originaire du Mexique et adaptée au climat méditerranéen, qui peut constituer une alternative intéressante à l’hévéa dans la fabrication de caoutchouc naturel.
A Montpellier, GuaTecs s’est spécialisée dans la production et la commercialisation de latex à partir de guayule, une plante originaire du Mexique et adaptée au climat méditerranéen, qui peut constituer une alternative intéressante à l’hévéa dans la fabrication de caoutchouc naturel. (Crédits : DR)

On le sait désormais, le guayule se présente comme une alternative très sérieuse à l'hévéa (dont la culture favorise la déforestation notamment), unique source actuelle de caoutchouc naturel face au caoutchouc synthétique produit à partir de pétrole (et dont l'impact environnemental est bien supérieur), pour développer des caoutchoucs plus verts. Cette plante, originaire du Mexique et du sud des Etats-Unis, est parfaitement adaptée aux conditions météorologiques sèches et pourrait très bien prospérer en région méditerranéenne.

Cela fait quelques années maintenant que Michel Dorget, ancien responsable du pôle matériaux au Centre de transfert de technologies du Mans (CTTM), travaille sur différentes plantes à caoutchouc, dont le guayule. En 2019, il créait l'entreprise GuaTecs au Mans, avant de la rapatrier à Montpellier il y a un an, dans les anciens bâtiments de l'école de chimie. Et en novembre 2020, GuaTecs et la SATT AxLR signaient un contrat d'exploitation d'un brevet (issu des travaux du CIRAD et du CTTM, et dont Michel Dorget est co-inventeur) sur l'extraction en phase aqueuse du latex de la biomasse de guayule. Objectif : créer une filière de production de latex naturel pour soutenir la souveraineté de l'Europe en termes d'approvisionnement en matériaux critiques pour la fabrication de produits eux aussi critiques comme les gants d'examen médicaux.

2e génération de pilote

Selon Michel Dorget, les applications du latex de guayule sont les mêmes que celles du latex naturel d'hévéa ou des latex synthétiques : « On s'adresse aux mêmes marchés, pour la fabrication d'objets plutôt souples et fins, par exemple des gants à usage unique, des dispositifs médicaux ou des matelas mousse ». Mais ses vertus sont supérieures : « Le latex de guayule est non allergisant, ce qui est important pour les gants à usage unique, plus souple et plus résistant, donc on pourra mieux le valoriser financièrement, d'autant qu'on valorisera aussi des co-produits ».

« Quand on coupe l'écorce du guayule, le latex coule spontanément mais il est prisonnier des cellules de la plante et il faut un procédé pour l'extraire de la biomasse, indique le président de GuaTecs. Aujourd'hui, nous sommes en phase d'extrapolation industrielle. Nous en sommes à la 2e génération de pilote, permettant de produire un litre par heure de latex, soit une vingtaine de plants de guayule. Il faudra probablement encore deux à trois générations de pilotes pour que le procédé soit mature. A terme, ce procédé devra également extraire un co-produit du guayule par bioraffinerie : une sorte de résine qui permettra des d'applications comme le scotch ou les étiquettes autocollantes. Il faudra ensuite augmenter les capacités de production, passant de quelques centaines de litres par heure à l'échelle du démonstrateur à plusieurs tonnes par heure à l'échelle industrielle. A la fin, l'objectif est de tout valoriser dans le guayule, d'avoir zéro déchet et ainsi une meilleure valorisation financière. »

Autre vertu de cette nouvelle recette de caoutchouc naturel : « C'est une filière régénérative car on capte plus de CO2 à la croissance du guayule qu'on en consommera en extraction et production », promet Michel Dorget, qui précise que GuaTecs a été labellisée par Solar Impulse (qui distingue les entreprises à impact positif associant protection de l'environnement et rentabilité financière).

En quête de 5.000 hectares de cultures

Mais il faudra bien encore trois à cinq ans, selon Michel Dorget, pour voir s'ériger une usine.

« Il faudrait 5.000 hectares de culture de guayule pour faire tourner une unité industrielle en France, assure-t-il. Ce serait une solution de diversification pour les agriculteurs. Mais il faut trouver ces 5.000 hectares... Il existe des centaines de milliers d'hectares de friches agricoles mais ils sont disséminés un peu partout, or le but, quand on aura décidé du lieu d'implantation de l'usine, sera d'avoir ces hectares dans un rayon de proximité. Il faut donc déployer une stratégie territoriale, et pour cela, nous travaillons avec les collectivités territoriales et la DRAAF (Direction régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt, NDLR). Nous avons aussi commencé à contacter de grosses coopératives agricoles. L'implantation de l'usine, non loin des cultures, serait probablement en Occitanie, car le guayule a besoin de chaleur et de peu d'eau pour pousser. Dans la culture du guayule, il n'y a pas de notion de maturité car on récolte dans l'écorce, au printemps ou à l'automne, et la plante repousse d'elle-même. »

Le dirigeant affirme qu'une seule bioraffinerie serait suffisante pour alimenter le marché européen, mais dans son modèle, il a imaginé « faire la même chose deux fois à l'étranger : en Australie et aux Etats-Unis »...

Les freins ne sont pas techniques. La difficulté réside davantage dans la structuration de la filière : « Il faut en même temps démultiplier la production de la biomasse et donc disposer des hectares de cultures, augmenter les capacité d'extraction, et valider les applications chez les clients. Nous sommes sur un projet industriel et nous avons donc besoins de capitaux et de temps long ».

Relocalisation de production

Il y a une dizaine d'années, l'entreprise américaine Yulex s'est essayée à la production de latex de guayule mais elle a fait faillite en 2010. L'expérience a toutefois suffit à faire adopter une norme sur le latex de guayule et à démontrer que la production de gants à base de ce matériau naturel était possible.

« Le problème est de le faire de manière rentable, argumente aujourd'hui Michel Dorget. Notre procédé d'extraction est différent de celui de Yulex, et nous valoriserons également les co-produits du guayule. Il y a aussi une différence de contexte : en 2010, nous n'avions pas encore eu toutes les crises qu'on a connues depuis, et la demande en relocalisation, en produits biosourcés et verts était moins importante qu'aujourd'hui. Par exemple, la France subventionne la relocalisation de la production de gants médicaux pour garantir sa production quelles que soient les crises mondiales, et nous pourrons alimenter cette production en latex naturel. »

Dans le monde, d'autres acteurs travaillent sur le guayule : « Le plus gros, c'est Bridgestone (fabricant de pneus, NDLR) qui produit du caoutchouc d'hévéa mais qui cherche une source alternative et développe une filiale guayule aux Etats-Unis (le manufacturier, qui s'est inscrit dans la course au pneu durable, a annoncé vouloir commercialiser ses premiers pneus en guayule en 2030, NDLR). D'autres ont créé des entreprises aux Etats-Unis, au Mexique, en Italie ou en Espagne... Mais chacun a développé des procédés d'extraction différents ».

8 millions d'euros

GuaTecs compte aujourd'hui six associés et cinq salariés. Aujourd'hui, alors que les besoins sont clairement là et que le volet technique est bien avancé, l'enjeu est financier.

« Nous avons levé 200.000 euros en obligations convertibles auprès d'Ocseed (société de capital-risque créée par l'incubateur régional en Occitanie Nubbo, NDLR) et des discussions sont en cours avec Bpifrance sur des montants du même ordre, indique Michel Dorget. Nous travaillons sur une 2e levée de fonds d'un montant de 8 millions auprès d'investisseurs territoriaux et nationaux, en capital-risque et industriels, mais c'est une démarche de plus longue haleine qui s'étendra sur un ou deux ans. »

Cécile Chaigneau

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Commentaires 2
à écrit le 21/08/2023 à 19:51
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le cahoutchouc synthetique n a pas tenu ses promesses. il est loin d avoir les proprietes du latex naturel. Les cultures d hevea se developpent vite en Afrique, actuellement (main d oeuvre et terres pas cheres). L hevea est originaire d Amazonie. il ...

à écrit le 19/08/2023 à 8:27
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Y a-t-il une cocrrence du caoutchouc synthétique qui doit être moins cher ?

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