Il faut sauver les opérations de logements : à Montpellier, le dialogue entre l’aménageur public et les promoteurs pour sortir de la crise

Marché figé, opérations immobilières en berne, habitants en difficulté pour se loger. A Montpellier, l'aménageur public Altemed et les promoteurs immobiliers se sont mis autour d’une table pour ouvrir un dialogue et trouver des solutions de sortie de crise. L’arme choisie : la « clause de retour à meilleure fortune », juridiquement appelée « clause d’intéressement ». Explications.
Cécile Chaigneau
Dans le quartier Port Marianne, à Montpellier.
Dans le quartier Port Marianne, à Montpellier. (Crédits : Gilles Lefrancq, pour Altemed)

Des mois que la crise du logement est sur le dessus de la pile. Chez les particuliers qui ne peuvent plus se loger, la faute aux prix toujours très hauts et aux crédits bancaires inaccessibles. Chez les promoteurs immobiliers, en raison d'une difficulté croissante à équilibrer financièrement leurs opérations. Chez les collectivités, où la programmation de logements ne suffit pas à transformer l'essai et qui voient les constructions ralentir de manière très problématique et inversement proportionnelle aux besoins des habitants...

Dans le même temps, le gouvernement n'a pas envoyé de signaux très encourageants. En tout cas, pas du point de vue des principaux intéressés.

« Nous sommes dans une crise structurelle de la demande et l'Etat propose des mesures pour relancer l'offre : ce n'est pas ce qui est attendu, martèle Laurent Villaret, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) Occitanie Méditerranée. D'autant que parmi les mesures proposées, beaucoup existent déjà. La plus intéressante, c'est le permis d'aménager multisites qui, par exemple, permettrait de faire de la rénovation et à côté, un programme de logements neufs. Mais sinon, c'est quoi le projet ? C'est quoi la vision de l'Etat ? A Montpellier, 72% de la population est éligible au logement social : le gouvernement propose d'intégrer du logement abordable dans les obligations de la loi SRU, mais on déplace le problème car il faudra bien loger les demandeurs de logement social... Nous avons besoin d'un cap pour adapter notre modèle économique. »

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« Le mur du logement »

De son côté, Cédric Grail, le directeur général d'Altemed, l'aménageur public de la Métropole de Montpellier (Société publique locale, fruit de l'association de la SERM, la SA3M et de l'OPH métropolitain ACM Habitat), allume les warnings : « Il y a une urgence absolue à faire du logement, il n'y a plus de marché locatif dans la métropole... Mais j'ai quand même l'impression que depuis deux ou trois mois, il y a une prise de conscience du gouvernement sur le sujet, probablement grâce à un travail de lobbying fort de tous les acteurs. Et localement aussi, on voit les services de l'Etat ou le préfet s'en préoccuper. Car tout le monde voit arriver le mur du logement dans quatre ou cinq ans : tout ce qui n'est pas lancé en 2024, c'est ce qu'on ne fera pas en 2027-2028 ».

Le dirigeant d'Altemed enfonce toutefois un clou sur les mesures gouvernementales envisagées, notamment sur l'attention qu'il y aurait à porter aux occupants de logements sociaux qui n'y auraient plus droit en raison d'une augmentation de leurs revenus : « Nous avons lancé une étude chez ACM Habitat : aujourd'hui, 1,5% de nos 25.000 locataires sont au-dessus de 20% des plafonds de ressources, soit 330 locataires. Et au regard de la loi, et si on enlève les retraités, les personnes handicapées et les personnes en QPV, il reste trois personnes concernées. Le problème pour nous n'est pas d'expulser des gens trop riches du patrimoine HLM ».

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« Tout le monde doit faire des efforts »

Le vrai problème des collectivités et de leurs bras armés en aménagement urbain, c'est, très pragmatiquement, de produire des logements. Début février 2022, le maire (PS) et président de la Métropole de Montpellier, Michaël Delafosse, avait lancé ce qu'il appelait alors « le choc de l'offre », soit 8.000 logements dans les ZAC du territoire métropolitain dans les deux années à venir. Deux ans plus tard, Cédric Grail fait le bilan.

« Aujourd'hui, 7.800 logements ont été attribués à des promoteurs, à ACM Habitat ou à des bailleurs sociaux, soit une petite centaine d'opérations, énumère-t-il. Mais depuis juillet 2023, beaucoup de lots sont bloqués car les promoteurs n'arrivent pas à pré-commercialiser les opérations, qui ne sont donc pas finançables par les banques. Nous avons renégocié une façon de sortir de cette impasse en prenant les opérations une à une. Une des solutions a été la vente en bloc auprès de CDC Habitat ou Action Logement pour faire du logement intermédiaire, ce qui a débloqué les trois quarts des opérations. Nous avons regardé tous les bilans dans le détail (typologie des logements, façade, maîtrise d'œuvre, prix de construction, etc.) et tous les leviers à actionner pour reconstituer la marge promoteur, avec une conclusion : tout le monde doit faire des efforts, y compris nous, aménageur public. »

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Reverser une partie de la marge

Des efforts mais dans un cadre (un protocole) et avec une perspective positive pour tout le monde. D'où le recours à un mécanisme peu usité : la « clause de retour à meilleure fortune », juridiquement appelée « clause d'intéressement » ou « clause d'évitement d'enrichissement sans cause ».

« Le niveau d'incertitude globale est immense : on ne connaît pas le prix de vente des logements dans quelques années à 5 ou 10% près, ce qui est beaucoup, on ne connaît pas les prix de construction, on ne connaît pas l'évolution des frais financiers, campe Cédric Grail. On a été mu par le bon sens : les promoteurs veulent gagner de l'argent - et on ne dit pas qu'il ne faut pas qu'ils en gagnent - et nous, faire des logements. Tout le monde prend des risques et chacun doit s'y retrouver si le marché redevient meilleur, y compris la puissance publique ! Car on pourrait très bien se retrouver, à la livraison de l'opération dans quelques années, dans une situation où l'équilibre financier des opérations serait meilleur que prévu, avec une marge des promoteurs qui grimperait.

Dans ce cas, une partie de cette marge, définie ensemble, reviendra à l'opérateur public pour réinvestir dans l'aménagement urbain. Nous avons identifié deux cas : si l'opération ne présente aucun risque de commercialisation sur les logements, le promoteur sera redevable à l'aménageur de 50% de la marge supplémentaire réalisée, et si l'opération comporte un risque de commercialisation, il sera redevable de 40% du chiffre d'affaires supplémentaire réalisé sur le logement. Par ailleurs, sur le tertiaire et le commerce, le promoteur sera redevable de 30% du chiffre d'affaires supplémentaire réalisé sur cette part... Nous nous reverrons une fois par an pour faire évoluer ce protocole en fonction de la conjoncture et du contexte. »

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« On ne rogne pas sur la qualité du logement »

Ce qui est nouveau, selon les deux camps, c'est de généraliser et systématiser cette démarche, qui a imposé à toutes les parties d'approfondir leurs connaissance et compréhension respectives des modalités de travail, structurations des bilans et autres contraintes des uns et des autres dans la fabrique du logement.

« C'est une révolution culturelle chez nous, et d'ailleurs, on est en train de se doter d'un outil pour encore mieux professionnaliser notre analyse du marché : on part du prix de vente souhaité et on fait le chemin à l'envers pour reconstituer le bilan, souligne Cédric Grail. Mais on ne rogne pas sur la qualité du logement. En revanche, on réinterroge toutes les façons de faire : est-il nécessaire de mettre du béton blanc au lieu de béton gris ? Doit-on mettre du carrelage partout ? Ne peut-on pas faire des parkings silo à proximité au lieu de parkings en sous-sol qui coûtent très cher par logement ? On réfléchit sur les usages. Par exemple, on est de plus en plus prudents pour faire du commerce en rez-de-chaussée car ce n'est pas nécessaire partout, et on peut faire du logement à la place. »

La question du coût de la construction n'étant pas récente, on s'étonne que cet examen minutieux n'ait pas été mis sur la table plus tôt... « Ça ne sert à rien de tout savoir si tous les acteurs ne savent pas travailler ensemble et que les aménageurs et les promoteurs ne se comprennent pas ! », répond Laurent Villaret.

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« Il faut sauver les opérations immobilières »

Le protocole de cette « clause d'intéressement » est sur le point d'être signé et va s'appliquer immédiatement. Cédric Grail indique que « sur 99 opérations aujourd'hui, il y en a 47 qui vont sortir, une quarantaine sur lesquelles on négocie, et 14 scotchées mais pas uniquement pour des questions de financement. Par exemple, aujourd'hui, c'est compliqué d'intégrer du logement social dans une Folie architecturale (douze sont prévues, en écho aux Folies du XVIIIe siècle, élégantes demeures bâties à Montpellier et en périphérie, NDLR) donc on n'abandonne pas l'idée, mais on regarde comment les faire différemment ».

« Tout le monde rogne sur tout et à tous les niveaux - foncier, frais d'études, coûts travaux, frais financiers, etc. - mais nos bilans sont respectés sur la base d'une marge normale entre 5 et 7%, ajoute Laurent Villaret. On s'est inscrit dans cette démarche car on y croit. On est tous dans la même barque : il faut sauver les opérations immobilières... Mais derrière, il faudra que le gouvernement donne une vision et redonne confiance. Il ne pas opposer acheteurs-occupants et investisseurs, qui n'est pas un gros mot ! »

Selon le service juridique d'Altemed, cette démarche est examinée de près par d'autres villes - les noms de Toulouse ou Lyon sont glissés - et pourraient servir de modèle dans d'autres métropoles, elles aussi asphyxiées par la crise du logement.

Des « ateliers du logement » pour 200 mesures fin juin

Le président de la Métropole de Montpellier Michaël Delafosse a lancé, le 15 mars dernier, les « ateliers du logement », avec l'objectif de mener un travail de recherche de solutions. « Sept groupes de travail doivent répondre à des questions de base : construire plus vite, moins cher, pour qui, où, comment, etc., 400 personnes sont invitées à participer, une cinquantaine d'auditions nationales et une cinquantaine d'auditions locales seront menées, précise Cédric Grail, chez Altemed. L'idée, c'est de déterminer ce qu'on peut faire de suite, à moyen terme et ce qui nécessitera du législatif et réglementaire. Un rapport de 200 mesures sera donné à tous les maires de la Métropole le 27 juin prochain. »

Cécile Chaigneau

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Commentaires 3
à écrit le 07/05/2024 à 16:39
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he oui, avec 72% de la population eligible aux hlm, quand ceux qui payent plein pot pour equilibrer des programmes immobiliers avec 40% de logements sociaux vendus au tiers du prix, commencent a manquer, ca coince pour les autres, 72% donc!!! avec la...

à écrit le 07/05/2024 à 15:48
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il faut juste attendre que la bulle explose. le contribuable n a pas a subventionner la culbute des proprietaires. a la limite, il peut augmenter les impots foncier pour dissuader la rentention immobiliere (des impost eleves inciteront a ne pas conse...

à écrit le 07/05/2024 à 14:21
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A Montpellier, 72% de la population est éligible au logement social !! Surtout à Port Marianne à 5000€/m2

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