Comment les Pyrénées-Orientales tentent de s’adapter face à l’érosion côtière

SERIE Littoral (1/2) - Dans son dernier rapport, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) a estimé à 263 le nombre de logements catalans potentiellement menacés par le recul du trait de côte d’ici 2050. Dans ce département des Pyrénées-Orientales, le plus touché d’Occitanie par l’érosion côtière, les communes tentent de faire face. Pas sûr que cela suffise à enrayer le phénomène, d’autant que de nombreux questionnements restent en suspens. A commencer par le financement des expulsions.
Historiquement défendue par des digues et des brise lames, la vieille plage de Sainte-Marie-la-Mer (Pyrénées-Orientales) fait l'objet, chaque année, d'opérations de ré-ensablement, entre 13.000 et 20.000 m3 de sable.
Historiquement défendue par des digues et des brise lames, la vieille plage de Sainte-Marie-la-Mer (Pyrénées-Orientales) fait l'objet, chaque année, d'opérations de ré-ensablement, entre 13.000 et 20.000 m3 de sable. (Crédits : DR)

Amplifiée par le dérèglement climatique, l'érosion côtière a déjà grignoté 20% du littoral français, soit 900 kilomètres. A la demande du gouvernement, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), établissement sous la double tutelle de l'Etat et des collectivités, a cartographié le recul du trait de côte à court, moyen et long terme.

Dès 2028, un millier de bâtiments, dont 300 résidentiels et 190 commerciaux, d'une valeur de 235 millions d'euros seraient menacés. A horizon 2050, ce sont 5.200 logements, dont 2.200 résidences secondaires et 1.400 locaux d'activité, représentant une valeur totale de 1,2 milliards d'euros, qui pourraient être affectés. Dans l'hypothèse d'une inaction, le Cerema indique qu'en 2100, la France assisterait à la disparition complète des structures de défenses côtière et à l'inondation progressive de toutes les zones topographiquement basses du littoral.

« Une hypothèse vraisemblable mais qui reste néanmoins sur la fourchette haute du scénario le plus défavorable du GIEC », estime François Hedou, responsable du rapport.

Pour l'heure, le Cerema a identifié 500 communes à risque : les Pyrénées-Orientales font partie des départements les plus menacés d'ici 2050.

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« Garder raison »

Depuis dix ans, sur 75% du littoral catalan, la mer gagne un à quatre mètres sur les terres chaque année. D'ici 2050, 263 logements (dont 80 résidences secondaires) pourraient être potentiellement impactés, pour une valeur estimée à 33,97 millions d'euros, auxquels s'ajoutent treize commerces, deux hôtels et trois campings.

« Ce sont des chiffres qu'il faut prendre avec précaution, préfère tempérer Edmond Jorda, le maire de Sainte-Marie-la-Mer. La projection a été faite sur la base de ce qu'on connaît actuellement de l'évolution du trait de côte mais nos connaissances de phénomènes, tels que la pression des courants marins, sont encore limitées. De plus, dans certains endroits qui sont rechargés en sable régulièrement, le trait de côte est maintenu de façon artificielle. Il faut donc garder raison et légender cette projection par la gestion de chaque site. »

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Recul stratégique et valorisation

Historiquement défendue par des digues et des brise lames, la vieille plage de Sainte-Marie-la-Mer fait l'objet, chaque année, d'opérations de ré-ensablement, entre 13.000 et 20.000 m3 de sable pour un budget de l'ordre de 200.000 euros. Au nord de la commune, la situation est plus favorable, les plages bénéficiant d'un réensablement naturel dû à la dérive littorale. En revanche, une encoche d'érosion menace régulièrement une autre partie de la plage : depuis mars dernier, la tempête a d'ailleurs contraint la commune à en interdire l'accès.

« Ce n'est pas une surprise, la plage est attaquée chaque année sur une encoche d'érosion au niveau de la digue, relativise Edmond Jorda. Comme il n'y a pas d'enjeu fort sur ce site, nous réfléchissons à un recul stratégique du trait de côte combiné à un projet de valorisation de la zone située derrière (1 hectare regroupant actuellement bassin de rétention, pinède, boulodrome, skate park, NDLR) qui permettrait de monter en gamme tout en incluant la transition environnementale écologique. Nous travaillons d'ailleurs avec l'Anel (Association nationale des élus des littoraux, NDLR) et le Cerema sur une préfiguration du littoral catalan à horizon 2050 et espérons que ce projet sera sélectionné comme site pilote. »

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Une plage zéro carbone à Torreilles

Non loin de là, avec ses quatre kilomètres de littoral, la commune de Torreilles a, quant à elle, perdu 30 à 40 mètres de sable en moins de quinze ans. Seule station du littoral à avoir échappé à la mission Racine (mission interministérielle d'aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon, entre 1963 et 1983), Torreilles n'a ni port, ni construction d'immeubles en front de mer, mais des espaces naturels gérés par le Conservatoire.

« Depuis une dizaine d'années, avec le soutien de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée, nous protégeons nos espaces naturels en mettant en place des encagements de la dune par des ganivelles, et les résultats sont probants, la flore se reconstitue et piège le sable, assure le maire de Torreilles, Marc Medina. Sur la plage centrale, nous avons reculé les parkings de 300 mètres et nous avons créé un cheminement naturel sur lequel la flore s'est là aussi réappropriée l'espace (coût global des travaux : 3 millions d'euros financés en partie par l'Etat, la Région et Perpignan Méditerranée, NDLR). Sur la plage nord, dont les blockhaus sont classés monuments historiques, nous réfléchissons, en collaboration avec l'association Air Climat et les services de la préfecture, à un déplacement des parkings de manière à créer une plage zéro carbone, accessible par un cheminement doux. Au sud de Torreilles, l'embouchure du Bourdigou doit régulièrement être débouché, la zone s'ensablant régulièrement. Nous avons donc lancé une étude pour savoir si l'enrochement était toujours pertinent. Enfin, pour diminuer l'impact des six concessions de plage, nous avons mené d'importants travaux de suppression du système de fosse septique et nous avons relié à la ville les réseaux d'eau et d'assainissement (300.000 euros, NDLR). »

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S'adapter plutôt que lutter contre

En visite à Torreilles en mars derniers, le ministre Christophe Béchu a annoncé avoir commencé à travailler avec les maires pour mettre en place des plans sur mesure, précisant que les documents d'urbanisme allaient être révisés. Mais le décret (N°2022-750) publié au journal officiel du 29 avril 2022 et définissant la liste des communes concernées, est loin de faire consensus chez les élus.

« Il n'y a pas de dangerosité pour Torreilles avant 2050 mais par la suite, le camping des Dunes pourrait être impacté sur sa première ligne ainsi que le Village des sables qui compte 640 habitations, indique Marc Medina. En nous inscrivant dans ce décret, nous pourrons mener des études précises avec le Cerema pour identifier les travaux à mener et leurs financements. Lors des transactions immobilières, les acheteurs potentiels seront également alertés de la situation. J'ai longtemps pensé qu'on pouvait lutter contre les éléments, je crois aujourd'hui qu'il est beaucoup plus important de savoir nous adapter en conservant au mieux nos activités économiques et touristiques. »

Qui va payer ?

De son côté, le maire de Sainte-Marie-la-Mer ne souhaite pas entrer dans le décret : « Je ne remets pas en cause l'outil et le diagnostic du Cerema mais il nous faut des moyens financiers. Or qui va payer les expulsions : la solidarité nationale, les communes, la taxe Gemapi ? Et à quel prix ? Nous sommes dans le flou total... A très court terme, quatre ou cinq immeubles de ma commune risquent d'être impactés par la montée des eaux. Cela représente un coût de 5 millions d'euros alors que j'ai un budget d'investissement de 2 millions d'euros. Je fais comment ? On me parle de relocalisation mais où ? Derrière mes plages, j'ai 5.000 résidences et 60 dents creuses dont je ne peux rien faire si elles sont classées en Plan de Prévention des Risques (PPR, ndlr). Pire, cela signifie que ma commune, qui fait de son mieux pour assurer le renouvellement urbain, générationnel et démographique, sera vitrifiée ! Il n'y a pas de solution nationale miracle. »

Un avis partagé par l'Anel qui estime nécessaire de mettre en place des dispositifs permettant aux collectivités d'adapter leur gestion en fonction des spécificités de leur territoire.

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Commentaires 2
à écrit le 21/05/2024 à 9:44
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C'est le maire de Torreilles qui a raison: la gestion en père de famille de sa commune la met à l'abri pour les 30 prochaines années. Pourtant "il avait longtemps cru pouvoir lutter contre les éléments". La raison l'emporte aujourd'hui: fort bien. A ...

à écrit le 17/05/2024 à 6:17
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Longtemps certains ont cru ( ou ont fait semblant de croire ) qu’il suffisait de déménager les bornes du D.P.M pour rendre un terrain côtier constructible. Des fortunes ont été construites sur du sable…..

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