Cliniques privées : six points pour comprendre leur colère et la menace d’une grève le 3 juin

Le 15 mai, la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) et les syndicats médicaux s’affichaient unis lors d’une conférence de presse pour rappeler qu’ils considèrent la campagne tarifaire 2024 comme une iniquité de traitement. Cette discrimination entre secteur public et secteur privé mettrait en péril la pérennité des cliniques et hôpitaux privés et celle du secteur libéral… Un coup de pression très clair alors que s’ouvrent deux journées de négociations (les dernières), les 16 et 17 mai, avec la CNAM. Et une promesse en cas d’échec : une grève très suivie à compter du 3 juin prochain. Explications.
Cécile Chaigneau
Lamine Gharbi est le président du groupe Cap Santé (18 établissements dans l'Hérault, l'Aude et le Gard) et président de la FHP.
Lamine Gharbi est le président du groupe Cap Santé (18 établissements dans l'Hérault, l'Aude et le Gard) et président de la FHP. (Crédits : DR)

« Le compte n'y est pas ! ». On pourrait ainsi résumer la position de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) et des syndicats médicaux, unis face à la presse lors d'une conférence le 15 mai, et très en colère quant aux arbitrages du gouvernement sur l'évolution des tarifs d'hospitalisation en 2024. Cette campagne tarifaire a été dévoilée le 26 mars dernier, « sans concertation avec les organisations représentatives », dénonce la FHP. Depuis, la protestation s'organise et la mobilisation grandit.

  • « Une politique discriminatoire »

Ce que dénonce la FHP : n'augmenter les financements accordés aux hôpitaux privés que de 0,3% alors que les hôpitaux publics bénéficieront de 4,3%. Soit « une évolution pour le secteur public quatorze fois supérieure à celle du privé pour les établissements de santé MCO (établissements mixtes proposant des soins de médecine et de chirurgie, ndlr) et trois fois supérieure pour les établissements de santé SMR (soins médicaux et de réadaptation, ndlr) », soulignent les professionnels de santé du secteur privé. La FHP regrette également que des financements nécessaires à l'augmentation des salaires soient accordés dans le public uniquement.

« C'est une discrimination tarifaire inédite entre public et privé », pointe Lamine Gharbi, président du groupe Cap Santé (18 établissements dans l'Hérault, l'Aude et le Gard) et président de la FHP.

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  • Conséquences : des risques sur la pérennité des établissements

Selon la FHP, la part d'hôpitaux privés en déficit est passée de 25 à 40% entre 2021 et 2023, et elle atteindra les 60% en 2024 en raison d'une « inflation non financée prévue à nouveau à 510 millions d'euros ».

« Par ses choix gravissimes, le gouvernement assume de mettre en péril les cliniques et hôpitaux privés qui représentent 35% de l'activité hospitalière avec seulement 18% des dépenses d'assurance maladie pour les établissements de santé », dénonce la FHP, qui enfonce le clou en affirmant que « ces orientations politiques participent à la désertification médicale et à une exacerbation du phénomène de médecine à deux vitesses ». 


  • « Hôpital moribond », « jeu dangereux », « qui tire les ficelles »...

Les prises de paroles des différents acteurs du secteur privé sont tranchantes...

Dr Jérôme Marty, président du syndicat de médecins UFML : « L'heure est très grave. On est en train de parler de l'éventualité de la disparition de dizaines et dizaines d'établissements à un moment où il existe des difficultés d'accès aux soins pour tous ! Le gouvernement demande au secteur privé de remplir sa mission mais ne lui en donne pas les moyens ! S'il s'imagine perfuser un hôpital public moribond avec les forces des hôpitaux privés, il se trompe ! L'hôpital public n'est pas en mesure d'assurer sa mission et encore moins celle des autres. Si on ferme les établissements privés, dans l'heure qui suit, l'hôpital public ne pourra pas faire face ! Le gouvernement joue un jeu dangereux ! ». Et il ajoute : « Ce texte conventionnel a peut être été tout ou partie écrit par Capgemini car on a pu voir que Maxime Beaucor, haut cadre chez Capgemini, est l'un des auteurs... Or Capgemini est implanté dans la santé ! S'ils sont partie prenante de la conception de ce texte, on peut penser qu'ils l'orientent vers le modèle qu'ils veulent mettre en place ! ».

Dr Philippe Cuq, président de l'UCDF (Union des chirurgiens de France), co-président de l'union Avenir Spé-Le Bloc : « Nos établissements ont besoin de plateaux techniques, de personnels qualifiés, d'innovations technologiques, pour continuer de prendre des patients en charge de façon correcte. Or quand on n'a pas de moyens, on devient moyen ! ».

Dr Patrick Gasser, président d'Avenir Spé, co-président de l'union Avenir Spé-Le Bloc : « On reste sur de vieux modèles ! ».

Dr Bertrand de Rochambeau, président du SYNGOF (syndicat des gynécologues médicaux et obstétriciens), co-président de l'union Avenir Spé-Le Bloc : « Le secteur de l'obstétrique s'effondre en silence car on manque cruellement de médecins. L'obstétrique, c'est 24 heures/24 et 7 jours/7. On ne trouve plus de médecins car cette activité n'est pas financée alors que les charges assurantielles sont monstrueuses ! Les jeunes ne veulent plus faire d'obstétrique, il n'y a plus de relais... Or l'hôpital public ne pourra pas assurer. Avant de mourir, on va le faire savoir ! Les maternités sont très motivées pour se mettre en grève et montrer ce qu'est un territoire sans maternités privées, soit 20% de l'activité au niveau national ».

Dr Sophie Bauer, présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML) : « On se demande qui tire les ficelles, nous n'avons pas l'impression que ce soit le ministère de la Santé... Le compte n'y est pas, et on nous balade ! Ils associent le système de santé à la fast-fashion ! ».

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  • Quelles revendications

Ce qu'ils demandent : au titre de l'équité de traitement, « une enveloppe complémentaire de 500 millions d'euros, par redéploiement de crédits existants, sans avoir à augmenter l'objectif national de dépenses d'assurance maladie voté par le Parlement en décembre 2023 et sans coût pour les finances publiques, ce qui correspond à la même hausse de tarifs que pour l'hôpital public ». Au titre de la visibilité des financement, « un nouvel accord de pluriannualité sur cinq ans, à mettre en place avant le 1er janvier 2025 ». Et enfin, au titre des enjeux d'attractivité de l'exercice médical, « l'octroi d'une enveloppe de 500 millions d'euros pour la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) sur les 14 milliards d'euros de révision de la CCAM datant de vingt ans ».

  • La promesse d'une grève très suivie

Six semaines après l'annonce de la tarification 2024, et à la veille des deux journées de négociation qui s'ouvrent, les 16 et 17 mai, avec la CNAM (caisse nationale d'assurance maladie), la FHP indique qu'« aucune proposition conclusive n'est annoncée à ce stade ». Alors elle se fâche et menace. Et invite les établissements de santé privés et libéraux à s'engager dans une « grève totale » à compter du 3 juin. Toutes les activités sont concernées (sauf les activités vitales comme la dialyse) : consultations externes, prises en charge en ambulatoire et en hospitalisation complète...

Lamine Gharbi fait état d'une « mobilisation de plus en plus forte des adhérents », affirmant que 80% des établissements adhérents (100% des établissements sont adhérents à la FHP) ont déjà signifié une intention de se mettre en grève le 3 juin, et il promet que les 1.030 cliniques et hôpitaux privés et les 40.000 médecins libéraux qui y exercent suivront ce mouvement de grève, paralysant l'activité du secteur.

Les menaces ne sont même pas voilées : « Entre le 15 et le 20 mai, nous allons déprogrammer les interventions prévues à partir du 3 juin de manière à ce que les 1er et 2 juin, les urgences soient transférées à l'hôpital public. Nous espérons tous que le gouvernement réagira avant cette date ! », lance le Dr Philippe Cuq.

En marge de la grève, Christine Schibler, déléguée générale de la FHP, indique que « la FHP va engager une dizaine de recours au niveau national auprès du Conseil d'Etat pour contester la tarification proposée, et plus d'un millier de recours seront déposés par les établissements pour contester les arrêtés tarifaires ».

  • « L'épreuve de force »

« Oui nous sommes dans une épreuve de force et je n'en suis pas heureux car nous avons d'autres choses à faire, en particulier soigner, mais nous tiendrons le temps qu'il faudra, promet Lamine Gharbi. Oui, il y aura des réquisitions des services d'urgence mais la radiologie sera fermée, la biologie aussi, où trouveront-ils les spécialistes pour faire le boulot ? Donc les personnels urgentistes réquisitionnés ne pourront pas garder les patients et les enverront à l'hôpital ! Dans les Bouches-du-Rhône, l'hospitalisation privée pèse pour 63% de l'offre de soins, 39% en Nouvelle-Aquitaine et plus de 50% en Occitanie. En Haute-Normandie, le privé, c'est 66% de la chirurgie et 35% des passages aux urgences.... On est essentiels donc on verra comment ça se passe sans nous. »

Le président de la FHP prévient déjà que le stand de la FHP sur le salon Santexpo, du 22 au 25 mai à Paris, sera l'occasion d'« occuper l'espace » avec des échanges nourris : « On va faire du bruit de revendication, d'autant que notre stand est en face de celui du ministère de la santé, où je vais faire du sitting ! ».

L'hospitalisation publique s'étonne

Dans un communiqué du 4 avril dernier, la Fédération hospitalière de France s'est étonnée de cet appel à la grève du secteur privé, « qui paraît en décalage complet avec la réalité des arbitrages rendus et avec les enjeux de santé publique », estime-t-elle.

« Les arbitrages rendus par le gouvernement dans le cadre de la campagne tarifaire 2024 ne favorisent en effet pas un secteur plus qu'un autre, mais répondent à des enjeux de santé publique qui s'adressent à tous les acteurs, quels que soient leurs statuts », écrit-elle.

Concernant l'écart entre l'évolution des tarifs du secteur public et ceux du secteur privé, elle estime qu'elle a trait « à la nature même de leurs activités » : « Le gouvernement a décidé d'apporter un soutien spécifique aux activités de soins palliatifs, de maternité, de greffe et de médecine. (...) Pour ces activités, tous les établissements quels qu'ils soient, publics ou privés, bénéficient de la même hausse de tarif. Ces activités sont principalement réalisées dans le secteur public, ce qui explique un effet de périmètre dans l'évolution des financements ».

Enfin, le secteur public de l'hospitalisation juge que « le choix de la FHP d'appeler à une "grève totale" à compter du 3 juin est irresponsable au regard des besoins de santé immenses de la population, qui plus est avant la période estivale qui implique une mobilisation de tous les acteurs du soin ». Rappelant que l'hôpital public, pourtant en grande difficultés budgétaires, continue d'accueillir tout le monde 7 jours/7 et 24 heures/24...

Cécile Chaigneau

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Commentaires 6
à écrit le 16/05/2024 à 11:58
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oui on ne va pas pleurer pour ramsay quand on voit le tarif des chambres ce n'est plus des cliniques c'est de l'hotellerie et de luxe quand aux soins c'est carrement la chaine il faut faire du bisness cela se resent tout de suite du fric du fri...

à écrit le 16/05/2024 à 9:56
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Ils n'ont qu'à se mettre en grève illimitée comme les tolérants de gauche donc bienveillants, ça va vite coincer, et on va entendre des cris d'indignation offensee donc de gauche, avec hurlements de requisiton et de réduction des inégalités dans le...

à écrit le 16/05/2024 à 8:32
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On s'en tape des apothicaires. comment vont nos infirmières surtout ? Et els aides soignantes.

à écrit le 15/05/2024 à 23:12
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Ce que ne dit pas l'article, c'est que les fonds d’investissements américains et australiens ont fait main basse sur une grande partie des cliniques françaises avec KKR - groupe ELSAN et Ramsay Health Care. J'invite les lecteurs à voir les cours de l...

à écrit le 15/05/2024 à 19:47
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Les Ets Hospitaliers privés se contentent de faire de la médecine selective qui rapporte. C'est pour une bonne part tiré du budget de la Sécurité Sociale qui est un bien commun et dont les deniers devraient être avant consacrés au bon fonctionnemen...

le 15/05/2024 à 23:23
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les établisssements privés sont nettement plus performants en terme de médecins alors que l'hopital est d'une rare incompétence : j'en veux pour preuve le refus total de la maladie de Lyme par le public alors que le privé vous écoute et tente de trou...

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