Effondrement du marché de l’immobilier neuf en Languedoc-Roussillon : « Le salut ne viendra pas de l’Etat mais d’initiatives privées et locales »

Alors que le volet logement du Conseil national de la refondation n’a pas délivré les mesures attendues par le secteur, notamment de la promotion immobilière, l’heure de la réinvention a sonné pour le marché de l’immobilier neuf. En Languedoc-Roussillon comme dans toutes les régions, l’effondrement des chiffres est sans appel et impose aux professionnels de repenser leurs modèles. Analyse et perspectives en trois points avec le cabinet Adéquation, expert des marchés immobiliers résidentiels.
Cécile Chaigneau
Yann Gérard, directeur national Etudes et conseil, et Clémence Peyrot, directrice régionale Occitanie chez Adéquation, cabinet expert des marchés immobiliers résidentiels.
Yann Gérard, directeur national Etudes et conseil, et Clémence Peyrot, directrice régionale Occitanie chez Adéquation, cabinet expert des marchés immobiliers résidentiels. (Crédits : Cécile Chaigneau)

Si le secteur avait entamé sa mue, la situation de crise accélère l'adaptation à laquelle la promotion immobilière est confrontée. Alors que les mesures dévoilées le 5 juin par le gouvernement sur le volet logement du Conseil national de la refondation ont déçu et inquiètent le secteur de la promotion immobilière, les chiffres du premier trimestre 2023 viennent confirmer une situation critique.

Côté opérateurs, les professionnels doivent absorber les coûts de production des logements et la résistance à la baisse des prix fonciers, alors que le ZAN qui se profile promet de rendre la production de logements plus difficile encore et que les logements ne se vendent plus. En face, chez les acquéreurs, hausse des prix, hausse des taux d'intérêt et difficulté d'accès aux crédits grippent les capacités d'achat.

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  • Des chiffres qui dégringolent

Sur le territoire du Languedoc-Roussillon, en Occitanie-est, les tendances chiffrées du premier trimestre sont sans surprise : elles s'inscrivent dans la tendance nationale, c'est à dire à la baisse. La demande reste pourtant forte mais se heurte à une réalité : la hausse des taux d'intérêt qui réduit les capacités d'emprunt des ménages et freinent les acquisitions.

En ce début d'année 2023, la crise de la demande vient ainsi percuter la crise de l'offre, avec des conséquences qui se lisent immédiatement dans les bilans : alors que les ventes avaient déjà marqué le pas en 2022 (-13% à l'échelle du Languedoc-Roussillon en 2022 vs 2021), elles se sont effondrées de -45% et les mises en vente de -60% par rapport au premier trimestre 2022.

« L'offre et les mises en vente continuent de baisser, même si deux marchés résistent : Sète et Narbonne mais sur de tout petits volumes, ce qui n'est pas significatif, et Sète va commencer à manquer d'opportunités, analyse Clémence Peyrot, directrice régionale Occitanie chez Adéquation, cabinet expert des marchés immobiliers résidentiels. La part des investisseurs diminue déjà en raison de baisse de rentabilité. C'est le même phénomène partout et par exemple, à Toulouse, qui est historiquement un marché d'investisseurs, on voit cette part devenir minoritaire. »

À l'échelle nationale comme locale, la baisse des ventes touche donc particulièrement les investisseurs locatifs, qui ne représentent plus que 45% des ventes à l'échelle du Languedoc-Roussillon (contre 55% en 2022 et 61% en 2021) et 41% à l'échelle de la région de Montpellier (contre 53% en 2022 et 62% en 2021).

En parallèle, participant aux freins à l'acquisition, les prix de vente continuent d'augmenter : +10,5% à l'échelle de la région Languedoc-Roussillon (en collectif libre hors stationnement VS le premier trimestre 2022), s'établissant à 4 710 euros/m2, et même +12% environ pour la métropole de Montpellier (5.420 euros /m2) et l'agglomération de Nîmes (4.100 euros /m2).

« Le décrochage entre les capacités budgétaires d'acquisition et les prix des logements se creuse, ne peut que constater Clémence Peyrot. Avec un taux d'intérêt à 2,5%, la différence entre le prix de vente et les capacités budgétaires locales est de plus de 50.000 euros manquants pour un T3 neuf en région (taux hors assurance, emprunt sur 22 ans, sans apport, NDLR). »

Ces constats posent « une équation aux multiples contraintes qui compliquent le marché immobilier neuf, les promoteurs ne pouvant plus les absorber par la hausse des prix », conclut Clémence Peyrot. Elle ajoute qu'en région, le retrait de programmes immobiliers faute d'équilibre financier ou faute d'acquéreurs ne sera pas majeur « mais il faudra voir à la fin de l'année, et d'ailleurs, la SERM a déjà travaillé sur les opérations de son choc de l'offre (8.000 logements en ZAC en deux ans, annoncés en février 2022, NDLR) qui auraient du mal à sortir ».

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  • Après 25 années fastes, l'effondrement ouvre une nouvelle ère

« Au niveau national, les chiffres de l'effondrement des ventes nous ont surpris, souligne Yann Gérard, directeur national Etudes et conseil chez Adéquation. Depuis 2019 on savait qu'on était sur une phase descendante mais aujourd'hui, on est sur une crise inédite depuis 25 ans, qui se rapproche de celle de 1991... Après cette phase de 25 ans d'expansion du marché de l'immobilier neuf, qui s'est beaucoup appuyé sur la vente au détail aux particuliers, qu'ils soient investisseurs ou occupants, on s'achemine vers une recomposition du marché de la promotion immobilière. »

D'autant que le Conseil national de la refondation vient de signer l'arrêt du dispositif de défiscalisation Pinel. Le dispositif était dans le collimateur du gouvernement, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire arguant le 1er juin dernier qu'« il [n'avait] pas fait la preuve de son efficacité au cours des mois passés ». Emmanuel Macron avait même affirmé qu'on avait « créé un paradis pour les investisseurs immobiliers »...

« Il existe peu d'études sérieuses sur la défiscalisation et son impact sur les marchés, sur ce que ça coûte et ce que ça rapporte, ça reste un débat ouvert, observent Yann Gérard et Clémence Peyrot. Le dispositif a soutenu la production en volumes et l'idée que ça aurait contribué à faire monter les prix reste à démontrer. Et les défenseurs du Pinel disent que ça rapporte aussi beaucoup à l'Etat... Mais le discours ambiant au gouvernement est celui d'une rente immobilière et/ou foncière qui détournerait une partie de l'argent de l'économie qu'il vaudrait mieux orienter autrement. »

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La disparition de ce type de dispositifs, qui ont porté le marché de l'investissement locatif dans l'immobilier neuf depuis le milieu des années 1980, fait partie des facteurs qui vont pousser vers un changement des modèles. Vers quoi le marché immobilier neuf pourrait-il s'orienter ?

« Vers davantage de ventes en bloc, répond Yann Gérard. Elles se sont déjà beaucoup développées sur les logements sociaux, qui aujourd'hui, sont produits pour plus de 60% par les promoteurs. Mais elles vont aussi augmenter sur les résidences services seniors ou étudiants, et c'est probablement ce qui va le mieux résister, sur les logements locatifs intermédiaires qui sont essentiellement portés par la Caisse des Dépôts et Action Logement, avec l'idée de compenser la disparition du Pinel et ainsi continuer à créer un parc locatif abordable porté par des investisseurs institutionnels. »

Sur ce dernier point, Clémence Peyrot alerte : « Le gouvernement mise sur le principe des vases communicants mais cela pose la question du volume car les investisseurs institutionnels ne pourront pas financer autant de logements que les promoteurs, et il n'est pas sûr que l'on trouve les 17.000 et 30.000 logements que sont censés racheter la Caisse des Dépôts et Action Logement ».

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  • Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

Selon Yann Gérard, « les prix restent orientés à la hausse mais ça ne devrait normalement pas durer », même s'ils résistent en raison des contraintes environnementales imposées et du coût des matériaux à la hausse. Quant aux taux d'intérêt, « on les voit mal rebaisser », pronostique-t-il.

Autre interrogation : que vont faire les marchés sans dispositif de défiscalisation ?

« Aujourd'hui, on ne sait pas comment un marché réagit sans dispositif de défiscalisation, répond Yann Gérard. C'est pour ça qu'on imagine une augmentation des ventes en bloc aux investisseurs institutionnels. Beaucoup de promoteurs sont catastrophés, mais certains qui disent qu'il faut saisir l'opportunité de changement ».

Clémence Peyrot se veut à la fois rassurante et réaliste : « Le monde de la promotion immobilière a toujours su s'adapter. Mais à l'inverse de la crise du Covid, il n'y aura pas de retour à la normale... Et le salut ne viendra pas de l'Etat, car il ne propose pas de réponse suffisamment impactante. Il viendra des initiatives privées et locales, de la part des promoteurs, des bailleurs sociaux et des collectivités. La mutation de la filière de promotion immobilière devra s'accélérer pour répondre à un défi dans ce contexte de crise, celui de son modèle économique ».

Les deux experts imaginent trois pistes pour repenser le développement du logement neuf. Produire davantage sur l'existant, notamment en réhabilitation ou sur des friches et des entrées de ville. Clémence Peyrot rappelle ainsi que « CDC Habitat et le Groupe Frey travaillent sur les entrées de villes avec un potentiel de 55.000 ha en France à terme ». Les réserves foncières parapubliques devront également être rapidement libérées.

Deuxième piste : la diversification des modèles et des produits.

« L'émergence de produits comme le BRS (bail réel solidaire, NDLR) peuvent contribuer à favoriser la solvabilité des ménages, et les collectivités comme Montpellier vont devoir réfléchir à l'imposer davantage dans les opérations, comme c'est déjà le cas à Lyon, suggère Clémence Peyrot. La promotion immobilière va devoir aussi expérimenter des montages hybrides pour l'accession à la propriété, comme le leasing et l'emphytéose "privée" qui sont des outils de démembrement foncier, même si ce sont des modèles qui vont encore à l'encontre de notre mode de pensée française de propriétaires... En région, on voit que le groupe Promeo se diversifie avec sa filiale CEZAME (location-accession en logement libre à prix maîtrisés, NDLR). Enfin, sur l'action publique, il va falloir travailler la réhabilitation de l'existant et les passoires énergétiques, mais il y a encore des modèles à inventer, notamment sur la maîtrise foncière avec des dispositifs comme les baux à construction (construction d'un bâtiment sur un terrain qui reste la propriété du bailleur, collectivité ou autre, NDLR) sur les ZAC. Aujourd'hui, tous les aménageurs y réfléchissent car cela permet de faire baisser le prix d'un logement, mais cela suppose pour une collectivité d'appréhender différemment sa gestion financière en matière de politiques foncières. »

Quant à la transformation des bureaux en logements, « ça marche pas mal en Ile-de-France, mais dans les métropoles régionales comme celle de Montpellier, on n'y arrivera pas de suite dans des volumes massifs », assure Clémence Peyrot.

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Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 09/06/2023 à 19:27
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Le problème majeur est qu'avec la dépense publique, l'immobilier surévalué est un des péchés mignons des Français et on est arrivé à un degré d'addiction tel qu'un sevrage pourrait engendrer une crise systémique...

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