95 milliards de dollars en 45 ans : les coûts économiques gigantesques des moustiques

INTERVIEW - Une équipe de scientifiques de l’IRD Montpellier a mené une étude internationale portant sur l’augmentation exponentielle du coût économique de deux espèces de moustiques invasives. Le montant mondial est estimé à 94,7 milliards de dollars entre 1975 et 2020… Alors qu’un cas autochtone de dengue vient d’être signalé dans l’Hérault, le premier de l’année en France métropolitaine, les auteurs plaident pour la mise en place de stratégies de gestion préventive. Explications de David Roiz, chercheur à l'IRD.
Une étude internationale révèle l'augmentation massive du coût économique mondial associé à deux espèces invasives de moustiques, dont le moustique tigre (photo).
Une étude internationale révèle l'augmentation massive du coût économique mondial associé à deux espèces invasives de moustiques, dont le moustique tigre (photo). (Crédits : JB_Ferre / EID Méditerranée)

Un cas autochtone de dengue vient d'être signalé dans l'Hérault, le premier de l'année en France métropolitaine. La saison des moustiques est ouverte...

Coordonnée par des scientifiques de l'IRD Montpellier, du CNRS et du Musée National d'Histoire Naturelle, une étude internationale révèle l'augmentation massive du coût économique mondial associé à deux espèces invasives de moustiques (dont le moustique tigre) vecteurs notamment de la dengue, du chikungunya et du virus Zika.

LA TRIBUNE - Comment est né ce projet sur le coût économique des moustiques ?

David ROIZ, chercheur à l'IRD Montpellier en écologie et épidémiologie des maladies émergentes transmises par les moustiques - Déjà en 2014, l'écologue Franck Courchamp avait travaillé sur les coûts économiques des espèces invasives - plantes et insectes - et publié un rapport. Etant spécialisé dans les maladies émergentes transmises par les moustiques, j'ai moi-même développé plusieurs approches intégrées ainsi que des stratégies de prévention, notamment pour le ministère de la Santé. En 2020, l'entomologiste Frédéric Simard, directeur de recherche IRD, a formé une équipe pluridisciplinaire composée d'écologues, d'épidémiologues et d'économistes, soit une dizaine de personnes, pour mener une étude qui serait fondée sur les coûts associés à deux espèces invasives de moustiques : l'Aedes aegypti, notamment connu pour transmettre la dengue et la fièvre jaune, et l'Aedes albopictus, communément appelé moustique tigre et vecteur de la dengue, du chikungunya et du virus Zika.

Votre étude révèle qu'entre 1975 et 2020, le total des coûts économiques recensés s'élève à 94,7 milliards de dollars. Qu'englobe exactement ce montant et sur quelle base vous êtes-vous appuyé ?

Dans cette étude, qui porte sur 166 pays et territoires d'outre-mer, nous avons analysé plus de 2.000 articles, publications scientifiques, documents officiels et rapports sanitaires pouvant caractériser les dépenses engendrées par ces moustiques et les pathologies associées. Sur les 94,7 milliards de dollars (590 millions en France dont 33 millions en métropole, NDLR), 90% des dépenses sont inhérentes à des frais médicaux directs, à savoir les frais de diagnostic, les traitements, l'hospitalisation, etc., et aux différents manques à gagner comme la perte de productivité ou le ralentissement de l'activité touristique en période d'épidémie. Seulement 10% de ces coûts sont liés aux dépenses engagées dans la gestion des vecteurs envahissants.

Si on ajoute les séquelles engendrées par ces maladies, la facture s'envole à 318 milliards de dollars !

Depuis 50 ans, la situation s'est-elle dégradée ?

Les maladies sont en pleine expansion et les flambées épidémiques de plus en plus fréquentes. Au Brésil, par exemple, l'épidémie de dengue a touché récemment plus de six millions de personnes. On estime que depuis 1995, en raison de l'émergence du chikungunya, les coûts économiques ont été multipliés par 14 ! L'augmentation est exponentielle et les chiffres sont sous-estimés. En effet, les coûts déclarés ne représentent qu'une partie du fardeau réel des pathologies transmises par les deux espèces. Au même titre qu'un Covid long, les séquelles engendrées par ces maladies, comme par exemple des maladies neurologiques chez les adultes infectés du Zika ou des anomalies cérébrales chez des nourrissons, ne sont pas prises en compte. Si on les ajoute, la facture s'envole à 318 milliards de dollars !

Quels sont les vecteurs de prolifération de ces espèces ?

Ces espèces invasives viennent d'Afrique et d'Asie, c'est tout le paradigme de la mondialisation. Ces invasions biologiques sont favorisées par un facteur d'introduction : les voyages, les transports de marchandises, l'urbanisation, la déforestation... A cela s'ajoute un facteur de dispersion, accéléré par les effets du changement climatique, avec des hivers moins rudes et des vagues de chaleur qui favorisent la croissance des larves. Dans les décennies à venir, les maladies associées aux Aedes devraient s'intensifier. Avec des symptômes plus ou moins graves, et des séquelles plus ou moins longues.

Un cas de dengue vient d'être signalé à Pérols (Hérault) alors que la personne contaminée ne s'était pas rendue dans une zone à risque...

Ce cas est dit « autochtone » car la personne a contracté la maladie sans avoir voyagé. En 2023, sur l'ensemble de la saison de surveillance du moustique tigre, 65 cas de dengue dont 22 autochtones ont été signalés en Occitanie. La région est d'ailleurs l'une des plus touchées avec la région PACA. Le marché public de l'Agence régionale de santé en Occitanie a consacré l'an dernier plus de 600.000 euros à la lutte anti vectorielle et à la surveillance entomologique.

Les investissements dédiés à la prévention et à la gestion de ce risque sanitaire émergent ont très peu évolué.

Face à ces coûts mésestimés et en pleine explosion, quelles sont vos préconisations ?

L'anticipation et la prévention. Il est indispensable qu'il y ait une stratégie intégrée des gestions. Or les investissements dédiés à la prévention et à la gestion de ce risque sanitaire émergent ont très peu évolué. Notre rapport vise à permettre aux décideurs de se positionner pour éviter des impacts plus larges. Des études de « coût-efficacité » couplées à des analyses d'acceptabilité sociale pourraient permettre d'orienter les décisions pour combiner les méthodes et outils les mieux adaptés au contexte social.

Quelles sont les pistes en matière de prévention ?

Surveillance, lutte antivectorielle, communication, sensibilisation sur des gestes simples comme éviter les stagnations d'eau et les insecticides, développement de vaccins, innovations technologiques... Les leviers sont nombreux. A Montpellier par exemple, la startup Terratis a développé la technique très éco-friendly de l'insecte stérile, le principe étant de relâcher chaque semaine des mâles stérilisés pour limiter la prolifération des femelles sauvages. C'est une belle alternative aux pesticides... Seuls des changements sociétaux, une collaboration internationale et la mise en œuvre d'actions de prévention efficaces et durables permettront de limiter ces invasions et d'en réduire les coûts. Participation citoyenne, actions gouvernementale, recherche... Tout le monde a son rôle à jouer.

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Commentaires 3
à écrit le 19/07/2024 à 6:42
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La DDT finissait par n'avoir aucune efficacité, les moustiques ont une capacité d'adaptation à tout ces poisons sans commune mesure, il faudrait savoir de quoi on parle surtout hein.

à écrit le 17/07/2024 à 20:18
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"95 milliards de dollars en 45 ans : les coûts économiques gigantesques des moustiques" Et ~3 000 Mds d'euros de dette publique pour les ponctionnaires français... IRD et autres comités Théodule compris.

à écrit le 17/07/2024 à 15:09
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Il ne fallait peut-être pas interdire le DDT, après tout. La bonne conscience écolo, ça finit par coûter bonbon.

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