« Il faudrait adapter le code du travail aux nouvelles réalités » (Benoit Serre, ANDRH)

INTERVIEW – Après deux longues années de crise sanitaire, qui aura largement bouleversé les organisations des entreprises, le « futur du travail » est une notion désormais très scrutée. Télétravail, mode hybride, management revisité, temps de travail, dialogue social, recrutements, etc. Les questions ne manquent pas. Benoit Serre, DRH de L’Oréal, était à Montpellier le 8 mars, avec sa casquette de vice-président délégué de l’ANDRH, pour faire un état des lieux.
Cécile Chaigneau
Benoit Serre, DRH de L'Oréal, est aussi le vice-président délégué de l’ANDRH.
Benoit Serre, DRH de L'Oréal, est aussi le vice-président délégué de l’ANDRH. (Crédits : L'Oréal)

Télétravail, organisation hybride des entreprises, digitalisation et impacts sur les RH, pénuries de main d'œuvre, dialogue social, qualité de vie au travail... Depuis la crise sanitaire, qui aura profondément bouleversé les organisations du travail, ces sujets sont sur le devant de la scène entrepreneuriale. Ils étaient au cœur de la conférence qu'est venu donner Benoit Serre, DRH de L'Oréal France, le 8 mars à Montpellier Business School, en tant que vice-président délégué de l'ANDRH (5.000 adhérents), invité par le Medef Hérault et l'association Entreprendre.

LA TRIBUNE - Comment le groupe L'Oréal (90.000 salariés dans le monde, dont 14.000 en France) s'est-il adapté à la crise sanitaire ?

Benoit SERRE - Deux ans qu'on est sous protocole sanitaire (soupire le DRH, soulignant silencieusement le casse-tête managérial qu'a constitué cette période, NDLR). L'Oréal a signé un accord en octobre 2020, prévoyant jusqu'à deux jours de télétravail pour ceux qui le peuvent, soit environ 50% des salariés, et ça marche plutôt bien puisque 98% de ces salariés l'ont signé. Nous avons acté que nous étions entrés dans un monde hybride durablement, et nous avons mis en place des règles de fonctionnement pour ce mode hybride car il n'y a pas seulement la question du télétravail. Par exemple, L'Oréal impose de ne pas faire d'entretien annuel ou de ne pas tenir de comité de direction à distance. Pour adapter les modes de management, le groupe a monté une formation pour équilibrer le management distanciel/présentiel et nous avons formé 100% des managers en un an et demi... Le pari que je fais, c'est que les entreprises vont être contraintes de s'adapter à ce mode hybride.

Que va-t-il advenir du télétravail, réhabilité par la crise sanitaire ?

A l'ANDRH, nous pensons que l'extension du télétravail ne viendra pas du nombre de jours mais du nombre de postes, et c'est déjà le cas aujourd'hui. Les entreprises ont réorganisé leurs métiers pour les rendre accessibles au télétravail car c'est souhaité par les salariés et c'est devenu un élément d'attractivité. Aujourd'hui, 80% des DRH estiment qu'on ne reviendra pas en arrière. C'est une rupture.

Cet avènement du télétravail pourrait-il poser des problèmes auxquels nous n'avons pas encore été confrontés ?

Lors des entretiens d'embauche, les candidats le réclament. Ça pourrait poser des problèmes, oui, car demain, on risque d'avoir un défaut d'attractivité des métiers sans télétravail, ce qui générera des problèmes de mobilité. L'autre difficulté que nous anticipons, et de ce point de vue nous avons mangé notre pain blanc, c'est que dans quelques années, des candidats arriveront avec des exigences sur le nombre de jours en télétravail, sur une flexibilité. Il faudra alors une adaptation à l'individuation de la relation employeur-employé. Les entreprises ont la responsabilité d'organiser ces nouvelles formes de travail et il y aura immanquablement des innovations... Parmi les questions que pose le télétravail, comme les frais de transport ou la comptabilisation du temps de travail, il y a aussi celle du lien de subordination employeurs-employé qui est aujourd'hui un peu old school. Il faut réfléchir comment le transformer en lien de coopération, d'autant que les nouvelles générations ne supportent plus les relations hiérarchiques pyramidales.

Quid du temps de travail en télétravail, puisque vous dites que c'est une question ?

Au début, la productivité augmentait légèrement. Et on a pu observer que ceux qui ne travaillaient pas au bureau ne travaillent pas plus chez eux, l'inverse étant exact aussi. Au premier confinement, tout le monde trouvait le télétravail formidable mais on a vite vu que ça déréglait la vie des gens, certains managers considérant que les gens étaient corvéables à merci, tôt le matin ou tard le soir. L'ANDRH n'est pas favorable à des règles globales mais plutôt que ça se gère à l'échelle de l'entreprise. C'est d'ailleurs une autre leçon de la crise : jamais le dialogue social n'a été aussi riche et pertinent car cela se passait à l'échelle de l'entreprise. Les partenaires sociaux poussent beaucoup pour un accord sur le télétravail, pourquoi pas, mais il faut que ça reste une liberté du salarié et une responsabilité de l'entreprise de le rendre possible là où c'est possible.

Dans certaines entreprises, le télétravail n'est en effet pas possible pour tous les postes et cela risque de faire émerger une nouvelle opposition cols blancs / cols bleus...

Il y a, en effet, une réflexion à mener sur les métiers télétravaillables ou non. Certaines entreprises commencent à réorganiser certains métiers pour donner accès au télétravail à des gens pour lesquels ce n'est pas naturel, par exemple les hôtesses de caisse dont une partie de leur mission, des tâches administratives, peut se concentrer sur une journée en télétravail. Dans les entreprises de transport, 95% des salariés ne peuvent pas télétravailler, donc le télétravail n'est instauré pour personne pour maintenir une équité. La dose de télétravail est très dépendante du métier mais aussi de l'organisation de l'entreprise.

Quels effets positifs produit le mode de travail hybride ?

Globalement, la crise a accéléré l'engagement environnemental de l'entreprise, sa responsabilité sociale vis à vis de ses salariés, sur leur santé, sur les environnements de travail, et a mis en lumière le fait que l'entreprise n'a pas que le profit comme objectif... Quant au mode de travail hybride, il a modifié le management très présentéiste qui fonctionne moins bien désormais, notamment pour le manager classique qui tient son pouvoir du fait d'avoir son équipe autour de lui. Au début, il y a eu beaucoup d'offres de formation sur management à distance, mais attention, il ne faudrait pas en arriver à mettre en place un management à distance et un autre en présentiel car il y en aura forcément un qui sera moins bien perçu que l'autre. La question managériale va être beaucoup interrogée, mais les évolutions vont être longues. Ce qui est intéressant, c'est qu'on a découvert que des managers jusqu'alors discrets se sont révélés excellents en distantiel, avec une vraie capacité à maintenir un lien avec leurs équipes... Autre avantage : le télétravail étend la zone de chalandise de recrutement mais cela peut aussi devenir un danger car les salariés qui habitent loin de l'entreprises ont tendance à imposer leurs jours de télétravail, et cela peut aussi donner envie à des salariés de déménager. Or je rappelle que l'employeur doit payer 50% des frais professionnels. C'est la raison pour laquelle nous appelons les pouvoirs publics à adapter le code du travail à ces nouvelles réalités pour tenir compte du fait que 40% des salariés sont dans ce modèle hybride. Le Medef a fait des propositions sur lesquelles l'ANDRH est alignée, mais nous sommes inquiets qu'aucun des candidats à la présidentielle ne s'en saisisse...

La crise sanitaire aura-t-elle un effet durable sur les modes de recrutements ?

Oui, on a observé des changement, mais pas dans le sens imaginé... Avant, on se demandait si l'intelligence artificielle allait remplacer les recruteurs. La crise a montré ses limites et a redonné la place à la dimension humaine directe. L'IA, le matching, la data peuvent gérer tout ce qui relève de la compétence, mais ne permettent pas de dire si deux personnes ont envie de travailler ensemble ! L'avantage, c'est qu'aujourd'hui encore plus qu'avant, vous pouvez candidatez depuis l'autre bout du monde, la localisation a moins d'importance. Ce qui pourrait arriver, c'est que sur certains métiers rares, les nouvelles générations préfèrent se mettre en prestataire qu'en salarié pour garder leur liberté... On sait que certains métiers vont disparaître et d'autres émerger, et c'est déjà le cas, accéléré par la crise sanitaire. La question, c'est quel sera le solde net de tout ça et comment permettre aux salariés de rester employables ? Les investissements formation/compétences et le lien avec les écoles sont primordiaux si on ne veut pas faire des générations de chômeurs !

La crise sanitaire a-t-elle déjà un impact sur la politique immobilière des entreprises ?

Nous sortirons une enquête vendredi qui montre qu'il n'y a pas de réduction des surfaces comme on s'y était attendu, mais des adaptations de locaux aux nouvelles formes de travail, plus collaboratifs, pour donner envie aux salariés de revenir au bureau et collaborer.

Cécile Chaigneau

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