La Chambre régionale des comptes met La Grande Motte en garde sur les questions environnementales

Si la Chambre régionale des comptes salue, dans son dernier rapport, la situation financière très favorable de la station balnéaire de La Grande Motte, elle pointe un investissement insuffisant de la Ville au profit de l’adaptation de son territoire au changement climatique, notamment autour de l’extension du port ou de l’exploitation des plages par les paillottes. L’illustration même d’une conciliation difficile des enjeux environnementaux et économiques…
Cécile Chaigneau
La Grande-Motte fait partie des huit stations balnéaires et des vingt ports de plaisance imaginés par la mission Racine au début des années 1960 afin de donner un destin touristique au territoire.
La Grande-Motte fait partie des huit stations balnéaires et des vingt ports de plaisance imaginés par la mission Racine au début des années 1960 afin de donner un destin touristique au territoire. (Crédits : Leclercq Associés)

« Une commune qui bénéficie d'une implantation privilégiée mais qui doit en tirer les conséquences patrimoniales et environnementales. »

C'est l'esprit du rapport sur le contrôle des comptes et de la gestion de la commune de La Grande Motte (Hérault) sur les exercices 2017 et suivants, rendu public par la Chambre régionale des comptes (CRC) le 28 juin. Un contrôle qui s'inscrit dans le cadre d'une enquête sur l'aménagement du littoral en Occitanie.

La Grande-Motte fait partie des huit stations balnéaires et des vingt ports de plaisance imaginés par la mission Racine au début des années 1960 afin de donner un destin touristique au territoire. Un objectif atteint puisque la commune, qui compte un peu plus de 8.600 habitants, voit sa population décuplée en été. Labellisée "Patrimoine du XXème siècle" et protégée au titre de ses espaces naturels, la commune est pourtant particulièrement exposée, avec 81% de son territoire qui est soumis à un risque important d'inondation et de submersion. Le littoral, les plages ainsi que le port sont ainsi situés en zone rouge déferlement...

« Les obligations que la préservation de ses espaces suscitent doivent l'inciter à diversifier ses investissements pour concilier la défense de son environnement avec ses aspirations de croissance, synthétise la CRC. Son patrimoine immobilier est vieillissant et le diagnostic réalisé par l'Office national des forêts sur l'état des arbres n'a pas été suivi. La commune a privilégié d'investir dans la mise en valeur de son front de mer. Sa très bonne situation financière lui laisse pourtant disposer de marges de manœuvre importantes qui rendent possible la réalisation d'un programme de remise en état de l'ensemble de son patrimoine au-delà des seuls projets nouveaux. »

Sur le volet financier, le rapport fait en effet état de « charges de personnel contenues », d'une « capacité d'autofinancement importante » (+86,8 % entre 2017 et 2020, -30,5% en 2021 en raison de la crise sanitaire, +6,7% de moyenne annuelle sur la période), d'un « faible ratio de désendettement » (capacité à rembourser ses emprunts de 2,7 années en 2021 contre 3 en 2017), et de « réserves financières abondantes ».

Paillotes et espaces naturels remarquables

La station balnéaire, âgée de 53 ans, semble illustrer une difficile conciliation des enjeux environnementaux et économiques. Sont notamment pointés du doigt le maintien d'activités économiques sur les plages du Grand Travers, qui se heurte aux règles de protection de ces espaces classés parmi les espaces naturels remarquables, et l'ambitieux projet d'extension du port qui n'a pas fait l'objet d'une mesure des impacts environnementaux sur les principaux sites faunistiques et floristiques.

La CRC rappelle que les recettes liées à l'occupation du domaine public représentent 2,5 millions d'euros en 2019 pour le budget principal (un montant qui s'est ensuite réduit avec la crise sanitaire), notamment par la signature de conventions d'exploitation liées à la concession des plages naturelles conclue avec l'État (868.000 euros) et par des conventions d'occupation temporaire plus ou moins longues, principalement en front de mer.

Outre un traitement des concessionnaires de plage qu'elle qualifie de « bienveillant » (voir encadré) et une procédure d'attribution des paillotes qui, selon elle, « a manqué de transparence et de précision », l'institution pointe l'impact environnemental de cette activité.

« Le conservatoire du littoral possède la propriété et la gestion du lido, explique la CRC dans son rapport. Une partie de sa plage est située sur le site du Grand Travers hors espace urbanisé. [Les plages du Grand Travers] ont été classées comme espaces remarquables par le SCoT du Pays de l'Or. La possibilité de construction d'infrastructures même légères et démontables sur ces sites est en conséquence limitée. Or ces plages font chaque année l'objet d'aménagements réalisés dans le cadre des concessions de plage accordées par la commune. (...) Les permis de construire accordés aux exploitants des plages du Grand Travers (quatre lots sont concernés) ont une validité maximale de cinq ans, soit jusqu'en 2022. Leurs concessions s'achevaient théoriquement en 2023 mais ont été prolongées d'un an par une délibération du conseil municipal pour tenir compte de la crise sanitaire, soit 2024. En l'état actuel du droit, ces permis de construire ne devraient pas être renouvelés pour les deux dernières années de la concession. La commune, associée avec d'autres communes du littoral, souhaite faire évoluer la loi dans un sens qui permette le maintien de ces aménagements. Ensemble, elles ont engagé un travail de persuasion du gouvernement qui a conduit à la désignation d'une mission spécifique menée par le préfet Thierry Leleu. Son rapport rendu début février 2023 préconise un déplacement des établissements situés dans les espaces remarquables du littoral vers les plages urbaines. »

Le maire, lui, répond "impératif économique" : les paillotes sont pourvoyeuses d'emplois et font travailler les criées régionales pour mettre des produits frais au menu. A la sortie du rapport Leleu, il avait lancé l'étude "4 Saisons" portant sur l'impact des plages privées implantées dans des espaces naturels remarquables et dont les résultats devraient être délivrés au printemps 2024.

Projet de ville-port : quel impact environnemental ?

Quant à l'extension du port, c'est un objectif stratégique pour la commune. Elle prévoit notamment de créer deux bassins supplémentaires, 400 nouveaux anneaux, 480 logements ou encore d'un vaste parking aérien en entrée de ville.

L'institution de contrôle rappelle que « l'originalité du projet consiste à prévoir de s'étendre pour partie sur la mer, à rebours des politiques publiques qui incitent à anticiper le recul du trait de côte compte tenu du phénomène d'érosion et d'élévation du niveau de la mer. La digue serait déplacée plus à l'ouest, empiétant sur la mer et une partie de la plage. La zone technique, située à l'arrière du port, serait déplacée et reconstruite dans le port afin de libérer de l'espace constructible en arrière du littoral ».

Dans la perspective de ce projet ville-port, les prescriptions de la zone rouge déferlement du PPRI ont été assouplies par un arrêté du préfet du 9 décembre 2021. Une modification contestée par une association opposée au projet au titre du risque d'inondation, de submersion et d'élévation du niveau de la mer, et une critique également faite par l'autorité environnementale qui considère que ce projet « ne tient pas compte des toutes dernières prévisions du GIEC qui montrent une accélération et qui prévoient pour la Méditerranée une élévation de 15 à 33 centimètres d'ici 2050 et de 60 centimètres à 1,1 mètre d'ici 2100 ».

Par ailleurs, l'étude d'impact environnemental du projet ville-port, déposée auprès de la DREAL fin 2021, a entraîné la demande d'études complémentaires, notamment sur la stratégie régionale de gestion intégrée du trait de côte, de la qualité des eaux et des impacts sur les milieux marins. En janvier 2023, le Conseil national de la protection de la nature a rendu un avis défavorable sur la demande de dérogation portant sur 47 espèces protégées, estimant ne pas avoir « toutes les réponses à ses questions pour pouvoir évaluer réellement les risques d'un tel aménagement sur les espèces protégées et leurs habitats qu'il impacte dans sa phase construction, mais également dans sa phase fonctionnement ».

Au-delà d'un « projet au montage complexe et incertain », « d'un coût estimé de 117 millions d'euros, très certainement sous-estimé », la CRC souligne également que « les études menées à ce jour par la commune n'ont pas mis en évidence d'impact du projet ville-port sur ces milieux » alors que La Grande-Motte est concernée par une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) et par deux zones de protection spéciale (ZPS) en mer.

Sollicité par la rédaction pour réagir à ce rapport sur ces questions environnementales, Stéphan Rossignol n'a pas donné suite.

Un traitement (trop) bienveillant des exploitants de paillotes

La CRC a estimé que les exploitants des concessions de plage, attribuées en délégation de service public, bénéficient d'un « traitement bienveillant » de la part de la commune quant aux conditions de règlement des redevances, plusieurs d'entre eux ne les ayant pas réglé dans les délais impartis, sans pénalités. Dans sa réponse, la commune précise avoir, durant la crise sanitaire du Covid, « soutenu les exploitants des établissements de plage en difficulté durant une période de fermeture administrative ou de baisse d'activité qui aurait pu leur être fatale » et indique qu'elle n'a pas cherché à « infliger de manière systématique, dès le début de la saison, des pénalités de retard à ceux d'entre eux qui rencontraient des problèmes de liquidités ».

« J'ai adopté la même philosophie pour les plagistes qu'envers tous les autres commerçants et mon action a suivi la même logique utilisée par les autorités politiques locales et nationales pendant cette période », se défend le maire (LR) Stéphan Rossignol.

Suite à la crise sanitaire, la commune leur a accordé des mesures exceptionnelles d'exonération des droits d'occupation du domaine public, représentant en 2020 et 2021 87% et 50% des redevances attendues, soit un montant cumulé de 1,2 millions d'euros. La CRC relève que ce régime d'exonération transitoire s'est avéré « excessivement favorable » aux exploitants, en particulier sur les plus grands lots, d'autant que les difficultés économiques attendues n'ont pas été constatées. La commune évoque, en réponse, sa « volonté de préserver cet outil économique et touristique essentiel à la vie de la station »...

« S'il est vrai que pendant la période de crise sanitaire, les contrôles n'ont pu être effectués par manque de moyens humains, il s'agissait d'une situation inédite et non transposable à une période normale, répond Stéphan Rossignol. la Ville entend renforcer ses contrôles en reprenant dès 2023 le rythme initial de deux contrôles par saison. »

Cécile Chaigneau

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