Marché de l’électricité : le Doyen de l’Université de Montpellier préconise de « revenir à un mode de gestion plus centralisé »

ENTRETIEN - Doyen de la faculté d’économie à l’Université de Montpellier, le Pr François Mirabel est également l’auteur de "La déréglementation des marchés de l'électricité et du gaz : les grands enjeux économiques". Il analyse d’un œil critique les réformes successives des modes de tarification de l’énergie.
Le Pr François Mirabel, Doyen de la faculté d'économie à l'Université de Montpellier.
Le Pr François Mirabel, Doyen de la faculté d'économie à l'Université de Montpellier. (Crédits : DR)

Le Pr François Mirabel, Doyen de la faculté d'économie à l'Université de Montpellier, est l'auteur de La déréglementation des marchés de l'électricité et du gaz : les grands enjeux économiques (Editions Presse des Mines), actuellement en cours de mise à jour.

LA TRIBUNE - La crise conjoncturelle liée à la guerre en Ukraine ou la maintenance du parc nucléaire français expliquent-elles, à elles seules, la flambée des prix de l'électricité ?
François MIRABEL - On ne peut le nier, la conjoncture liée à la guerre et à certaines obligations industrielles explique, en partie, la hausse du coût de l'électricité. Cependant, il existe des raisons plus structurelles. Elles sont liées à la manière dont le marché a été libéralisé en 2000, suite à la transposition d'une directive européenne datant de 1998. L'électricité est un service public, comme la téléphonie. Or, si la libéralisation des télécoms a eu du bon pour le consommateur, avec des baisses importantes de prix, il n'en est pas de même pour l'électricité. Certaines caractéristiques ont rendu la concurrence difficile, EDF disposant d'un avantage concurrentiel, notamment du fait de ses capacités de production nucléaire. Dans ce contexte, pour permettre à de nouveaux entrants de pénétrer le marché de la fourniture où "l'opérateur historique" avait le monopole, les mécanismes de détermination du tarif de l'électricité ont été partiellement et progressivement décorrélés du coût de production pour coller plutôt aux prix de marché à un instant T, en fonction de l'offre et de la demande. Les prix font ainsi le yoyo d'une heure à l'autre de la journée sans aucun lien avec les coûts réels de production... On a multiplié les centres de profits de manière artificielle sans aucun sens économique. Cela relève du dogme imposé initialement par l'article 90 §2 du Traité de Rome* (Traité fondateur de l'Union européenne, NDLR) en 1957.

Malgré tout, la France voit la hausse des prix limitée pour les particuliers et les TPE/PME. Pourquoi ?

C'est parce que l'État a mis en place un bouclier tarifaire pour tous les tarifs règlementés de vente (tarifs bleu, NDLR), qui ne concernent aujourd'hui plus que les petites entreprises et les particuliers. Le financement de ce bouclier coûte très cher à l'État mais il ne s'applique pas aux ETI et aux grands groupes qui payent leur électricité sur la base unique des prix de marché.
Comment revenir à plus de cohérence ?

Souvenons-nous qu'EDF a été créée en 1946 car il existait à l'époque un très grand nombre de compagnies électriques qu'on avait du mal à faire fonctionner de façon coordonnée... Or, nous sommes aujourd'hui contraints par le choix politique de la concurrence. Il faudrait à mon sens revenir à un mode de gestion plus centralisé de l'électricité dans chaque pays d'Europe en adoptant un tarif calé sur les coûts moyens de production, et non sur le dernier MWh produit comme c'est le cas actuellement. En cas de forte demande, puisque les réseaux européens sont couplés et coordonnés, on pourrait ainsi solliciter en priorité les centrales les moins polluantes et offrant le meilleur rendement au détriment des centrales d'appoints au fuel, gaz ou charbon que chacun active aujourd'hui de son côté, ce qui fait flamber les prix.

Un retour au monopole constituerait-il selon vous une bonne solution ?

Ce serait hypocrite de présenter les choses ainsi car les traités européens ne le permettent pas. En fait, on a pensé la concurrence avant de penser une politique européenne de l'énergie. On en paye aujourd'hui le prix.

Quelle alternative plausible à la situation actuelle peut-on envisager ?

Il faudrait, à mon sens, qu'un acheteur unique, par pays, propose un tarif d'achat long terme aux producteurs. C'est ce qui est pratiqué par la Commission de régulation de l'énergie (CRE, ndlr) pour les énergies renouvelables. Pourquoi n'est-ce pas le cas pour d'autres ressources ? Ce choix de centralisation a, par exemple, été fait par la Grande-Bretagne lors de sa commande à EDF d'un EPR à Hinkley Point. Le Royaume-Uni a sécurisé son tarif d'approvisionnement pour une durée de 35 ans ! Ce peut être un modèle inspirant...

« Les entreprises chargées de la gestion de service d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent Traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limitée où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. »

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