Font-Romeu/Pyrénées 2000 : une saison (d’hiver) en enfer ?

Le 26 novembre, Jean Castex annonce que les stations de sports d’hiver pourront rouvrir à Noël mais que les remontées mécaniques resteront fermées. A la station de Font-Romeu/Pyrénées 2000, dans les Pyrénées-Orientales, c’est la consternation. Décryptage d’un modèle économique fragile.
Cécile Chaigneau
La station de sports d'hiver de Font-Romeu/Pyrénées 2000 craint un manque à gagner de 30 à 35% de chiffre d'affaires si elle n'ouvre qu'en janvier 2021.
La station de sports d'hiver de Font-Romeu/Pyrénées 2000 craint un manque à gagner de 30 à 35% de chiffre d'affaires si elle n'ouvre qu'en janvier 2021. (Crédits : Office de tourisme Font-Romeu)

Ils étaient prêts et espéraient ouvrir début décembre. Le 24 novembre, le Président de la République Emmanuel Macron a douché leurs espoirs. Les stations de sports d'hiver pourraient ne pas rouvrir avant janvier.

« Il me semble impossible d'envisager une ouverture pour les fêtes et bien préférable de privilégier une réouverture courant janvier dans de bonnes conditions, a ainsi déclaré le Président. Nous nous coordonnerons sur ce point avec nos voisins européens. »

Le lendemain 26 novembre, Jean Castex précise que les stations de sports d'hiver pourront rouvrir à Noël mais que les remontées mécaniques resteront fermées, et que des discussions sont engagées en vue d'indemniser les pertes de recettes.

La position gouvernementale a surpris les professionnels de la montagne qui, le lundi 23 novembre, avaient été conviés à une consultation en visioconférence par le Premier ministre Jean Castex.

« C'est une surprise car lors de cette réunion, Jean Castex nous avait dit que la décision serait prise la semaine prochaine, s'étonne Hervé Mencacci, directeur de la station de ski Font-Romeu/Pyrénées 2000 dans les Pyrénées-Orientales (région Occitanie*) au lendemain des annonces du Président Macron. On le vit très mal. »

Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire avait plaidé, sur les ondes de France Inter, ne pas vouloir prendre le risque d'une troisième vague qui viendrait « sacrifier » les vacances de février, « qui est la plus importante pour les stations ».

Un manque à gagner irrattrapable de 30 à 35%

Christian Sarran, le directeur de l'Office de tourisme de Font-Romeu se dit « choqué » par les annonces gouvernementales : « Il n'y a aucune cohérence économique à dire qu'on va ouvrir en février. Ici, la station étant très au sud, la saison est courte : habituellement, on est les premiers à ouvrir en France, début décembre (en ayant recours aux enneigeurs, NDLR), mais on ferme début avril. On ne peut donc pas compter sur les vacances de Pâques. Si on ampute la saison des deux semaines de Noël et des grands week-ends en janvier, absolument rien n'est rentable ! Le modèle économique pyrénéen tient à un minimum de six très belles semaines et au moins 6 gros week-ends d'exploitation. En dessous, on est en difficulté ».

« C'est vrai que les vacances de février sont plus importantes puisqu'elles durent quatre semaines contre deux à Noël, mais nous ne devons rater ni les vacances scolaires ni les week-ends », renchérit Hervé Mencacci.

Les précisions apportées par Jean Castex ne sont pas de nature à changer son humeur : « Pour nous, exploitants de domaines skiables, cette information nous attriste... Ne pas faire tourner la station sur la période de Noël sera un manque à gagner de 30 à 35% qu'on ne rattrapera pas, tout en étant obligés de continuer à dépenser pour sécuriser le domaine skiable et entretenir la station notamment. On entend parler d'une indemnisation de 20% du chiffre d'affaires de l'an dernier et de mesures d'activité partielle pour les salariés, mais ça ne suffira pas. D'autant qu'en ouvrant le 20 janvier, on aura du mal à trouver des saisonniers car ils se seront engagés ailleurs. Ça veut dire qu'on risque de fermer une partie du domaine et donc de dégrader nos prix ».

« La trésorerie ne sera pas suffisamment solide »

Le domaine skiable de la station Font-Romeu/Pyrénées 2000, c'est 45,5 km de pistes de ski alpin, 100 km de pistes nordiques, trois pistes de snow-tubing, six balades piétonnes sur pistes balisées, trois pistes de ski de randonnée, un snow-park et un espace ludique pour les enfants.

La station est gérée par la société Altiservice en délégation de service public (depuis 2004 et encore jusqu'en avril 2022) pour les communes de Font-Romeu et Bolquère. Altiservice emploie 35 permanents et 200 à 210 saisonniers entre Noël et février, pour une moyenne de 500.000 journées skiées.

« Notre chiffre d'affaires d'exploitant de domaine skiable a été de 11,5 millions d'euros sur 2019-2020, dont seulement 200.000 euros l'été avec deux télésièges et une télécabine qui tournaient, précise Hervé Mencacci. Nos recettes, c'est donc quatre mois d'hiver ! Notre trésorerie ne sera pas suffisamment solide si la saison 2020-2021 est amputée des vacances de Noël et de janvier. Il faudra qu'on refasse un PGE. Notre modèle est fragile car une station demande des investissements permanents et des coûts d'exploitation importants. Nous avons 8 dameuses, des équipements qui coûtent cher, et 510 enneigeurs. Les équipements téléportés doivent subir une grande inspection tous les 15 ans, puis 10 ans après, et enfin tous les 5 ans. On vient de faire la grande inspection sur les télécabines et cet été, on a dépensé 300.000 euros uniquement dans la sécurité... L'activité nécessite aussi une importante masse salariale et une grosse consommation énergétique en eau et électricité... Heureusement, nos actionnaires, la Banque Populaire-Caisse d'Épargne et Engie (ce dernier à hauteur de 20% NDLR), sont des structures solides. »

Un impact pour l'économie locale

L'exploitant de la station vient de réceptionner la rénovation d'une ancienne usine à neige en haut des pistes, transformée en restaurant d'altitude (La Galine), pour lequel il s'est associé avec deux restaurateurs locaux. Prévu pour accueillir 250 personnes en temps normal, l'établissement, qui emploiera 14 salariés, reverra sa jauge à la baisse, et a d'ores et déjà prévu les repas à emporter et trois lieux de livraison sur la station. A condition que le domaine skiable soit ouvert...

En attendant, c'est l'économie de tout le territoire, majoritairement liée aux activités touristiques, qui redoute l'impact de la non-ouverture des stations : hébergement, restauration, location de skis, écoles de skis,...

« Pour un 1 € mis dans un forfait ski, il faut compter entre 6 et 7 € qui retombent dans l'économie locale », rappelle Hervé Mencacci.

Sur ce bout de territoire des Pyrénées-Orientales, cela représente 48.000 lits touristiques - « mais en réalité, 24.000 personnes quand la station est pleine et jamais plus de la moitié qui skie », précise Christian Sarran - enregistrant entre 1,6 et 1,8 millions de nuitées par an (600.000 à 800.000 l'été). Côté emploi, le directeur de l'office du tourisme parle de 1.500 emplois directs.

« Les amateurs de ski alpin iront... en face ! »

En mars dernier, la station hivernale a été privée de deux semaines d'exploitation en raison du premier confinement. Quant à la saison estivale, elle a été « très belle », selon Christian Sarran. Les réservations pour les vacances d'hiver avaient bien démarré au début de l'automne, notamment la réservation de chalets. Mais dès la mi-novembre, l'office de tourisme constatait un ralentissement et une « petite vague d'annulations ».

« Notre station est faite pour accueillir une clientèle de séjour, c'est à dire au moins une semaine, indique Christian Sarran. Elle est à 85% française, et mon triangle d'or, c'est Barcelone-Toulouse-Montpellier. Dans les 15% de clientèle étrangère, il y a 90% d'Espagnols. »

Mais dans les conditions annoncées, Hervé Mencacci imagine déjà le tableau : à Noël, les touristes qui seront présents à Font-Romeu/Pyrénées 2000 pourront profiter des balades et du ski de fond ou ski de randonnée, mais les amateurs de ski alpin iront... en face.

« Les stations d'Andorre et d'Espagne, juste en face de Font-Romeu, seront ouvertes, elles !, soupire-t-il. Castex dit que des discussions sont engagées au niveau européen pour harmoniser les règles mais en réalité, ils n'y arrivent pas. Les Autrichiens, les Italiens, les Espagnols, tous ouvriront... »

« On continue les pressions »

Pourtant, tous les acteurs du territoire se disent prêts à ouvrir dans des conditions de sécurité sanitaire très préparées. Certains protocoles ont déjà été expérimentés durant l'été. Les embarquements sur les remontées mécaniques se feraient en ligne, les télécabines seraient désinfectées tous les jours, et « pour le client, ça restera simple et peu contraignant : on lui demandera, dans les files d'attente et sur les remontées, de porter un masque ou un tour de cou remonté sur le nez ».

Alors à quelques jours de ce qu'ils pensaient être le début de saison, les professionnels de la montagne ne désarment pas et semblent ne pas avoir dit leur dernier mot.

Dans la journée du 26 novembre, la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga, annonçait qu'elle était signataire d'une tribune nationale pour réclamer l'ouverture des stations de ski, à Noël aux côtés de professionnels des sports d'hiver et élus des régions concernées. La tribune évoque "un enjeu économique et social majeur pour une filière qui représente au total en France plus de 11 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, 2 milliards d'euros d'exportations, 400 millions d'euros d'investissements, et qui emploie plus de 120.000 personnes dans des territoires dont l'économie locale repose souvent, pour l'essentiel, sur ce secteur".

A Font-Romeu, Christian Sarran veut encore croire que les choses peuvent évoluer dans le bon sens : « Nous avons encore trois semaines devant nous. Il y a donc un peu d'espoir, si la situation sanitaire continue de bien évoluer ».

« Oui, on va continuer de se battre car il y a beaucoup d'incompréhension, confirme Hervé Mencacci. On a mis en place des protocoles sanitaires stricts, on est sur des espaces très ouverts et des stations-villages à taille humaine, sans grands ensembles ni grandes concentrations de personnes, on sait gérer les flux... On continue les pressions. On veut que les stations ouvrent le 19 décembre. »

* L'Occitanie compte 43 stations de ski de pistes et espaces nordiques, représentant au total 1 million de lits touristiques.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 2
à écrit le 28/11/2020 à 20:16
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On perd ma tête. Alors si pas de touristes vous pourrezavoir la chance inouie, uniques de vivre vette beauté pour vous tout seul. Un momentrare ppur bous consoler. Le plus ben endroit du monde. Si on vient, ce sera avec des raquettes. A bientôt

à écrit le 27/11/2020 à 8:50
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La montagne va respirer.

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