Arcadie crée Windcoop pour un transport maritime bas carbone, « un service citoyen », prône Matthieu Brunet

INTERVIEW - La PME gardoise Arcadie, spécialisée dans la production et le négoce d’épices, d’aromates et de plantes bios, porte le projet de construire et d’affréter un cargo porte-conteneurs à voile qui rouvrira une route maritime directe entre Madagascar, où elle s’approvisionne majoritairement en épices, et un port de la Méditerranée française. Elle vient de créer Windcoop, une compagnie maritime militante sous statut de coopérative, avec le Lorientais Zéphyr & Borée (navires de commerce innovants bas carbone) et le président d’Enercoop Julien Noé. Entretien avec Matthieu Brunet, le président d’Arcadie.
Cécile Chaigneau
Matthieu Brunet, le président d'Arcadie, est l'un des trois fondateurs de la Scic Windcoop, qui va construire un cargo porte-conteneurs à voile pour établir une liaison directe entre la Méditerranée et Madagascar.
Matthieu Brunet, le président d'Arcadie, est l'un des trois fondateurs de la Scic Windcoop, qui va construire un cargo porte-conteneurs à voile pour établir une liaison directe entre la Méditerranée et Madagascar. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous l'aviez annoncé, c'est maintenant chose faite : vous venez de fonder Windcoop, une compagnie maritime "militante", basée à Lorient et qui aura vocation à transporter des marchandises à la voile à compter de 2025 entre un port méditerranéen français et Madagascar. Qui sont vos associés et pourquoi ce choix du statut de coopérative (Scic, Société coopérative d'intérêt collectif) ?

Matthieu BRUNET, président de l'entreprise gardoise Arcadie* - Ce projet est porté par trois hommes et deux entreprises : moi-même et Arcadie, Nils Joyeux et son entreprise Zéphyr & Borée (basée à Lorient, qui développe des navires de commerce innovants pour des transports bas carbone, NDLR), et Julien Noé en son nom propre, le président fondateur d'Enercoop (fournisseur d'énergie verte, NDLR)... Le choix de la coopérative s'est fait sur l'impulsion de Julien Noé. Tout ce qui est du domaine des infrastructures et des grands services est habituellement aux mains de l'Etat ou de multinationales privées. En tant que consommateurs, les citoyens sont donc dépendants de l'Etat ou de ces grands groupes. Or nous considérons que le citoyen devrait avoir un droit de regard et de participation pour dire comment il souhaite que ses marchandises soient transportées, par exemple. C'est la 3e voie, celle du service à la main des citoyens. C'est pour cette raison que nous avons opté pour le statut de Scic qui permettra à chacun de prendre des parts.

Lire aussiPourquoi Arcadie porte le projet (un peu fou mais concret) d'un cargo porte-conteneurs à voile

Quel sera le budget nécessaire pour ce cargo porte-conteneurs (85 mètres, une capacité d'une centaine de conteneurs pour un tonnage maximal de 1.400 tonnes et 12 passagers), dont la construction va démarrer en 2023 ? Et comment allez-vous le financer ?

L'investissement sera d'environ 20 millions d'euros. Nous commençons une campagne de financement participatif, accessible depuis notre site internet, mais elle sera officiellement lancée en septembre. Nous souhaitons sécuriser 30% en capital, soit 6 à 7 millions d'euros, dont 3 millions via ce financement participatif. Arcadie investira 2 millions d'euros, et nous ferons également appel à des fonds d'investissement éthiques et solidaires, ainsi qu'à du financement bancaire. Mais notre objectif, c'est que les citoyens aient la majorité, de façon à ce que ce soit un outil au service de la société civile. Nous pensons que le jeu en vaut la chandelle et que c'est possible puisque Enercoop, Terres de lien, tous ces mouvements coopératifs l'ont démontré...

Quel engouement rencontrez-vous autour de ce projet ?

On est au tout début et on approche aujourd'hui les 50.000 euros, ce qui est significatif même s'il y a encore du chemin à parcourir et qu'il va falloir toucher beaucoup de monde. Il y a une dimension romanesque dans ce projet, il passionne les gens. Il y a un intérêt et une confiance dans son réalisme, tant du côté des banquiers, que des chargeurs et des particuliers.

Cette liaison maritime directe avec Madagascar, que vous annoncez au rythme de cinq rotations par an, pourrait se faire avec quel port de la Méditerranée ?

Le choix n'a pas encore été arrêté. Nous avons visité le port de Sète et celui de Port-Vendres (Hérault et Pyrénées-Orientales, NDLR). Chacun a son intérêt mais cela dépendra aussi de nos clients car il faudra pouvoir se connecter sur les autres tronçons de routes maritimes. Sète nous irait bien, ce serait à la taille du projet... La liaison fera escale dans plusieurs ports de Madagascar, ainsi qu'à Mayotte qui présente un potentiel de marchandises à descendre depuis la France plus intéressant que Madagascar.

Justement, l'enjeu de cette future route maritime, c'est de stabiliser un modèle économique et donc de remplir le cargo-conteneurs. Avez-vous avancé sur ce sujet ?

A Madagascar comme en France, notre projet reçoit un bon accueil, notamment sur l'aspect écologique et sur la reprise en main de la logistique qui permettra de ne plus être dépendant de grands groupes... Des lettres d'intention ont continué d'arriver. Nous avons lancé il y a quelques mois les plans du bateau, et aujourd'hui, les architectes navals travaillent sur la version définitive qu'on espère pour la fin de l'été. A partir de là, nous aurons une idée précise du coût, et nous pourrons alors proposer des tarifs. Louise Chopinet (directrice générale de Windcoop, NDLR) et Nils Joyeux vont bientôt partir à Madagascar pour faire la tournée des clients. Le coût du transport sera environ deux à trois fois plus chers que des tarifs conventionnels mais ça ne semble pas constituer un frein en raison de la contrepartie écologique mais aussi du gain de temps sur les délais de livraison. La liaison Madagascar-France par le cargo à voile prendra environ un mois, avec une vitesse de 8 nœuds qu'on est en mesure de garantir. Je rappelle qu'avec les porte-conteneurs traditionnels aujourd'hui, les transbordements peuvent prendre beaucoup de temps et sont surtout imprévisibles. Un conteneur plein d'épices peut ainsi attendre sur un port un temps indéterminé, jusqu'à ce qu'un porte-conteneur soit plein pour partir. Ce qui peut prendre deux ou trois mois...

Quelles seront mes performances du cargo à voile en matière d'économie d'énergies fossiles, par rapport à un porte-conteneur propulsé au fioul ?

Nous attendons les plans définitifs des architectes, mais sur cette route où il y a peu de vent, on espère atteindre les 70% d'économie d'énergies fossiles.

Qu'est-ce que Windcoop, avec ce futur mode de transport, va changer pour Arcadie ?

Arcadie importe environ 300 tonnes d'épices depuis Madagascar chaque année, soit 25 conteneurs, ce qui représente environ 25% de nos approvisionnements. Le cargo à voile changera beaucoup de choses. D'abord, il va nous permettre de baisser notre bilan carbone. Il y a ensuite cette question du délais : aujourd'hui, on peut être en rupture sur un produit car la matière est bloquée dans un port. Sur le volet social, nous faisons l'effort de créer une filière équitable et avec le cargo à voile, nous comblons le chaînon manquant du transport. Nous sommes convaincus qu'il n'y a pas de révolution écologique sans révolution sociale... Enfin, cela aura un impact sur notre communication à une époque où les consommateurs perdent un peu confiance dans le bio. Cela démontre que notre projet est un projet de société.

* Basée à Méjannes-les-Alès, Arcadie est spécialisée dans la production et le commerce d'épices, d'aromates et de plantes bios, et a réalisé 22,4 millions d'euros de chiffre d'affaires 2021.

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.