« On a l’impression que le gouvernement met la poussière sous le tapis » (Brice Sannac, UMIH 66)

INTERVIEW - Allongement des durées de remboursement des PGE, pénalisation des entreprises dans leur cotation bancaire, nouvelle grille salariale, chômage, mutations sociétales… Brice Sannac, hôtelier à Banyuls-sur-Mer et président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie des Pyrénées-Orientales (UMIH 66) monte au créneau pour évoquer ces questions vitales pour le secteur.
Brice Sannac, hôtelier à Banyuls-sur-Mer et président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie des Pyrénées-Orientales (UMIH 66).
Brice Sannac, hôtelier à Banyuls-sur-Mer et président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie des Pyrénées-Orientales (UMIH 66). (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - La phase aiguë de la pandémie semble derrière nous. Quel est, à ce jour, l'état des lieux du secteur HCR ?

Brice SANNAC - L'économie événementielle n'a pas repris, le tourisme international non plus. Notre métier est toujours contraint par les mesures de restriction : demander un passe sanitaire et une carte d'identité dans un restaurant, avoir tous les jours le décompte des morts et la mise en avant de nos métiers comme de grands contaminateurs, n'incitent pas les Français à consommer... La situation est donc très contrastée, avec des établissements qui s'en sortent bien alors que beaucoup d'autres souffrent, en particulier dans les centres-villes. Dans le département des Pyrénées-Orientales, par exemple, les traiteurs sont dans une situation financière désastreuse car ils n'ont pas travaillé depuis des mois mais continuent à payer leurs charges.

Pourtant selon les dernières données du Conseil d'analyse économique (CAE), centre de réflexion rattaché à Matignon, les entreprises ont, notamment grâce au PGE, encaissé le choc de la crise avec des risques de défaillances à court terme très limités. Dans le domaine de la restauration, par exemple, seuls 2.085 établissements ont défailli en 2021, soit 37% de moins qu'en 2020. C'est plutôt une bonne nouvelle ?

Ce sont des chiffres en trompe l'œil car la plupart des entreprises sont encore sous perfusion, 16 milliards d'euros de PGE ayant été accordés à au secteur HCR. La situation est en fait catastrophique : 60% de nos adhérents ont contracté un prêt pour maintenir à flot leur trésorerie, payer les compléments de salaires, les charges fixes, les fournisseurs... Ces prêts sont toxiques car ils n'ont pas été utilisés au bénéfice des clients ou de l'amélioration de la qualité.

Justement, comment avez-vous accueilli l'annonce du ministre de l'Économie Bruno Le Maire de pouvoir étaler les échéances de remboursement du PGE sur dix ans ?

Le ministre fait de la communication en nous parlant d'un outil supplémentaire pour accompagner les entreprises dans la sortie de crise. Cela s'apparente plutôt au baiser de la mort du banquier...

Qu'entendez-vous par là ?

Les établissements vont avoir, au cas par cas, la possibilité de rééchelonner leur prêt sur dix ans en saisissant le médiateur du crédit de la Banque de France ou le médiateur de sortie de crise. Mais comme selon le code du commerce, il n'est pas possible de rééchelonner simplement le prêt mais l'ensemble de la dette de l'entreprise, cela induit une réaction en chaîne susceptible de dégrader la notation bancaire. Bruno Le Maire joue le jeu des banquiers. Cette solution n'est pas la bonne, il est aberrant que les entreprises puissent être pénalisées dans leur cotation. Si rien ne change, nous allons nous retrouver avec une hôtellerie à deux vitesses : d'un côté, ceux qui auront les moyens d'investir et de l'autre, ceux qui ne pourront pas tenir le rang.

Que propose l'UMIH ?

Nous ne demandons ni cadeaux supplémentaires, ni annulation de la dette. Nous souhaitons juste que les députés légifèrent sur un article de loi afin que le PGE de base passe à dix ans pour tout le monde. Cela permettra à ceux qui ont "cramé la caisse" en ayant consommé leur PGE d'avoir une seconde chance. Sinon, nous risquons de nous prendre de plein fouet la vague de faillites évitée il y a deux ans, et tout cela aura été du gâchis.

En tant que président de l'UMIH 66, pouvez-vous dresser un panorama de la situation dans les Pyrénées-Orientales ?

Nous avons fait une mini-enquête prenant en compte 57% des restaurants, 26% des hôtels et 8% des débits de boisson du département. Nous avons bien sûr tenu compte des secteurs géographiques : 39% de littoral, 30% Perpignan, 21% arrière-pays et 10% montagne. Il est ressorti que 95% des établissements ont contracté un PGE, 70% d'entre eux l'ont utilisé et 63% pensent qu'ils seront fortement contraints dans leur capacité à investir. Ces chiffres corroborent complètement les données nationales.

Dans ce contexte économique instable, la nouvelle grille des salaires n'est-elle pas trop ambitieuse ?

Non, cela va permettre de remettre l'église au cœur du village. La nouvelle grille de salaires, qui prévoit une augmentation moyenne de 16,3% a été adoptée par la filière HCR (hôtellerie-café-restauration, NDLR) mais elle n'est pas encore appliquée. Pour un salarié échelon 1, la hausse sera de l'ordre de 4,10% (soit + 66 euros brut par mois, NDLR) et tous les échelons qui étaient en dessous du Smic repasseront au-dessus, remettant à plat cette grille de salaires qui n'avait pas évolué depuis 2018.

Depuis le début de la crise sanitaire, le secteur HCR a perdu 237.000 salariés. Cette hausse salariale sera-t-elle suffisante pour enrayer la pénurie de main-d'œuvre ?

Coupures de travail, horaires tardifs, travail le week-end... Nous sommes conscients des difficultés, c'est pour cela nous que nous avons voulu frapper un grand coup. Mais les négociations ne sont pas terminées, les sujets ne manquent pas : propositions d'une 6e semaine de congés payés, 13e mois, rémunération du travail le dimanche, possibilité de donner un week-end par mois et deux jours consécutifs de congé, rémunération de la coupure... Il faut bien comprendre que la majorité de nos entrepreneurs ne sont pas des patrons dans leur tour d'ivoire. En pleine période de crise, un syndicat patronal qui prend ses responsabilités comme on l'a fait, il n'y en a pas beaucoup !

Mais pensez-vous que toutes ces mesures suffiront ?

Nous sommes passés d'une société de travail à une société de loisirs, il va falloir maintenant que l'Etat prenne ses responsabilités en ayant un vrai courage politique. Mon département a le taux de chômage des DOM-TOM, soit 12,5%. Si nous étions dans une situation de plein emploi, à 3% de chômage par exemple, je comprendrais les difficultés de recrutement mais ce n'est pas le cas. Chacun doit maintenant prendre ses responsabilités.

Quelques mots sur ce nouveau classement hôtelier qui entrera en vigueur le 1er avril ?

C'est un premier pas satisfaisant en faveur de l'environnement, de l'économie d'énergie, de la consommation d'eau et de déchets. J'appelle à une révolution dans nos métiers : il est temps de mettre la RSE au cœur des débats, avec des établissements privilégiant circuits courts, isolation thermique, généralisation des systèmes de tri des déchets, gestion du linge, etc.

Face à toutes ces mutations sociétales, comment vous positionnez-vous ?

L'UMIH tire la sonnette d'alarme, je le redis : la situation est catastrophique. Lorsque nos femmes de ménage font la poussière, elles le fond de fond en comble. Là, on a plutôt l'impression que le gouvernement met la poussière sous le tapis. Je reste convaincu que seule une stratégie commune permettra de sortir de cette crise la tête haute, avec une industrie hôtelière renouvelée, améliorée, prête à affronter les défis de demain. L'UMIH a bien l'intention d'en faire un sujet majeur, pour la filière tourisme, dans la campagne présidentielle.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.