Flambée des cours de l’énergie : à Sète, les pêcheurs, inquiets, restent au port

Parmi les secteurs économiques les plus touchés par les hausses exponentielles des prix des carburants, la pêche tire une nouvelle sonnette d’alarme. A Sète, les chalutiers sont à quai, les pêcheurs pointant les pertes de rentabilité générées par le poids du carburant dans leurs charges.
Cécile Chaigneau
Les pêcheurs de Sète sont inquiets face à la flambée des prix des carburants qui entame fortement la rentabilité de leur activité.
Les pêcheurs de Sète sont inquiets face à la flambée des prix des carburants qui entame fortement la rentabilité de leur activité. (Crédits : Sa.Tho.An)

MAJ 16 mars, 20h : Dans la présentation du plan de résilience dégainé par le gouvernement pour faire face aux conséquences du conflit en Ukraine, Jean Castex a annoncé que le secteur de la pêche bénéficierait d'une remise de 35 centimes par litre de gasoil jusqu'à la fin juillet 2022.

Le 15 mars, à la veille des annonces sur le plan résilience promis par le gouvernement, Bertrand Wendling, directeur de organisation de producteurs Sa.Tho.An, la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète, est tendu. Les réunions avec les différents acteurs du secteurs et les représentants de l'Etat sont presque quotidiennes depuis que la guerre en Ukraine a fait flambé les cours de l'énergie, touchant de plein fouet l'activité de la pêche.

Dans le port de Sète (géré par la Région Occitanie), il rappelle que « la flottille de pêche compte 18 thoniers et 19 chalutiers, dont 17 en activité » mais aussi, selon le site du port de Sète, environ 200 petits métiers de Sète et ses environs (Palavas-les-Flots, Agde, Grau-du-Roi, Marseillan, Mèze, etc.).

« Le prix du gasoil de pêche était à 45 centimes il y a quelques mois, et il est monté aujourd'hui à 1,10 euros, c'est la première fois qu'il franchit la barre d'un euro », s'inquiète-t-il. Les chalutiers les plus dépendants consomment 1.500 à 2.000 litres de carburant par journée en mer... Alors forcément, la rentabilité des bateaux est touchée, plus ou moins selon le métier et la taille du bateau. Les arts dormants, c'est à dire les casiers ou les filets posés que vous allez relever, sont moins consommateurs que les arts traînants (qui consistent à capturer les poissons de manière active, avec des chaluts, des dragues ou des sennes, NDLR). Mais cette problématique du coût du carburant concerne tout le monde aujourd'hui ! La coopérative de ravitaillement dispose de cuves qu'elle remplit régulièrement, il n'y a pas de problème de disponibilité pour le moment, mais bien un problème de prix. »

Sans rentabilité, pas de sortie en mer

Conséquence : les bateaux sont à quai. Bertrand Wendling nuance en précisant que les chalutiers sont pour le moment à quai en raison de la tempête qui a frappé le littoral méditerranée ces derniers jours, mais assure que « s'il faisait beau, ils ne sortirait pas... Aujourd'hui, 15 mars, il y a un seul bateau à la mer ! ».

Car la flambée du prix du gazole met les entreprises de pêche en-dessous de leur seuil de rentabilité, « avec les chalutiers en première ligne, en particulier en Méditerranée car déjà fortement impactés par les mesures issues du plan de gestion West Med », écrivent les pêcheurs dans un courrier à la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga, le 15 mars. Ils rappellent qu' « avec la très forte dépendance des criées aux apports venant principalement de la flottille chalutière, c'est aussi la durabilité économique de toute la filière aval qui est très gravement menacée ».

Sans rentabilité, plus question de sortir en mer. Spécificité de la pêche : la rémunération des marins chaque jour dépend des coûts de fonctionnement des navires, en vertu de la règle dite des « charges communes ».

« Des bénéfices liés à la pêche du jour sont déduits les frais communs, c'est à dire le carburant et l'huile, et ensuite, on partage ce qui reste moitié pour l'entreprise, moitié pour l'équipage, explique Bertrand Wendling. Si le gasoil augmente, le risque, c'est qu'il ne reste rien pour les marins. Si un marin a fait une semaine complète et gagne 150 euros, la semaine suivante il ne sort pas. Socialement, c'est un vrai souci. »

« 15 centimes à la pompe, ça ne suffit pas »

« Le gouvernement essaie de temporiser en promettant des choses mais en dix jours, nous n'avons quasiment rien obtenu, ajoute le directeur de la Sa.Tho.An. Le Premier ministre a annoncé une remise à la pompe de 15 centimes, mais au-dessus de 0,60 euros le litre, on n'est plus rentables donc ça ne suffit pas... Normalement, le report des charges salariales est attendu. Mais les pêcheurs veulent une aide plus directe aux entreprises. Le problème, c'est que tout dispositif concernant la pêche doit être approuvé par Bruxelles et l'Europe a refusé hier de mettre en œuvre des aides spécifique à la pêche. Nous avons déjà interpellé la présidente de la Région Occitanie et nous venons de lui écrire à nouveau aujourd'hui pour lui demander d'intervenir car nous pensons que c'est une somme de petite mesures qui pourront compenser la hausse des carburants. D'autant qu'il y a une spécificité de la pêche : les routiers peuvent répercuter la hausse du carburant à leurs clients, mais nous, nous n'avons pas d'action possible sur le prix du poisson. On ne vend pas le poisson, on nous l'achète, donc on ne peut pas répercuter cette hausse. Des réflexions sont menées par France Filière Pêche sur cette question pour voir comment on pourrait faire cette répercussion rapidement mais on se heurte à une forte réticence des commerçants. »

Et Bertrand Wendling, sans en dire plus sur les actions qui pourraient advenir si la situation devait perdurer, lance : « Les marins n'ont pas de chômage quand ils ne travaillent pas, donc attention, ils ne vont pas se laisser mourir ! »...

Faire évoluer la motorisation des bateaux

En attendant, les questions énergétiques incitent les pêcheurs à poursuivre une réflexion déjà engagée sur la reconversion de leurs chalutiers vers une motorisation hybride ou électrique.

« C'est le sujet de la lettre envoyée à Carole Delga car si la Région veut être région à énergie positive, installer des fermes éoliennes en mer, travailler sur les énergie propre comme l'hydrogène, ce serait une aberration de conserver une flottille chalutière qui consomme du gasoil ! Aujourd'hui, pour convertir nos bateaux, il y a un saut technologique à faire et il manque de la R&D. Sans volonté de l'Etat, on n'y arrivera pas. Par ailleurs, pour faire cette transition, nous sommes pieds et mains liés à la réglementation communautaire européenne : la pêche se heurte à une contrainte majeure : la jauge (grandeur du volume total des espaces fermés à bord du navire, engendrant un effet de seuil dans la longueur des navires, NDLR). Si demain, on trouvait une solution avec un moteur hydrogène plus gros et des besoins de réserve à bord, il faudrait peut-être multiplier la jauge du bateau par deux, donc il faut faire sauter cette jauge si on veut pouvoir faire évoluer les bateaux de pêche. Pour ça, il faut une volonté nationale et régionale. »

Cécile Chaigneau

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