
« C'est bien simple, je n'ai pas une demande. Ce n'est même pas une question de prix. Même le chardonnay qui s'arrachait il y a deux ans ne trouve plus preneur. Le marché vrac des vins bio est à l'arrêt ».
Vigneron au Domaine de la Jasse d'Isnard à Aimargues (Gard), Régis Michelon constate avec inquiétude le soudain retournement du marché des vins bio. Les caves coopératives font la même observation.
Frédéric Sénat, directeur des Vignerons Créateurs, groupement coopératif gardois, a senti les prémices de ce retournement du marché dès la récolte 2020 : « Le gel du printemps 2021 a permis d'apurer une partie des stocks, mais nous avons quand même eu du mal à vendre les 6.000 hl que nous avions produits en 2021. Et cette année, le marché est totalement atone. Je n'ai encore signé aucun contrat sur les 7.000 hl récoltés », témoigne-t-il.
A la cave de Durfort-et-Saint-Martin-de-Sossenac (Gard), dont 20% de la récolte est en bio, l'inquiétude est également palpable. Alors qu'habituellement à cette époque, 95 % des volumes sont contractualisés, cette année les contrats signés ne représentent que 10% des volumes. Les échos sont similaires à la coopérative des Vignerons d'Héraclès à Vergèze (Gard), dont les ventes sont en net recul par rapport à la même période de l'année dernière.
40% des ventes en direct
Après une décennie de croissance à deux chiffres, les vins bio subiraient-ils le même retournement de tendance que les œufs, la crèmerie et les fruits et légumes bio dont les ventes ont commencé à décroître en 2021 ?
« En 2021, les ventes étaient encore en progression, souligne Nicolas Richarme, président de Sudvinbio, association interprofessionnelle de la viticulture bio en Languedoc-Roussillon. Il y a eu un tassement dans la grande distribution mais ce circuit ne représente que 20% des ventes totales de vin bio. La force de notre filière, c'est que 40% des ventes se fait en direct chez le producteur. »
Portée par une demande en progression croissante, la viticulture bio a connu un essor fulgurant ces dernières années : les surfaces certifiées bio en Occitanie ont bondi de 23 500 ha en 2019 à 33.560 ha en 2021, soit une progression de 40% en trois ans. En Languedoc-Roussillon, la récolte 2022 est estimée entre 1,6 à 1,8 millions d'hectolitres, ce qui représente une hausse de près de 70% par rapport à 2021.
« Ces volumes additionnels n'arrivent pas au meilleur moment, explique Jacques Frelin, patron fondateur des Vignobles Frelin, maison de négoce spécialisée dans les vins bio. L'environnement économique national et international est très incertain. Ce n'est pas le moment de lancer de nouvelles références ou de constituer des stocks. Mais je ne suis pas inquiet pour l'avenir de la viticulture bio dans notre région. C'est un mouvement de fond qui va perdurer malgré cet engorgement temporaire du marché. Nous avons des marges de progression à l'export, mais il nous faut un peu de temps pour reconquérir les parts de marché que nous avons perdues ces dernières années, faute de volumes. »
Ce que Nicolas Richarme confirme : « Le chiffre d'affaires des vins bio, c'est 1,5 milliard d'euros en France et 500 millions d'euros à l'export. Nous avons donc un fort potentiel de développement à l'international. Il faudra sans doute un peu de temps, mais on finira par absorber ces volumes ».
Les déconversions restent stables
Mais pour les viticulteurs qui viennent de décrocher leur certification bio, après trois années de conversion plus coûteuses, ça risque d'être la douche froide si la valorisation n'est pas au rendez-vous. S'achemine-t-on vers une vague de déconversions, comme celle survenue dans les années 2010-2012, quand l'offre bio était excédentaire ?
« Pour le moment, ce n'est pas le cas, assure le président de Sudvinbio. Les déconversions se maintiennent au même niveau que les années précédentes, de l'ordre de 3% des surfaces. En valeur, le chiffre est en hausse puisque les surfaces s'accroissent, mais proportionnellement, on reste stable et à un niveau inférieur à celui des autres cultures qui se situe à 4%. »
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