« Nous priver de la marque-ombrelle "Sud de France", c’est sidérant », dénoncent les viticulteurs

Annoncée en juillet, la décision du ministre de l’Agriculture de mettre fin à l’étiquetage de « Sud de France » sur les bouteilles de vins provoque stupéfaction et colère des entreprises viticoles du Languedoc-Roussillon. Au moment où la filière est confrontée à de graves difficultés de commercialisation, les opérateurs ne comprennent pas qu’on les prive d’un outil qui a fait ses preuves auprès des consommateurs depuis plus de seize ans.
Pour se conformer à la réglementation européenne interdisant de faire figurer sur les bouteilles de vins des mentions géographiques non définies comme AOP ou IGP, les viticulteurs du Languedoc-Roussillon ne pourront plus faire figurer la mention Sud de France sur leurs produits à compter du millésime 2024.
Pour se conformer à la réglementation européenne interdisant de faire figurer sur les bouteilles de vins des mentions géographiques non définies comme AOP ou IGP, les viticulteurs du Languedoc-Roussillon ne pourront plus faire figurer la mention "Sud de France" sur leurs produits à compter du millésime 2024. (Crédits : Région Occitanie)

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la décision de Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture, d'interdire la mention « Sud de France » sur les étiquettes des bouteilles de vin à partir du millésime 2024, fait des remous au sein de la filière. Le couperet était tombé au cœur de l'été, la réglementation européenne interdisant de faire figurer sur les bouteilles de vins des mentions géographiques non définies comme AOP ou IGP, afin de garantir l'origine des produits.

La quasi-totalité des syndicats et interprofessions viticoles - à l'exception notable des vins de pays d'Oc - s'élève contre cette décision jugée incompréhensible.

« "Sud de France" est la seule bannière commune à tous les vins AOP et IGP du bassin Languedoc-Roussillon, soutient ainsi Gilles Gally, président de l'UEVM, le syndicat des maisons de négoce du Languedoc. Depuis plus de seize ans, elle a fait ses preuves commercialement, en particulier à l'export. Cette bannière commune est très lisible et compréhensible pour les consommateurs du monde entier. Pour toucher le consommateur, il faut que la bannière commune, qui a bénéficié d'investissements publics et privés de longue date, soit reprise sur les étiquettes. »

Pas de concertation

Les opérateurs sont d'autant plus remontés qu'en juillet 2022, le préfet de la région Occitanie, qui avait exposé les difficultés réglementaires, avait promis à la filière vin une concertation à la fin des vendanges 2022. Or aucune réunion n'a été organisée.

Dans un courrier envoyé début août au ministère, les responsables de la profession sont remontés au créneau, pointant du doigt l'absence d'arguments juridiques pour étayer cette décision.

« Les éléments de blocage juridique n'ont pas été démontrés et les solutions juridiques que nous avons proposées n'ont pas été étudiées, affirment les signataires. Elles sont pourtant basées sur une étude du droit communautaire que nous avons demandée à un cabinet spécialisé. Elles préservent les AOP et les IGP auxquelles nous sommes unanimement attachés. Des solutions existent et nos organisations professionnelles continueront de défendre l'outil "Sud de France" sur les étiquettes de nos vins avec opiniâtreté. »

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« On va perdre des rayons et des pages de catalogue »

Pour Miren de Lorgeril, à la tête des Vignobles Lorgeril qui commercialisent 2 millions de cols à l'export, cette décision est très grave.

« Toutes mes étiquettes portent la mention Sud de France, c'est un énorme atout commercial, car depuis la disparition de la région Languedoc-Roussillon, nous n'avons plus d'identité commune pour fédérer tous nos vins, analyse-t-elle. En nous privant de cette mention, on nous fait perdre des rayons chez les distributeurs et cavistes et des pages de catalogue dans les outils promotionnels. Toutes les régions viticoles françaises ont une bannière commune : Provence, Vallée du Rhône, Val de Loire, Bordeaux... Aujourd'hui, on pénalise notre région en la dépossédant d'une visibilité acquise grâce aux investissements réalisés depuis seize ans sur cette mention... Nous priver de la marque-ombrelle "Sud de France", c'est sidérant. »

Nicolas Chebille, directeur des Caves Languedoc Roussillon (CLR), qui commercialise 10 millions de cols par an dont 80% à l'export, est tout aussi dépité : « Ça fait seize ans qu'on investit sur cette marque qui nous géolocalise parfaitement. Nous l'avons adoptée dès le départ et elle figure sur 80% de nos produits. Nous avons contribué au rayonnement de la région à l'international. C'est frustrant d'en être privé maintenant, à l'aube d'une crise viticole de grande ampleur. Il va falloir se battre pour traverser cette crise. Au moins, qu'on ne nous mette pas des bâtons dans les roues ! Nous avons apposé cette marque ombrelle non seulement sur les étiquettes, mais également sur les capsules, les cartons, notre documentation technique et commerciale, notre signalétique sur les salons... Si nous n'y avons plus droit sur l'étiquette, il va falloir l'enlever sur tous les autres supports car sinon, ça devient incompréhensible pour nos acheteurs et le consommateur final. La remise en forme de nos packagings et outils commerciaux est une dépense dont on ne serait bien passé en ce moment ».

On ne trompe pas le consommateur

Frédéric Pacaut, directeur général de la maison Badet Clément, implantée en Bourgogne et en Languedoc, est sur la même longueur d'onde.

« C'est désolant car on choisit le moment où nous rencontrons beaucoup d'adversité sur les marchés pour nous priver d'une signature commune qui est vitale pour notre activité, fustige-t-il. Cette région est difficile à comprendre car nous avons beaucoup d'interprofessions et une multitude d'AOP et d'IGP. La mention "Sud de France" permet de regrouper tous ces vins sous une même bannière en leur donnant un ancrage territorial très lisible à l'international. On utilise cette signature depuis seize ans et ça n'a posé de problème à personne. Il n'y a aucune tromperie, ni risque de confusion. Je crois, au contraire, qu'on rend service au consommateur, en lui permettant de mieux identifier l'origine géographique de nos vins. On peut faire du juridique à outrance, mais qui protège-t-on ? La très grande hétérogénéité des vins produits dans la région est plus source de confusion pour le consommateur que la bannière "Sud de France" qui éclaire parfaitement sur la localisation de nos vins. Compte tenu de cet enjeu, il est totalement incompréhensible que l'administration n'étudie même pas les propositions argumentées et solides juridiquement que nous lui avons fait parvenir. Ce manque d'écoute a un goût amer ».

6 millions d'euros de coûts de retrait

De son côté, la Région Occitanie affiche sa volonté de soutenir bec et ongles la marque « Sud de France » dont elle est propriétaire : « On nous dit que cette mention n'est pas réglementaire mais l'administration ne nous a jamais clairement indiqué sur quel article reposait cette affirmation. Ce qui est sûr, c'est que nous ne laisserons pas tomber cet outil de communication pour lequel nous avons déjà lourdement investi. Nous continuons nos investigations pour trouver une solution afin de maintenir la mention "Sud de France" sur les étiquettes de vin et d'huile d'olive », affirme René Moreno, conseil régional membre de la commission Agriculture, agroalimentaire et viticulture.

Quel serait le manque à gagner de la disparition de la mention "Sud de France" pour les viticulteurs régionaux ? A ce stade, aucun opérateur n'est capable de répondre et d'estimer les baisses potentielles de vente. Seules les dépenses liées au retrait de la marque ombrelle sur les étiquettes et les éléments de packaging ont été chiffrées par l'UEVM : d'après une enquête menée auprès des adhérents du syndicat, elles s'élèveraient à 6 millions d'euros.

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