Climat : quel avenir pour la filière apicole catalane ?

Englués dans la crise que traverse le secteur agricole, les apiculteurs français manifestent leur mécontentement, notamment contre la concurrence déloyale des miels importés. Mais dans les Pyrénées-Orientales, c’est la sécheresse persistante depuis trois ans qui cristallise les inquiétudes. A tel point que l’Union Syndicale Apicole du Roussillon prône de nouveaux modèles d’exploitations.
La filière apicole française a produit 33.900 tonnes de miel en 2023 (dont 3.710 en Occitanie) pour une consommation nationale de 45.000 tonnes.
La filière apicole française a produit 33.900 tonnes de miel en 2023 (dont 3.710 en Occitanie) pour une consommation nationale de 45.000 tonnes. (Crédits : DR)

Au diapason des agriculteurs, la filière apicole se mobilise depuis plusieurs mois pour faire entendre sa voix, consciente néanmoins que son poids économique - 33.900 tonnes de miel produits en 2023 (dont 3.710 en Occitanie) pour une consommation nationale de 45.000 tonnes - reste modeste au regard des autres types de productions.

Principal motif de ses revendications : la concurrence déloyale des produits importés (près de 50% du miel consommé en France), qui contraint les apiculteurs à vendre à un prix proche ou en deçà du prix de revient. Avec un miel vendu à moins de 3 euros le kilo, la Chine arrive d'ailleurs sur la première marche des fournisseurs du marché hexagonal. Selon une enquête menée en 2023 par la Fédération Française des Apiculteurs Professionnels (FFAP), 75% des apiculteurs souffriraient d'une baisse de leurs ventes, constituant pour plus d'un tiers d'entre eux « une menace pour la survie de leur exploitation ».

Dans un contexte électrique, le gouvernement a annoncé, à la veille de l'ouverture du Salon de l'Agriculture à Paris, la mise en place d'un plan d'actions comportant des aides conjoncturelles (dont une enveloppe de communication de 500.000 euros pour soutenir la filière) pour « lutter contre les fraudes et améliorer la transparence de l'information du consommateur, améliorer la connaissance du marché du miel et conforter la résilience de la filière ». Des mesures nationales qui ne vont pas régler tous les problèmes, surtout dans les Pyrénées-Orientales, département frappé depuis près de trois ans par une forte sécheresse. Or sans eau, les plantes mellifères (thym, romarin, tilleul,...) ne produisent ni nectar ni pollen.

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« L'Etat continue de se désengager toujours plus »

Trésorier de l'Union syndicale apicole du Roussillon (USAR), qui compte 187 apiculteurs (pour un total de 7.866 ruches), André Huguet est apiculteur à la ferme catalane de Corneilla-la-Riviere. En 2023, non content de faire face à un taux de mortalité de 60% de ses colonies d'abeilles, il n'a récolté que 480 kg de miel (sur 550 ruches) contre 8 à 10 tonnes les belles années.

« Même si je suis un cas extrême, la situation dans les Pyrénées-Orientales, du fait du manque de pluviométrie, est catastrophique, se désole l'apiculteur. Un ami apiculteur près de Toulouse a produit, cette année, une vingtaine de kilos par ruche, contre une moyenne de 6 kilos dans notre département. Malgré les efforts que nous entreprenons, en transhumant par exemple à plus de 100 kilomètres, nous sommes complètement à la rue ! »

Sous perfusion, la filière catalane a déposé, depuis 2019, quatre dossiers de reconnaissance d'état de calamité agricole pour les pertes de récoltes sur miel et les pertes de fonds sur ruche. Deux ont abouti mais en 2022, la demande a été classée hors délai.

« Les services de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer et de la préfecture n'ont pas réagi à temps, c'est un loupé administratif, ne décolère pas André Huguet. Du coup, nous avons engagé une procédure devant le Tribunal administratif de Montpellier. Mais cette situation financière a fragilisé nombre d'apiculteurs. D'ailleurs, une dizaine d'entre eux arrêtent à ce jour leur activité. Et je m'inquiète pour 2023 car le calcul des indemnités à changé : il faut désormais souscrire des assurances privées. Sauf qu'aucune ne veut prendre en charge les pertes de récoltes ! Les aides nationales et européennes pour aider au repeuplement du cheptel sont insuffisantes (plafond : 7.000 euros, NDLR). L'Etat continue de se désengager toujours plus alors que nous avons besoin de mesures spécifiques, d'un revenu de survie. »

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La pause du plan Ecophyto mal perçue

Selon Yves Daricault, apiculteur et ingénieur agronome, auteur du livre Plantons les arbres pour les abeilles, un degré de réchauffement déplace la zone de confort de la végétation de 200 kilomètres vers le nord. A ce changement climatique qui induit un vrai bouleversement dans l'activité de la filière apicole, s'ajoutent les problèmes d'inflation, la hausse des carburants, la lutte contre le frelon asiatique ou le varroa... Dernièrement, l'annonce du ministre de l'Agriculture Marc Fesneau sur la « pause » du plan Ecophyto, a sonné comme un coup de grâce.

« Suspendre ce plan, c'est repartir en arrière et répondre aux doléances de l'agro-industrie ! », s'alarme Miquel Barcelo, apiculteur depuis 1984 et président de la miellerie coopérative d'Ortaffa (11 adhérents).

Concourant à préserver et mesurer la biodiversité, l'apiculteur bénéficie d'un vrai capital sympathie auprès des français. Pour autant, des études spécifiques sur le miel démontrent que les consommateurs ont une connaissance assez vague du processus de fabrication d'un miel ainsi que de ses ingrédients. En 2023, la Commission européenne a d'ailleurs mené une enquête dans le but d'évaluer la quantité de miels frelatés au sucre sur le marché. Résultats édifiants : 46% des miels importés étaient non conformes aux exigences. Le miel est d'ailleurs le troisième produit le plus frelaté. En juillet dernier, une entreprise perpignanaise a été épinglée par le tribunal judiciaire, suite à la plainte de la Confédération Paysanne, pour avoir apposé sur ses fûts de miel des étiquettes portant le logo « miel du Roussillon » et la mention origine France alors qu'il s'agissait de productions chinoises, roumaines et espagnoles...

« L'USAR a exploré la piste de l'IGP qui permettrait de valoriser la production des apiculteurs mais les démarches prennent en moyenne dix ans et coûtent de l'argent, explique l'ancien président de l'USAR, Miquel Barcelo. Nous attendons maintenant des autorités qu'elles nous accompagnent et nous aident à accélérer. »

Planter des cactus

Pour sortir de l'ornière, la filière apicole cherche des solutions.

« Les prévisions météorologiques ne nous rassurent pas, constate Alain Huguet. Il faut reconsidérer l'apiculture professionnelle sur notre territoire, et peut-être changer de modèle en optant par exemple pour une rotation des cultures. En viticulture, il y a des plans d'arrachage de vignoble pour replanter des cépages résistants. Je préconise d'appliquer cette mesure en réduisant nos cheptels au profit de plantations de cactus, dont la flore est très attractive pour les abeilles, ou de pistachier, très résistant face aux restrictions d'eau. L'idée, qui va être soumise au préfet, serait d'indemniser les apiculteurs à hauteur de 180 euros par ruches, ce qui leur permettrait de tenir le coup et de se relancer. »

Changer les circuits de transhumance en déplaçant les ruches sur des régions plus humides, acheter du miel à des producteurs qui sont sur-stockés, surfer sur l'agrotourisme pour faire découvrir l'activité apicole, restaurer des cheptels plus adaptés au territoire méditerranéen... La filière catalane explore de nombreuses pistes, bien décidée à ce que l'apiculture ne soit plus le parent pauvre de l'agriculture.

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