Industrie de demain : délocalation, relocalisation, co-localisation ?

Rentrée économique (1/2) - Le 28 janvier, La Tribune Montpellier organisait son événement "La rentrée économique", où étaient invités les acteurs économiques du territoire pour faire le point sur l’état de l’économie régionale et sur les perspectives 2021 dans un contexte de crise sanitaire au cœur de tout. Au cœur des débats : quelle industrie au service de quel projet de société ? Extraits.
L'événement La rentrée économique 2021 organisé par La Tribune Montpellier interroge l'avenir de l'industrie en France et sur le territoire régional de l'Occitanie.
L'événement "La rentrée économique 2021" organisé par La Tribune Montpellier interroge l'avenir de l'industrie en France et sur le territoire régional de l'Occitanie. (Crédits : Eric Durand)

Industrie du futur, relocalisation industrielle, quelles perspectives pour l'Occitanie ? C'est l'une des questions, majeure dans le contexte économique et sanitaire que traverse le pays, que posait l'événement de "La rentrée économique", organisé par La Tribune Montpellier le 28 janvier (à voir en replay ici).

  • Relocaliser : ce que cela sous-entend

« La dimension d'industrie du futur, c'est l'idée de moderniser les sites, de les automatiser et de transformer l'industrie à travers des briques technologiques, souligne en préambule Anaïs Voy-Gillis, docteur en géographie/géopolitique & consultante au sein du cabinet June Partners. Mais quelle industrie veut-on au service de quel projet de société ? Le terme de relocalisation est un peu trompeur car on sous-entend peut-être qu'on va faire revenir des activités qui sont parties. On veut une industrie plus décarbonée, plus proche des lieux de consommation, et qui soit aussi exportatrice. Or deux questions majeures vont se poser, qui sont deux paradoxes de cette période. D'abord quelle acceptabilité en termes de responsabilité environnementale ? Car en délocalisant, on a exporté cette responsabilité. Et ensuite, la question du prix des produits made in France : les consommateurs ou les acheteurs publics français sont-ils prêts à payer un peu plus cher ?... La question n'est pas tant la relocalisation que la re-création de valeurs en France.  Mais tant qu'on n'aura pas une demande structurée pour des produits made in France et des écosystèmes solides, on risque d'être dans un vœu pieux. »

  • Relocaliser : a-t-on les moyens ?

« L'industrie française va être confrontée à deux grands défis : surmonter la crise, et les dispos publics ne sont pas forcément de nature à surmonter cette crise, et financer les transitions, comme la décarbonation par exemple, or une entreprise seule n'a pas forcément les moyens, pointe Anaïs Voy-Gillis. On se retrouve dans un jeu de compétitivité hasardeux : certaines entreprises ont délocalisé pour des questions environnementales car les législations française et européenne étaient plus contraignantes et on se retrouve à importer des produits qui n'ont pas ces contraintes. Les industriels qui investissent dans cette décarbonation se retrouvent en compétitivité négative avec d'autres industriels en Asie notamment. Le jeu n'est pas égal. »

  • Relocaliser : quel rôle pour les pouvoirs publics ?

« J'aime l'idée de la "renaissance" de l'industrie qui est une histoire collective, souligne Anaïs Voy-Gillis. Or ça commence par les consommateurs. Si collectivement, on fait évoluer nos politiques d'achats, on peut contribuer à relancer notre industrie. Il y a aussi rôle des pouvoirs publics et à un moment, il faudra aller batailler avec Bruxelles car il y a cette contrainte de non-discrimination, issue d'un traité qui date de 1957 ! Si on veut une concurrence libre et non faussée, il faut introduire d'autres critères que la non-discrimination. »

« Quand on dit relocalisation, les pouvoirs publics peuvent passer pour des naïfs. Mais aujourd'hui, on sait relocaliser des bouts de la chaîne de valeur, assure Marie-Thérèse Mercier, conseillère régionale Région Occitanie. L'agence régionale des investissements stratégiques que la Région vient de créer a lancé appel à projet RELOC pour identifier des projets. La priorité, c'est que les emplois se créent ici. L'agence sera capable d'intervenir sur l'ingénierie financière, le foncier, le volet innovation. »

  • Relocaliser : les entrepreneurs en prise avec quelle réalité ?

« Notre unité de production de lingerie en Roumanie a subi une importante perte de chiffre d'affaires et s'est posée la question de réduire l'outil de production, témoigne Dominique Seau, P-dg d'Eminence (30). On a failli licencier 120 personnes en Roumanie mais on a cherché une alternative : on a réussi à vendre l'usine en décembre pour fabrication de canapés et faire en sorte que les 120 personnes gardent leur emploi, et on a relocalisé une partie de l'activité roumaine dans nos usines gardoises. »

« Dans cette crise, il a d'abord fallu faire en sorte que l'usine reste ouverte, puis protéger notre trésorerie et réadapter notre outil de production, ajoute Pierre-Damien Rochette, président de l'UIMM Méditerranée Ouest. Faire revenir des entreprises qui sont parties à l'étranger, c'est difficile. Il faut d'abord faire en sorte que les entreprises restent sur le territoire. Or on a un territoire qui dispose de foncier, d'énergies nouvelles avec EDF Renouvelables, Quadran-Total et Genvia (projet hydrogène, NDLR) et ce sont des projets qui demain vont ré-attirer des industries sur notre territoire. »

  • Relocaliser, mais pas seulement

« Les ¾ des membres de Leader Occitanie sont des industriels, rappelle Jalil Benabdillah, président fondateur de SDTech à Alès et président du cluster d'entreprises Leader Occitanie. Dans cette crise, nous avons appris le savoir-être, réfléchir, prioriser. Probablement que certains entrepreneurs ont changé de paradigme. Chaque crise apporte des opportunités nouvelles... Il faut des solutions pragmatiques, comme soutenir l'ingénierie financière des PME qui veulent grandir mais ne savent pas comment faire, et penser à la formation aux nouveaux des métiers de l'industrie. On peut aussi réfléchir à une socio-économie du circuit court et rattraper un retard, ce qui créera aussi des entreprises et des idées nouvelles. »

« La relocalisation est un enjeu, mais il faut aussi parler des PME déjà installées chez nous, déclare Christèle Martinez, directrice développement des entreprises chez EDF. Chez EDF nous travaillons avec de grands groupes. Pour accompagner les PME, nous leur proposons, avec notre écosystème de partenaires, de faciliter leur mutation vers l'industrie du futur pour répondre à leurs attentes techniques sur la performance énergétique, sur la décarbonation, etc. On est une porte d'entrée vers un écosystème plus large. Nous les accompagnons aussi pour aller chercher des financements, ou monter au capital de start-ups... Et enfin, quand une PME s'engage vers l'industrie du futur, elle doit penser à la conduite du changement, c'est à dire faire venir les salariés et les parties prenantes externes dans le projet. »

  • Relocaliser : quelle compétition ?

« D'autres régions et pays vont se positionner sur l'hydrogène et l'enjeu, c'est de massifier les moyens. Même chose sur l'informatique quantique. Mais ce sera toujours insuffisant par rapport à la Chine et aux États-Unis. Il faut casser les égos nationaux, car on a du mal à raisonner à de grands projets européens », met en garde Anaïs Voy-Gillis.

« Attention à ne pas tomber dans l'angélisme, renchérit Jalil Benabdillah. Ça ne sert à rien de relocaliser des usines qu'on va ensuite re-délocaliser discrètement dans cinq ou six ans. On va faire du made in France ? Mais la compétition sera là quand même. On pourrait réfléchir à "co-localiser", c'est à dire travailler intelligemment avec l'Europe et les pays du Maghreb sur un bassin méditerranéen cohérent, pour créer des emplois là-bas et ici, participer aux progrès de ces pays, sans se voiler la face d'une concurrence réelle... »

  • Relocaliser : quels freins ?

« Des choses sont en train de se faire pour réduire le temps administratif, notamment sur les sujets d'extension de site, mais il y a en France, quelque chose de problématique, c'est le principe de précaution pour prévenir tous les risques, fait observer Anaïs Voy-Gillis. Or on ne peut pas avoir une industrie innovante sans prendre des risques. C'est un frein, on a peur et donc on n'innove pas. »

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