Hydrogène décarboné : à Béziers, la factory deviendra gigafactory

DOSSIER RÉINDUSTRIALISATION. La réindustrialisation du territoire biterrois s’inscrit au cœur de la stratégie française de développer la filière hydrogène. Le projet Genvia, future gigafactory de fabrication d’électrolyseurs haute température destinés à produire de l’hydrogène décarboné compétitif, vient de franchir une étape décisive en inaugurant, le 8 juin dernier, sa première ligne pilote. Un premier démonstrateur va être construit, avant un second qui sera mis en service en conditions réelles chez ArcelorMittal. Florence Lambert, présidente de Genvia, confirme ses ambitions industrielles et le calendrier de leur déploiement.
Cécile Chaigneau
Florence Lambert, présidente de Genvia.
Florence Lambert, présidente de Genvia. (Crédits : Genvia)

LA TRIBUNE - Genvia a inauguré, le 8 juin dernier, sa ligne pilote automatisée de production d'électrolyseurs haute température sur son site de SLB (ex-Schlumberger) Béziers. Les technologies autour de l'hydrogène, énergie d'avenir stratégique sur laquelle misent de nombreux pays, dont la France, font l'objet d'une féroce compétitivité mondiale. Quel bilan faites-vous deux ans après la création de Genvia ?

Florence LAMBERT - Notre objectif initial était d'être au rendez-vous, à horizon 2030, sur un marché qui sera plus massifié. Nous sommes sur une feuille de route maîtrisée. Genvia est une entreprise qui va vite ! Par rapport au reste de l'Europe, la France a été la première à lancer sa filière autour de l'électrolyse dans le cadre du plan PIIEC (Important Project of Common Interest, ndlr). On est bien sûr dans une course internationale, et il faut toujours avoir un coup d'avance, sortir des technologies avec un différentiateur, et ce sera la performance et la compacité pour nous.

Les États-Unis se réveillent avec l'IRA (Inflation Reduction Act, ndlr). Donc il faut rester dans la course au travers de l'innovation, comme le fait la microélectronique grenobloise. Or, venant du CEA Grenoble, c'est ma culture. C'est pour cette raison que l'on garde un pied à Grenoble, au milieu d'un réseau international qui compte, par exemple, le MIT (Massachusetts Institute of Technology, aux États-Unis, ndlr) ou l'Université de Stanford (dans la Silicon Valley, ndlr), pour avoir un coup d'avance sur le design, mais aussi sur les process de fabrication. Sinon, un jour, on sera balayés.

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Mais plus je parcours la planète, plus je me rends compte que nous faisons, avec Genvia, quelque chose d'unique en poussant l'innovation sur tous les sujets : dans la technique, dans les partenariats, dans le modèle social d'entreprise multiculturel. Genvia se construit sur plusieurs échelles d'innovation, depuis les nanotechnologies jusqu'aux aspects systèmes, et sur plusieurs échelles géographiques, puisque nous sommes ancrés dans le Biterrois, dans la stratégie française de France 2030, et que nous avons une ambition internationale.

Entre 2011 et 2020, l'Union européenne et le Japon ont représenté respectivement 28% et 24% des demandes de brevets internationaux en lien avec l'hydrogène, les États-Unis 20%, la France 6% avec le CEA en pole position. Genvia est-elle bien placée dans cette course ?

Genvia est très bien placée. Notre technologie est protégée par près de 70 brevets. Nous revendiquons être dans le top 3 mondial de la catégorie des électrolyseurs haute température. Cette première ligne de production, que nous venons d'inaugurer, constitue notre premier brin d'ADN, la production industrielle, mais notre deuxième brin d'ADN, c'est cette connexion continue à l'innovation technologique, qu'elle soit grenobloise avec le CEA, ou à Clamart (sur le site de l'actionnaire SLB - ndlr) où se situe notre équipe d'ingénierie multi-compétences et rompue à la fiabilité et à la sécurité des systèmes.

Vous dites défricher encore des sujets de haute technologie. Existe-t-il encore des verrous à faire sauter ?

Non, il n'y a plus de verrous. L'hydrogène, on sait le produire depuis très longtemps, mais il s'agit d'hydrogène gris, qui produit du CO2. Quant à notre technologie, elle permettra de produire de l'hydrogène décarboné. Il faut encore la dérisquer sur certains points, car c'est un système qui requiert une maîtrise de plein de sujets techniques différents - science des matériaux, mécanique, fluidique -, l'objectif étant au final de permettre la production d'hydrogène à un coût compétitif à moins de 2 euros le kg, et ce, en toute sécurité et avec une qualité de service.

Quels sont les marchés applicatifs que vous visez ?

Essentiellement la décarbonation de l'industrie, pour laquelle l'hydrogène est la clé de voûte. Et cela ouvre la voie à de nombreux couplages énergétiques grâce à son haut rendement. Il s'agira de remplacer l'hydrogène gris issu du vaporeformage, de se substituer au gaz naturel ou au charbon dans les procédés de combustion qui émettent du CO2 comme dans la sidérurgie. Et enfin de capter le CO2 ultime d'une aciérie ou d'une cimenterie pour le combiner avec notre hydrogène et produire un carburant de synthèse, notamment pour l'aviation.

Quelles sont les capacités de cette ligne pilote, aujourd'hui opérationnelle ?

Cette ligne pilote est modulaire et digitale, afin d'accompagner les déploiements de l'entreprise dans la durée. Au départ, sa capacité théorique sera de quelques mégawatts. Elle sera améliorée pour atteindre quelques centaines de mégawatts. Dès cette année, elle couvrira la partie système, puisque nous installerons, cet été, la ligne d'assemblage de modules.

Vos équipes vont désormais travailler à l'élaboration d'un premier démonstrateur, puis d'un second en conditions réelles chez un industriel...

En effet, dès 2023, nous aurons une vision système, avec un premier démonstrateur qui sera construit et testé à Béziers, puis transféré au CEA de Grenoble en 2024 pour d'autres tests sur des temps longs. Ce faisant, nous aurons multiplié notre taille de système par 100 depuis notre création. Nous construirons ensuite un démonstrateur qui sera installé en conditions réelles, en 2025, sur le site du sidérurgiste ArcelorMittal, à Saint-Chély-d'Apcher en Lozère (site de production d'aciers électriques haut de gamme destinés au marché de l'électromobilité, ndlr).

Quel est l'intérêt de recourir aux électrolyseurs de Genvia dans l'industrie de l'acier ou les cimenteries ?

Ces industries ont besoin d'hydrogène décarboné pour décarboner leurs process. Et notre technologie peut s'insérer dans les process de nos partenaires industriels pour aller rechercher des points chauds. Valoriser cette chaleur permet d'atteindre des rendements extraordinaires, de l'ordre de 30% supplémentaires par rapport aux technologies d'électrolyse, puisque l'énergie thermique vient se substituer à une part de l'énergie électrique nécessaire.

Quelles sont les prochaines étapes du déploiement de Genvia ?

Nous poserons la première pierre, en 2026, d'une factory qui deviendra giga. À partir de 2026, Genvia produira son premier produit, l'H-Pod 600 (un électrolyseur d'une capacité de production de 600 kg d'hydrogène par jour, ndlr). L'idée, c'est d'accélérer à partir de 2026 et nous pourrions atteindre l'équivalent de 1 GW d'électrolyseurs autour de 2030, mais ce sera conditionné à la maturité du marché et des usages.

Cette ligne pilote préfigure le projet de gigafactory qui signe une réindustrialisation du territoire biterrois. Vous aurez besoin de beaucoup de foncier : existe-t-il un doute sur son implantation ?

Nous aurons besoin, au départ, de 30 hectares, mais avec la possibilité de s'étendre. Il n'y a pas de doute sur notre implantation à Béziers, et l'idée est d'anticiper le plus possible et de travailler avec les autres acteurs économiques du territoire pour examiner les opportunités afin de nous positionner suffisamment tôt pour ne pas bloquer d'autres projets. Il faut aussi penser au logement des salariés sur le territoire... Nous travaillons donc avec les collectivités du Biterrois. Nous ferons le point en fin d'année.

La réindustrialisation du site de Béziers va profiter à tout un écosystème d'entreprises régionales, que vous avez souhaité embarquer au sein du cluster EDEN, sur le modèle de la Silicon Valley : où en est-on ?

Le deuxième comité EDEN s'est tenu le 24 mai dernier, avec pas loin de 200 personnes. Un des sujets majeurs qui a été abordé porte sur les besoins en formation pour accompagner le déploiement industriel de Genvia. Aujourd'hui, Genvia emploie 120 personnes et ce seront 400 à terme, principalement à Béziers, et plus du double en emplois indirects. Sur ce sujet, la rectrice Sophie Béjean nous soutient beaucoup. Deux formations ouvriront dès septembre prochain à Béziers : un bac professionnel "Pilote de ligne de production" au lycée Jean Moulin, et une nouvelle Licence professionnelle "IA et robotique intelligente" à l'IUT. Et il est prévu que Genvia intègre plusieurs de ces alternants en apprentissage.

D'autres ouvertures de formation sont en discussion. Nous nous inspirons également du projet GenHyO (pour Génération hydrogène Occitanie, ndlr) qui a pour objectif de donner une coloration, un prisme hydrogène aux formations existantes. La Région Occitanie, qui ambitionne de devenir la première région d'Europe à énergie positive, est également très active sur les enjeux liés aux besoins en compétences et métiers d'avenir au travers de ce projet GenHyO. Ce dernier vise l'émergence de talents en lien avec l'hydrogène décarboné via la sensibilisation des étudiants et l'adaptation des formations.

Par ailleurs, il y a aussi un sujet d'attractivité que nous évoquons avec EDEN : nous n'avons plus envie qu'on nous demande pourquoi Béziers !

Genvia a bénéficié de plusieurs subventions publiques (2,55 millions d'euros de l'appel à projets « Soutien à l'investissement industriel dans les territoires » et 4,39 millions d'euros de l'appel à projets « Briques technologiques et démonstrateurs hydrogène » opéré par l'Ademe). En outre, le projet fait partie des dix projets industriels français sélectionnés dans le cadre du PIIEC Hy2tech. Quels seront vos futurs besoins en financement ?

Ces premiers financements, ajoutés aux financements privés de nos actionnaires, nous ont permis de ne pas ralentir. Le PIIEC, quant à lui, sera de l'ordre de 200 millions d'euros. Il va nous permettre de soutenir le passage à l'échelle industrielle, ce qui comprend la première ligne pilote et les prochains déploiements. L'argent sera débloqué d'ici à 2027, au fur et à mesure que nous atteindrons les différents jalons. Par ailleurs, nous aurons atteint notre maturité technologique en 2024 et nous pourrons alors faire une grosse levée de fonds.

La Commission européenne a annoncé, début juin, que l'Europe allait subventionner l'achat d'hydrogène vert hors d'Europe. Cette stratégie va-t-elle à l'encontre de projets comme celui de Genvia, tout comme le futur pipeline H2Med d'hydrogène entre Barcelone et Marseille ?

Ça pourrait. Mais l'État ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Il ne peut pas ne pas considérer la possibilité de récupérer de l'hydrogène issue des sweet-spots (énergie solaire à bas coût, ndlr), et qui va permettre le déploiement des infrastructures qui bénéficieront à l'ensemble de la filière H2. En revanche, il considère et soutient aussi beaucoup cet avantage de l'hydrogène de pouvoir se produire localement sur le territoire.

Le gouvernement travaille sur un projet de loi industrie verte, visant à mettre en place la production de nouvelles technologies et à décarboner l'industrie existante. On est exactement sur les ambitions de Genvia : en attendez-vous quelque chose ?

Nous avons été plutôt bien soutenus par l'État, pour la recherche, pour le déploiement et la mise à l'échelle industrielle. Aujourd'hui, on attend de la simplification au regard de l'IRA qui simplifie beaucoup de choses pour les industriels américains. Nous avons aussi besoin d'étoffer les réseaux avec nos partenaires sur la chaîne de valeur, car le déploiement de l'hydrogène va se jouer sur le long terme. Il faut donc prévoir de soutenir la filière sur le temps long. Mais le gouvernement a consulté différents acteurs industriels et dans ce cadre, j'ai eu l'occasion d'exprimer nos attentes.

Dossier réindustrialisation

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Cécile Chaigneau

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