Pollution « record » des eaux aux polluants éternels autour de l’usine chimique Solvay de Salindres, dans le Gard

Générations Futures dévoile le 6 février des résultats d’analyse montrant une contamination importante, par les PFAS (polluants éternels), des eaux de surface et de l’eau potable aux alentours de la plateforme chimique de Salindres, dans le Gard. L’association pointe un « risque potentiel pour la santé publique ». Quant au président d'Alès Agglomération, il regrette de ne pas été avoir informé des travaux menés par l'association.
Cécile Chaigneau
L'usine Solvay, à Salindres dans le Gard.
L'usine Solvay, à Salindres dans le Gard. (Crédits : Solvay)

Des « concentrations inquiétantes à des niveaux exceptionnellement élevés » de PFAS (composés per- et polyfluoroalkylés) dans les eaux de surface et l'eau potable des communes aux alentours de la plateforme chimique de Salindres, dans le Gard, en particulier pour l'acide trifluoroacétique (TFA) et l'acide triflique. C'est la conclusion d'analyses que l'association Générations Futures révèle, ce 6 février. C'est là que se trouve une usine du groupe belge Solvay...

A l'origine de la campagne d'analyses menée par Générations Futures : le « Forever Pollution Project », une enquête internationale coordonnée par Le Monde et publiée en février 2023. L'usine gardoise de Solvay y était identifiée comme l'une des cinq usines de production de PFAS en France, mais il n'existait aucune information sur les niveaux de pollution. Les données de ces analyses ont été révélées tôt ce 6 février par Le Monde, France 3 et la RTBF (Belgique) qui ont conjointement enquêté sur ce qui pourrait être la plus importante pollution jamais détectée de PFAS, des « polluants éternels » qui peuvent persister dans l'environnement pendant des siècles...

En septembre et novembre 2023, dix prélèvements ont été effectués en dix lieux différents, sept pour les eaux de surface en amont comme en aval  des rivières Arias et Avène, qui coulent de part et d'autre de la plateforme chimique, et plus loin dans le Gardon, ainsi que trois dans l'eau du robinet de communes de Moussac et Boucoiran-et-Nozières situées à une vingtaine de kilomètres à vol d'oiseau.

TFA et acide triflique, c'est quoi ?

Le TFA est utilisé comme matière première dans la fabrication de pesticides ou de produits pharmaceutiques (comme le Prozac, par exemple), et c'est aussi un produit de dégradation de nombreuses substances (gaz fluorés, pesticides, PFAS). Le TFA comme l'acide triflique sont aussi des réactifs chimiques. Les données toxicologiques et éco-toxicologiques sur ces polluants, très persistants, sont « très lacunaires », selon Générations Futures.

TFA sous surveillance en Allemagne

Concernant les eaux de surface, les analyses révèlent des concentrations de TFA de  7.600 µg/l dans les rejets de l'usine, jusqu'à 7.500 µg/l dans l'Arias et 3.900 µg/l dans l'Avène. 16 µg/l de TFA ont également été  retrouvés dans la rivière Gard, « montrant que la contamination s'étend bien en aval de la plateforme ».

« 99,9% des PFAS retrouvés sont des substance fabriquées par Solvay, en particulier du TFA et acide trifly, fait observer Pauline Cervan, toxicologue à Générations Futures. Ces concentrations de TFA dans les eaux de surface dépassent de loin les valeurs observées dans d'autres régions touchées par des pollutions aux PFAS, montrant une situation particulièrement préoccupante autour de Salindres. D'après nos recherches, le record de concentration de TFA était détenu par la rivière Neckar en Allemagne, en 2015, également en proximité d'une usine Solvay : 140 µg/l, une concentration alors jugée "exceptionnellement élevée" par l'agence allemande UBA qui avait déclenché un programme de surveillance. »

Quant aux concentrations en acide triflique (jusqu'à 2.000 µg/l), « elles sont également largement supérieures aux concentrations mesurées jusqu'à présent d'après les données existantes dans la littérature », écrit Générations Futures dans son rapport. D'autres substances, également des polluants persistants, ont été identifiées, portant à 14 le nombre de PFAS différents retrouvés.

Risque de reprotoxicité

Aucun PFAS n'a été détecté dans l'eau potable de Salindres, « ce qui n'est pas une surprise car le captage est très en amont de la plateforme chimique », souligne Pauline Cervan. En revanche, les analyses ont mis à jour la présence de TFA dans l'eau potable des communes de Boucoiran et Moussac, en bordure du Gard, à des concentrations de 19 µg/l et 18 µg/l, « soit 38 et 36 fois plus élevées que les normes européennes applicables à tous les perfluorés et fixées par la Directive sur les eaux à destination de la consommation humaine », indique Générations Futures.

« Y a-t-il un risque pour la santé à boire cette eau contaminée ?, interroge Pauline Cervan. Les valeurs limites issues de la directive européenne sur l'eau potable, qui seront appliquées en France à partir de 2026, n'incluent pas le TFA. L'agence allemande, elle, propose une valeur sanitaire de 60 µg/l mais sur la base sur une étude de toxicité réalisée par...Solvay ! Elle recommande néanmoins de viser une teneur en TFA bien inférieur à 10 µg/l. Quant à l'agence hollandaise RIVM, elle a fixé une valeur sanitaire de 2,2 µg/l ! Par ailleurs, depuis décembre 2023, l'Allemagne a indiqué son intention de déposer un dossier de classification du TFA en tant que reprotoxique (toxicité pour la reproduction et/ou la fertilité, NDLR). Un risque pour la santé n'est donc pas exclu. C'est maintenant aux autorités d'agir pour diminuer ce niveau de TFA dans l'eau potable. »

« Dans les clous »

L'usine de Salindres est passée du groupe Pechiney à Saint-Gobain, puis Rhône-Poulenc et enfin Rhodia, avant d'être repris par le groupe belge Solvay en 2011. Mais selon Générations Futures, la fabrication de TFA à Salindres remonte à 1982, avec des rejets de 80 kg/jour en 2011, « sans limite établie ni surveillance des eaux ». En 2017, un arrêté préfectoral limitait les rejets à 40 kg/jour, mais toujours sans surveillance des eaux.

« Depuis mars 2023, un nouvel arrêté limite les rejets autorisés à 20 kg/jour pour le TFA et 7 kg/jour pour l'acide triflique, avec un suivi mensuel dans l'Avène et semestriel dans les eaux souterraines, indique Pauline Cervan. Il est prévu qu'un arrêté limite les rejets à 5 kg/jour en 2027 pour le TFA et l'acide triflique. Donc aujourd'hui, ils sont dans les clous et ils peuvent même encore en larguer davantage ! On se demande comment ces limites ont été fixées et sur la base de quelles données ? »

Interrogée sur l'existence ou non de substituts aux PFAS dans les procédés industriels, Pauline Cervan répond que « il existe des alternatives pour beaucoup d'usages... Par exemple, l'agriculture biologique prouve qu'on peut se passer d'herbicides et de pesticides ».

Les PFAS ne figurant pas dans la réglementation environnementale sur les émissions industrielles surveillées par les agences de l'eau, le service communication du groupe Solvay fait valoir, dans l'enquête Le Monde/France 3/RTBF que « Solvay respecte strictement les réglementations et les seuils en vigueur, sous le contrôle de la DREAL ».

Installation classée pour la protection de l'environnement soumise à autorisation, l'usine de Solvay est également Seveso seuil haut. A ce titre, l'avocat de Générations Futures, Me François Lafforgue, indique qu'il va déposer une plainte pénale sur deux infractions au code de l'environnement : le délit d'atteinte aux poissons et le délit de pollution aggravée des eaux.

Cancer cérébral : un cluster autour de Salindres ?

François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, énonce les demandes de l'association au vu de ces analyses : « Tout d'abord, la diminution rapide et drastique des rejets de TFA et d'acide trifilique en application du principe de précaution. Le simple respect de l'arrêté ne suffit pas... Nous demandons la surveillance des milieux aquatiques autour de l'usine mais aussi bien plus loin en aval et en amont, et une surveillance au niveau national. Nous demandons des actions immédiates pour réduire la concentration en TFA dans l'eau potable des villes de Boucoiran et Moussac, une surveillance accrue de l'eau potable, incluant le TFA et l'acide triflique en aval de la plateforme chimique de Salindres. Et l'inclusion des PFAS dans la surveillance régulière de l'eau potable sur tout le territoire sans attendre 2026 ».

« Enfin, on demande à Santé publique France, à l'ARS Occitanie et à la DREAL Occitanie d'inclure les PFAS dans leurs investigations relatives au cas de glioblastome (cancer cérébral, NDLR) à Salindres et Rousson, où un nombre élevé de cas a été signalé, pour évaluer le lien potentiel avec l'exposition aux PFAS, ajoute le porte-parole de Générations Futures. Nous allons saisir l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, NDLR) et leur demander de publier un avis sur l'impact du TFA et de l'acide triflique sur la santé et l'environnement, et sur la toxicité reproductive du TFA, ainsi qu'une valeur sanitaire pour l'eau potable... Les résultats de notre enquête doivent inciter les pouvoirs publics à prendre des mesures immédiates. Nous ne pouvons plus ignorer la menace que les PFAS représentent pour nos écosystèmes et notre santé. Nous appelons les autorités à répondre à nos demandes dans les plus brefs délais. »

Hasard du calendrier, une mise à jour de l'étude de l'agence Santé publique France intitulée « Suspicion d'excès de cas de glioblastomes dans les communes gardoises de Salindres et Rousson » devait être rendue publique ce 6 février en fin de journée. A l'heure où nous publions cet article, Santé publique France n'avait encore rien publié. Mais selon Etienne Malachanne, maire de Salindres, et Ghislain Chassary, maire de Rousson, « il en ressort l'absence de lien avec la situation locale. Le niveau de fréquence [de glioblastome] se retrouve identique sur 135 communes du nord du Gard. Santé publique France va poursuivre l'étude au niveau national avec des liaisons internationales.
C'est une pathologie plus fréquente chez les personnes de plus de 60 ans, la fréquence de la maladie augmente donc avec l'augmentation de la moyenne d'âge de la population ».

Quant à l'ARS Occitanie ou l'agence de l'eau Rhône Méditerranée, sollicitées par La Tribune ce 6 février, elles n'ont pas donné suite.

« Ne pas faire peur inutilement »

Dans ce coin du Gard, l'enquête du consortium de médias puis la publication des analyses par Générations Futures a semé le trouble et l'inquiétude. La colère aussi. Ainsi, le président d'Alès Agglomération, Christophe Rivenq, regrette-t-il de ne pas avoir été mis au courant...

« Ça fait sept mois qu'ils sont sur le terrain, dommage qu'on n'est pas été prévenus, l'agglomération étant responsable de la distribution de l'eau (en régie directe, tandis que Veolia œuvre en délégation de service public pour la production de l'eau, NDLR), déclare-t-il à La Tribune. Ce sont des méthodes qui m'agacent... Le site industriel de Salindres est classé donc surveillé par la DREAL qui dit qu'il est conforme aux règles. Il y a un an, j'avais saisi l'ARS Occitanie sur les PFAS et on m'a dit que la législation allait changer en 2026 mais qu'il n'y avait pas d'enjeu sur le territoire. En anticipation de ce changement de législation, j'ai lancé des études sur les 70 pompages du territoire et nous avons eu les résultats ce matin : 1,8 ng/litre (soit 0,001 8 µg/l - NDLR) sur les communes concernées, alors que les normes imposent 100 ng/l (soit 0,1 µg/l - NDLR). Quant aux TFA, ils ne sont pas à rechercher en France. »

L'élu se dit preneur d'information sur les risques auxquels sont exposés son territoire et ses habitants mais refuse le procès d'intention : « Il faut être vigilant sur la ressource et la qualité de l'eau, mais elle n'a jamais été autant traitée et en effet on y trouve plein de trucs ! Même l'eau minérale est pire parfois... Je veux connaître le risque pour la santé humaine mais il ne faut pas faire peur inutilement. Or aujourd'hui, personne ne sait quel risque il y a pour la santé à trouver des TFA dans l'eau du robinet ! Les communes de Salindres et de Rousson, où on a trouvé des personnes souffrant de glioblastomes, ne sont pas concernées par la contamination de l'eau potable. Donc faire le lien entre glioblastome et l'eau du robinet est un problème. Ce que je demande à l'ARS et au ministère de la Santé, ce sont des éléments factuels et scientifiques sur les dangers des TFA. Si Solvay fait n'importe quoi, je n'hésiterai pas à demander sa fermeture et je déposerai plainte, mais on ne peut pas dire tout et n'importe quoi tant qu'on ne sait pas ! Je ne fais pas de procès d'intention ».

« Aucun lien prouvé scientifiquement »

Quant aux maires de Salindres et de Rousson, ils ajoutent dans leur communiqué commun, que « concernant les PFAS, la situation est totalement réglementaire et contrôlée très régulièrement.
Il existe plusieurs milliers de types différents de PFAS au plan mondial.
 Les services de l'Etat suivent les analyses.
 Les industriels assurent la transparence avec les autorités.
 L'eau consommée sur nos communes est prélevée depuis des années à une quinzaine de kilomètres et est distribuée sur une vingtaine de communes dont Alès. 
Il n'y a aucun lien prouvé scientifiquement entre les deux situations (la pollution et les cancers du cerveau, NDLR), cela est rappelé par les experts de Santé publique France ».

Cécile Chaigneau

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Commentaires 3
à écrit le 07/02/2024 à 3:00
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Solution évidente, il faudra fermer cette usine qui n'est pas de taille importante, pour Solvay ce ne sera pas un problème insurmontable de la délocaliser hors d'Europe. Le Gard est un département suffisamment riche pour se passer d'une usine 😁

le 07/02/2024 à 7:57
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"de la délocaliser hors d'Europe" Et pourquoi hors d'europe ?! Le moldave est à 150 balles par mois ! Faudrait être logique avec vous-mêmes de temps en temps les gars !

à écrit le 06/02/2024 à 19:20
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"75% des nouveaux cas de cancers sont dus à la pollution" C'est ce que j'avais lu en 2005 dans le sud ouest de la part d'un professeur de médecine bordelais. Tout semble le vérifier.

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