Procès du tourisme ? Attention à ne pas « faire de l’été 2023 l’été meurtrier du tourisme français » (Jean Pinard, CRTL Occitanie)

ENTRETIEN - Alors que l’été bat son plein, le tourisme est l’un des sujets favoris des médias, des réseaux sociaux et des conversations. Avec souvent un prisme négatif, celui du sur-tourisme et son empreinte carbone, son impact négatif sur les écosystèmes naturels, son poids sur la dégradation du patrimoine, etc. En Occitanie, l’une des régions françaises sur le podium de la fréquentation en été, le directeur du Comité régional du tourisme et des loisirs d’Occitanie, Jean Pinard, met en garde ceux qui tapent volontiers sur le tourisme et ceux qui prodiguent les bons conseils…
Cécile Chaigneau
Jean Pinard, directeur du Comité régional du tourisme et des loisirs d'Occitanie.
Jean Pinard, directeur du Comité régional du tourisme et des loisirs d'Occitanie. (Crédits : DR)

Sur-tourisme, tourisme de masse, empreinte carbone, fréquentation affolante, dégradation des lieux de vie, surenchères immobilières, impact sur les écosystèmes naturels, impact sur le patrimoine culturel,... Les critiques sur l'économie touristique vont bon train. Jean Pinard, le directeur du Comité régional du tourisme et des loisirs (CRTL) d'Occitanie, s'agace, regrettant les prises de positions de ceux qui « [remettent] une pièce dans la machine, pour faire de l'été 2023, l'été meurtrier du tourisme français »...

LA TRIBUNE - Quand on parle tourisme aujourd'hui, on évoque volontiers les problématiques liées au sur-tourisme. Sans nier leur réalité, vous mettez en garde contre ce prisme quasi-unique du sujet. Pourquoi ?

Jean PINARD - On observe en effet cette frénésie qui a vu plein de gens et de médias communiquer sur le sur-tourisme en déformant la problématique : personne ne nie la sur-fréquentation de certains sites, mais c'est un sujet parmi d'autres. La France est sur le 45e parallèle et oui, il existe des saisons : il fait jour quatre heures de plus en juillet qu'en novembre, la mer est chaude en été, les entreprises ferment au mois d'août, etc. Dire qu'il faudrait mieux répartir la fréquentation - et c'est devenu une espèce de mantra - certes, mais va-t-on demander aux entreprises de ne pas fermer en août ou à l'Education nationale de permettre aux régions de choisir leurs dates de vacances ? Donc oui, il y aura toujours plus de gens sur la plage en été qu'en novembre et il est inutile de pointer du doigt les gens qui n'ont pas le choix que de partir en été ! C'est une forme de mépris de classe de la part de quelques élites qui ont des moyens et qui viennent se moquer des gens qui partent au même moment et qui plus est, au même endroit. Ce qu'on appelle le tourisme de masse. Prenons l'exemple, en Occitanie, de La Grande Motte : elle accueille 100.000 personnes actuellement parce que la station balnéaire a été aménagée pour ça ! Cette station a un pavillon bleu, une station d'épuration calibrée pour 100.000 visiteurs, c'est ombragé, il y a des mobilités douces. C'est un modèle de développement durable et son impact est plus performant qu'un espace qui ne serait pas aménagé ! On peut regretter "la bétonisation du littoral", mais il faut se souvenir, comme pour la MIACA en Aquitaine, des objectifs de ces programmes d'aménagement qui auront permis une vraie démocratisation des vacances. Critiquer le tourisme de masse, c'est critiquer les gens qui habitent en HLM quand on habite une jolie maison... La jauge de La Grande Motte n'est jamais dépassée ! Et c'est curieux comme le sujet du sur-tourisme ne concerne toujours que la saison d'été et jamais le marché de Noël de Strasbourg ou le festival de jazz de Marciac qui battent des records de fréquentation, et c'est une bonne chose !

Vous vous dites « déçu » par une tribune de Xavier Alberti, président chez Majorian (plateforme de services dédiée aux entrepreneurs de l'hospitalité et de la restauration), publiée dans Le point et titrée "Repenser l'attractivité touristique française". En quoi êtes-vous déçu ?

Il dit en quelque sorte qu'un tourisme vertueux est possible mais fait comme si personne n'avait encore entamé aucune démarche pour améliorer les choses ! Il semble ignorer tous ces acteurs, les organismes de gestion de destination qui se battent au quotidien pour un autre tourisme, pour un tourisme plus responsable. On entend beaucoup de « y a qu'à faut qu'on »... Mais avec le soutien à l'oenotourisme, à l'agritourisme, aux visites d'entreprises ou au développement des sports nature, ça fait quand même un sacré bout de temps qu'on le développe aux côtés des professionnels et des consulaires, ce tourisme que Xavier Alberti appelle le tourisme régénératif, c'est à dire aller se régénérer en allant à la rencontre d'autres cultures, ce qui est une niche... On peut certainement encore faire mieux mais proposer qu'on aille vers des vacances plus vertueuses, c'est culpabilisant. Et il y a cette idée que si les gens n'ont pas les codes pour être de bons voyageurs, ils n'ont qu'à rester chez eux ! Au CRTL, je me bats sur le fait que l'accès aux loisirs pour le plus grand nombre est un vrai combat de société : soit on laisse les gens dans les loisirs digitaux qui assignent à résidence et les excluent, soit on se bat pour qu'ils sortent de chez eux. L'initiative de la Région Occitanie avec le billet de train à 1 euro*, ça fonctionne. Si on ne fait rien, on crée une société à deux vitesses... Nos organismes devraient encore davantage travailler là-dessus mais c'est plus difficile que d'aller chercher des vacanciers à l'autre bout du monde ! Quant à élargir les ailes de saisons, oui on essaie de le faire, en particulier là aussi auprès d'une clientèle de proximité. Fin septembre, la Méditerranée sera encore à 25° et de plus en plus de gens viendront... Mais désaisonnaliser ne se décrète pas : cela correspond aux retraités, aux grands-parents avec de jeunes enfants non scolarisés.

Que pensez-vous des solutions que Xavier Alberti évoque : jouer sur les visas touristiques, la mise en place de paliers de détaxe, la variation des taxes de séjour ou la dégressivité des prix des nuitées ?

En France, 90% des touristes sont européens donc il n'y a pas de visa ! Quant à la dégressivité des prix, tous les opérateurs le font déjà. L'idée des taxes aux entreprises qui varient suivant la saisonnalité, oui si un restaurant n'ouvre que de juin à sept par exemple, mais c'est marginal.

Pourquoi fustigez-vous ces critiques sur l'économie touristique en leur reprochant de « faire de l'été 2023, l'été meurtrier du tourisme français » ?

Début 2020, le tourisme était en état de mort cérébrale. Et aujourd'hui, le tourisme, c'est "beurk" ! Oui, il y a des choses à corriger, mais le secteur pèse en terme d'économie mais aussi de bien-être, et on ne peut pas rayer tout ça d'un trait ! Il y a une catégorie d'acteurs un peu hors sol qui voudraient réorganiser le tourisme sur un système de vertus qui n'appartient qu'à eux... Il faut de la modération, de la nuance.

Vous dites d'ailleurs qu'on se trompe de débat et qu'aujourd'hui, le vrai sujet, c'est de décarboner l'économie touristique. Ce qui signifie que le secteur ne s'est pas, ou pas suffisamment, emparé du sujet ?

Le tourisme pollue plus qu'il ne rapporte : tant que le rapport entre notre part au PIB et notre "part de marché" des gaz à effets de serre (GES, ndlr) ne sera pas de 1 pour 1, c'est à dire 7,4% de PIB en France et 7,4% de GES et non pas 11% comme actuellement, nous serons critiqués, et c'est normal. Il faut qu'on s'améliore. Il faudrait que les acteurs du tourisme se concertent pour poser ensemble notre panneau déviation, faire une pause dans nos stratégies de communication et de marketing, se fixer des objectifs stratégiques, serrer les dents une dizaine d'années pour changer de modèles - et un peu de clientèles - et mettre en application tout ce qu'on s'est juré de faire quand on imaginait le nouveau tourisme post-Covid. Le tout avec une vraie vision solidaire qui nous amènera à baisser de 20% nos GES. Mais ce qui manque, c'est de lancer un vrai débat pour fixer ces objectifs, et d'envisager les principes de solidarité qui vont avec. Par exemple, la Côte d'Azur ne peut pas vivre sans clientèle internationale donc on pourrait lui accorder un quota carbone supérieur mais augmenter la taxe de séjour par rapport à d'autres régions. Mais tant qu'on restera dans une logique de concurrence...

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D'autant qu'il existe la crainte des dégâts que causerait cette transformation de l'économie touristique...

Si nous n'acceptons pas qu'il y aura des gagnants mais aussi des perdants dans cette transformation, on ne fera rien. Dans toutes les mutations il y a des effets négatifs : les salariés de Kodak ont tous perdu leur emploi car leur patron n'avait pas voulu croire à la numérisation du secteur. Et on a mis 35 ans à fermer les mines de Lorraine parce qu'on ne voulait pas accepter que les mineurs allaient perdre leur emploi. Ça se comprend, mais en matière de tourisme, des métiers vont s'arrêter et d'autres démarreront. Churchill disait que "le changement, soit vous l'accompagnez, soit il vous prend à la gorge". Il faut être courageux et accompagner cette transformation pour trouver les réponses sans casse sociale.

Vous regrettez l'approche du bilan touristique par le chiffre uniquement. Néanmoins, que peut-on dire, à ce jour, de la saison estivale 2023 en Occitanie ?

Oui, un jour, il faudra arrêter de commenter notre activité uniquement par des plus ou des moins, qui en général ne dépassent pas les -5 au pire et les +5 au mieux ! Savoir si on a fait +5,14% ou -1,32% en juillet, la belle affaire... Mais si on zoome sur la saison estivale, il faut se rappeler que l'Occitanie a battu tous les records de fréquentation à l'été 2021 car elle a bénéficié de la période post-Covid et de la fermeture d'autres pays notamment. L'été 2022 a été moins bon mais l'année 2022 a été meilleure. Car je rappelle que l'été en Occitanie, c'est 35% de la fréquentation annuelle. L'été 2023 sera probablement un peu moins bien que l'été 2022 mais probablement que l'année 2023 sera meilleure que 2022 car nous avons eu un bon printemps, que le mois d'août sera aussi bon que l'an passé, et que septembre affiche un bon niveau de réservations, en particulier autour de Toulouse où se joueront cinq matches de la Coupe du monde de rugby.

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* Avec son offre des trains liO (TER) à 1 euro pour les jeunes de moins de 27 ans, la Région Occitanie annonce avoir battu le record de fréquentation du 14 juillet au 15 août, avec près de 800.000 billets vendus (+38% par rapport à l'été 2022) et un chiffre multiplié par deux en deux ans.

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 27/08/2023 à 10:13
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Mouais je suis loin d'être convaincu tandis que ce qui fait surtout mal au tourisme c'est le pouvoir d'achat moribond des français d'abord et avant tout, les gens s'en tapent de l'écologie ils préfèrent se barrer de leur quotidien et échapper à leur ...

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