Women for Future : où en est-on de l’égalité femmes-hommes dans les entreprises en France ?

Pour sa 4e édition nationale des Women for Future, à Montpellier ce 14 juin, La Tribune interrogeait le chemin parcouru depuis la promulgation de la loi Copé-Zimmermann en 2011, instaurant des quotas de femmes dans les conseils d’administrations des grandes entreprises. Dix ans de cheminement, des succès mais encore des pratiques insuffisamment égalitaires. Et une nouvelle proposition de loi portée par la député Marie-Pierre Rixain, également présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui est venue décrypter ses objectifs.
Cécile Chaigneau
La table ronde sur la loi Copé-Zimmerman, animée par Sophie Iborra, directrice des relations institutionnelles à La Tribune (à droite) donnait la parole à (de gauche à droite) Lise Chatain et Sandrine Fouillé, ainsi qu'en visioconférence à Marie-Jo Zimmermann, Marie-Pierre Rixain et Jean-François Copé.
La table ronde sur la loi Copé-Zimmerman, animée par Sophie Iborra, directrice des relations institutionnelles à La Tribune (à droite) donnait la parole à (de gauche à droite) Lise Chatain et Sandrine Fouillé, ainsi qu'en visioconférence à Marie-Jo Zimmermann, Marie-Pierre Rixain et Jean-François Copé. (Crédits : Eric Durand)

Le 20 janvier 2011, était adoptée la loi Copé-Zimmermann qui impose des quotas de femmes (40%) dans les conseils d'administration et de surveillance. En dix ans, elle a permis de franchir une étape décisive dans le combat pour l'égalité femmes-hommes : grâce à cette loi, la France est aujourd'hui première en Europe en matière de féminisation des conseils d'administration de ses grandes entreprises.

Cette loi ayant démontré que la mise en place d'objectifs chiffrés faisait avancer les choses et contribuait à briser les plafonds de verre, les quotas sont-ils un mal nécessaire ? C'est la question que posait notamment l'événement des Women for Future, organisé par La Tribune à Montpellier le 14 juin.

Car l'idée du progrès par les quotas continue de faire débat, d'autant qu'il reste du chemin à parcourir vers l'égalité réelle et la parité. Un nouveau projet de loi vient d'entamer son parcours parlementaire : visant à "accélérer l'égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes", la proposition de loi portée par Marie-Pierre Rixain, députée de l'Essonne et présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, a été examinée par les députés en séance publique les 11 et 12 mai 2021, puis adoptée le 12 mai 2021 Le texte va maintenant être examiné par le Sénat.

« Des propos choquants »

« Pour ou contre les quotas ? C'est peut-être un outil imparfait, mais il y a du bon à rééquilibrer les instances de pouvoir », faisait observer en ouverture des Women for Future Catherine Barba, serial entrepreneure, investisseuse, engagée pour la diversité et l'inclusion.

Il faut se rappeler qu'en 2011, l'adoption de la loi Copé-Zimmermann s'est faite dans un contexte peu favorable, où les principaux acteurs concernés se disaient peu enclins à infléchir la composition des conseils d'administration vers une plus grande féminisation.

« Il y avait eu des lois en 1972, 1983 et 2001 qui donnaient des outils faciles à adopter, mais j'avais constaté que la loi n'était pas connue et pas appliquée, se souvient Marie-Jo Zimmermann, à l'époque présidente de la Délégation aux droits des femmes, et aujourd'hui conseillère municipale d'opposition à Metz et conseillère communautaire de la communauté d'agglomération de Metz Métropole. Jean-François Copé, qui était mon président de groupe, a accueilli l'idée positivement, mais au niveau de l'exécutif, c'était plus difficile et il a fallu toute son autorité pour faire passer la loi. La proposition de loi est passée plutôt bien en 1e lecture à l'Assemblée nationale, mais ça a été un combat au sénat. En 2014, Najat Vallaud-Belkacem (alors ministre des Droits des femmes, NDLR) l'étendra aux syndicats. En 2011, nous n'avions pas réussi à le faire car il aurait fallu de longues négociations et le temps était compté... »

Jean-François Copé, ancien ministre du Budget, aujourd'hui maire de Meaux et avocat au Barreau de Paris, se souvient que sa majorité ou les organisations patronales n'étaient guère favorables aux quotas : « Des propos choquants ont été tenus à l'époque et il a fallu faire preuve de fermeté pour s'opposer aux préjugés... La parité, c'est le combat des femmes mais aussi une affaire d'hommes. J'ai toujours été un militant de cette égalité à condition qu'elle soit porté par le bon sens et pas l'extrémisme. Il fallait que ce soit un peu coercitif, autoritaire, et laisser un temps d'adaptation ».

Mécanisme de cooptation

Quand on regarde dans le rétroviseur de cette loi, quelles ont été les clés du succès ?

« Il y a eu deux facteurs clés : la progressivité des quotas et les sanctions, répond Lise Chatain, maître de conférences à la faculté de droit de Montpellier, co-directrice du M2 Droit du commerce international. La première des sanctions était la nullité de la désignation de l'administrateur dans un conseil d'administration qui ne respectait pas le quota, puis la suspension du versement des jetons de présence, et enfin la nullité des délibérations des conseils ne respectant pas le quota. La mesure de nullité était une sanction courageuse car la nullité, c'était mettre en cause la sécurité juridique... Enfin, dans le succès de la loi, il y a aussi une part d'image des entreprises qui ont voulu paraitre vertueuses et soucieuses de la promotion des femmes. »

Alors les quotas doivent-ils être maintenus ou la loi a-t-elle permis d'instaurer de nouvelles pratiques suffisamment vertueuses pour s'en passer ? Dix ans après, la réalité du monde de l'entreprise démontre que l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas devenue la norme.

« En effet, il n'y a pas eu d'effet de ruissellement, de déclic vers plus d'égalité, observe Lise Chatain. Le facteur essentiel de cette absence de ruissellement est le mécanisme de la cooptation au sein des conseils d'administration et conseils de surveillance. On propose le nom d'un administrateur qu'on connait et reconnait, et ça fonctionne aussi pour la nomination des dirigeants opérationnels. Pour arrêter ce processus, il fallait une rupture dans la pratique de cooptation que seule une politique des quotas pouvait stopper. On peut le regretter mais cette politique fonctionne, il faut l'assumer. On peut être choqué par les quotas, mais il faut surtout continuer à être choqué par l'absence des femmes ! »

« Ce plafond de verre qui parfois se transforme en plafond de béton armé »

Chez Capgemini, le sujet a été pris à bras le corps. Sandrine Fouillé, directrice RSE France, est persuadée que les quotas sont « une chance, un signal très fort envoyé aux femmes » : « En mars dernier, notre CEO a pris l'engagement de travailler pour la parité professionnelle dans l'entreprise et donc de fixer des quotas de femmes dans les postes à responsabilité, soit un minimum de 30% dans les 10% de postes à plus hautes responsabilités. Nous avons lancé un programme en France en 2012, avec beaucoup d'actions, dont trois marquantes. Tout d'abord, créer un environnement de travail inclusif et respectueux, et pour lutter contre le sexisme, nous avons créé une plateforme interne où poster de façon anonyme des anecdotes de situations de sexisme, ce qui a contribué à libérer la parole. Nous favorisons la mise en visibilité des talents au féminin avec les Trophées des Dames de Pique depuis 2018. Et enfin, nous avons instauré un dispositif innovant : "Ma juste valeur", une collection de podcast et de formations e-learning. A ce jour, 250.000 femmes francophones ont suivi ce podcast ».

Un volontarisme qui ne semble pourtant pas la majorité du genre dans le monde de l'entreprise. D'où la proposition de loi de Marie-Pierre Rixain, dont l'article 7 veut imposer des quotas dans les instances dirigeantes des entreprises (Codir et Comex) de plus de 1.000 salariés.

« Ce texte s'inscrit dans les pas de cette première loi, car depuis trois ans, j'observe que la femme n'est pas encore complètement reconnue comme un sujet économique à part entière, explique Marie-Pierre Rixain. Je souhaite notamment faire en sorte que les femmes en situation de précarité et de monoparentalité puissent faire garder leurs enfants et retrouver une formation, rendre plus transparents les indicateurs qui composent l'index d'égalité professionnel, et en effet, dans l'article 7, instaurer des quotas pour les comités de direction et comités exécutifs. Car aujourd'hui encore, les femmes sont confrontées à ce fameux plafond de verre qui parfois se transforme en plafond de béton armé, et à des phénomènes d'entre-soi pour gravir la dernière marche permettant d'être présentes autour de la table d'un comité de direction. »

« Quand on nous cherche, on nous trouve ! »

Marie-José Zimmermann souligne la nécessité d'instaurer un processus de contrôle de la loi, car « c'est redonner un véritable pouvoir à la loi », dit-elle.

« On n'a pas d'autres choix que continuer à légiférer, d'autant qu'à chaque fois qu'on fait des lois dans ce domaine, les gens reconnaissent a posteriori qu'on avait raison, conclut Jean-François Copé. Il y a un autre défi à relever : l'égalité des rémunérations. L'administration et le statut de la fonction publique préservent de ces inégalités, mais dans le privé, c'est un handicap. Ces lois doivent avoir volet coercitif mais aussi d'accompagnement et de formation des femmes. »

« En France, 42% des femmes sont des cadres ou dans des professions intellectuelles supérieures, donc elles sont là, donc quand on nous cherche, on nous trouve !, précise toutefois Lise Chatain. La difficulté de la proposition de loi de Marie-Pierre Rixain sera de définir ce qu'est une instance dirigeante pour éviter que les entreprises contournent la loi. »

Brigitte Gresy, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, enfonce le clou sur la nécessité des quotas pour faire progresser l'égalité et la parité : On ne fera pas l'avenir sans des femmes à des postes de responsabilité. Au moment où se discute une loi instaurant des quotas dans les Codir et Comex, les quotas sont une chance ! c'est une façon de faire venir des femmes talentueuses et de transformer des organisations. Les plans de relance doivent adopter le principe d'égale conditionnalité, c'est à dire donner les financements si et seulement si les entreprises s'engagent à faire plus d'égalité et de parité ».

Réécoutez l'intégralité des échanges ici.

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 15/06/2021 à 8:02
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Bref! Quand l'homme inventa la "machine a laver", il fut le principal acteur de l'égalité!

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